Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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histoire (suite)

Animées d’un zèle érudit et collectif qui doit justifier la foi de leurs membres, la Société de Jésus et la congrégation des Bénédictins de Saint-Maur entreprennent d’importantes publications de textes. Parmi elles, il faut citer celle des Acta sanctorum, à laquelle un jésuite de Liège, Jean Bolland (1596-1665), et son équipe, dite « des bollandistes », attachent leur nom depuis 1630, et plus encore, peut-être, celle des Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, édités par dom Jean Mabillon (1632-1707) à partir de 1668. Cette politique de publications systématiques d’éditions critiques est officialisée et institutionnalisée en France lors de la création de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres en 1663 ; elle soumet heureusement le savant à l’autorité du texte à l’heure même où l’incorporation de la totalité du continent asiatique à l’écoumène l’oblige à réviser sa conception trop européo-centrique de l’histoire et sa vision purement biblique de son cadre chronologique.

L’histoire devient consciente de la profonde diversité d’un monde aux civilisations nombreuses et contrastées, et, par conséquent, du caractère relatif et non plus absolu de ce que chacune d’elle prétend être « la » vérité et qui n’est que « sa » vérité ; elle s’oblige désormais à étudier le passé dans un esprit de doute méthodique. Tenant compte des temps et des lieux, celui-ci incite à passer au crible de la critique historique les faits les mieux assurés, quitte à en confirmer l’exactitude, s’il y a lieu, au vu de documents authentiques correctement interprétés au préalable, comme l’enseigne en 1738 Louis de Beaufort dans sa Dissertation sur l’incertitude des cinq premiers siècles de l’histoire romaine.

Descriptive d’abord, critique ensuite, l’histoire devient enfin explicative de l’immédiat et du passé, et de l’immédiat en fonction du passé lorsque « 1789 » offre à la fois à ses fidèles un incomparable champ d’expérimentation : celui de l’événement en train de s’accomplir et des moyens de mieux apprécier la portée réelle de ceux qui l’ont précédé grâce à la mise à la disposition du public érudit des archives royales, seigneuriales et ecclésiastiques ; la nationalisation de ces dernières permet, en effet, la création, par le décret du 7 septembre 1790, des Archives nationales, dont Napoléon Ier entend faire le noyau constitutif des Archives de l’Europe, préalablement regroupées à Paris et dont la Restauration cherche à faciliter l’utilisation par la création, en 1829, de l’École des chartes, destinée à former un corps de spécialistes aptes à classer et à trier des fonds dont la masse, en accroissement constant, risque de rendre impossible la tâche du chercheur.

Ne renonçant certes pas à toute préoccupation d’ordre apologétique ou partisan à l’heure même où les hommes de quatre-vingt-neuf, de quatre-vingt-treize ou de mille huit cent quatre entendent, par son intermédiaire, condamner l’obscurantisme de l’Ancien Régime, l’histoire trouve paradoxalement, dans cette orientation nouvelle, matière à élargir son champ d’action à l’étude de concepts nouveaux : la Nation, exaltée tant par les auteurs du drame révolutionnaire que par les romantiques convaincus qu’à travers elle se dessine, ainsi qu’en témoigne Michelet*, le génie fondamentalement différent de chaque peuple ; la Liberté, garante de l’indépendance et, par là même, principe explicatif, selon Augustin Thierry (1795-1856), de l’Histoire véritable de Jacques Bonhomme, éditée en mai 1820 ; la démocratie, enfin, dont l’expérience américaine, méditée par Alexis de Tocqueville (1805-1859), offre un modèle institutionnel d’un type nouveau à une Europe politiquement transformée par la Révolution, modèle dont l’étude, immédiatement accessible, permet d’éclairer d’un jour nouveau celle des pays antiques ayant connu un régime analogue.

Maintenant d’ailleurs à l’Antiquité une sorte de primauté d’honneur, acceptant en outre de réhabiliter le Moyen Âge, considéré non plus comme le temps de la barbarie gothique, mais comme celui de la difficile gestation du fait national dans tous les pays européens, l’histoire applique enfin à l’étude des Temps modernes les méthodes mises au point dans le domaine de la philologie classique. Imitant à cet égard le grand antiquisant Barthold Georg Niebuhr (1776-1831) auteur d’une importante Histoire romaine publiée de 1811 à 1832 et qui s’arrête aux guerres puniques, Léopold von Ranke (1795-1886) utilise entre 1824 et 1886 une documentation critique, extraite en particulier des Archives de Venise, pour rédiger de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire des principaux pays européens aux xvie et xviie s. Ce savant, qui allie la rigueur de la méthode à la pureté de la forme, peut être considéré comme le père de l’histoire érudite et critique qui vise à faire revivre les événements passés tels qu’ils se sont réellement déroulés. L’histoire renonce dès lors aux grandes fresques romantiques qui visent à la « résurrection de la vie intégrale », pour reprendre la belle expression, souvent mal interprétée, de Michelet ; elle devient plus sévère, mais aussi plus rigoureuse grâce à des savants qui, tels Renan* et surtout N.-D. Fustel de Coulanges (1830-1889), prétendent déceler sa vérité objective, sans doute parce que, plus ou moins consciemment influencés par Auguste Comte* (et le premier beaucoup plus sans doute que le second), l’un et l’autre pensent élever cette branche du savoir au rang d’une science authentique ayant pour objet la recherche des lois qui président au développement social de l’espèce humaine.

N’échappant pas en fait au piège de l’engagement polémique qui dresse Fustel de Coulanges contre Theodor Mommsen (1817-1903) après la guerre franco-allemande de 1870-71, qui fait de Taine* un contempteur de la Commune de Paris et d’Ernest Lavisse (1842-1922) le chantre des gloires nationales et, par contrecoup, de la Revanche, l’histoire n’accède à l’objectivité scientifique que par le biais d’une professionnalisation qui lui permet de fixer définitivement ses méthodes à l’extrême fin du xixe s.