Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Habsbourg (suite)

L’alliance entre Vienne et Madrid se traduisait par une aide financière de l’Espagne à l’empereur, toujours désargenté, et parfois par un appui militaire réciproque, l’Espagne sollicitant fréquemment l’envoi de contingents, qu’elle rétribuait, car elle était plus riche en numéraire qu’en hommes. Mais Richelieu et la diplomatie française considéraient alors la monarchie espagnole comme le véritable ennemi des intérêts français, l’Empereur n’étant, déjà, qu’un brillant second. C’est d’ailleurs par une déclaration de guerre à l’Espagne, en 1635, que la France marqua son entrée dans la guerre de Trente Ans. Un des enjeux du conflit était précisément l’axe de communication de la monarchie espagnole, Bruxelles-Milan ; l’autre consistant, pour la France, à protéger ses alliés protestants, Hollandais, Suédois et princes allemands. On sait que le conflit tourna à l’avantage de la France ; par les traités de Westphalie, Ferdinand III (1608-1657), empereur de 1637 à 1657, dut céder à Louis XIV son patrimoine en Haute-Alsace, tandis qu’il voyait son autorité dans l’Empire considérablement diminuée. L’Espagne de Philippe IV lutta encore onze ans contre la France, qui triomphera au traité des Pyrénées, en 1659.

Les Habsbourg, après cette perte de prestige, allaient connaître une crise bien plus grave, qui, finalement, leur coûta la majeure partie des possessions de la branche espagnole. En effet, la politique de mariages consanguins aboutit, à la fin du xviie s., à l’extinction de la brandie aînée. L’historiographie classique a souvent blâmé ces alliances matrimoniales ; en fait, les mariages consanguins étaient d’usage fréquent chez tous les possédants, nobles ou roturiers, pour éviter le partage du patrimoine. Cette politique avait pour but de préserver la puissance et l’unité de la famille et d’éviter les querelles de succession. C’était faire fi des risques de mortalité considérables, même dans les familles princières. Une suite de hasards malheureux fit qu’à la mort de Philippe IV, en 1665, la famille n’était plus représentée que par un enfant chétif, Charles* II d’Espagne, un jeune prince de santé délicate, encore célibataire, l’empereur Léopold Ier et l’infante Marie-Thérèse, épouse de Louis XIV. La mort de Philippe IV avait ouvert la crise de la succession d’Espagne, qui préoccupa les chancelleries durant près de quarante ans et aboutit à un conflit européen généralisé.

Charles II (1661-1700), roi d’Espagne de 1665 à 1700, fut en effet incapable d’avoir des enfants de son mariage avec une princesse allemande, Marie-Anne de Palatinat-Neubourg. Entre-temps, Léopold Ier (1640-1705), empereur de 1657 à 1705, avait réussi à élever deux fils, l’archiduc Joseph, qu’il destinait à la couronne impériale, et l’archiduc Charles, dont il voulait faire le successeur de son cousin Charles II d’Espagne. Celui-ci pourtant institua son petit-neveu, Philippe, duc d’Anjou, son légataire universel, car les Espagnols voulaient sauver à tout prix l’intégrité de la monarchie ; les Habsbourg de Vienne semblaient incapables de défendre par les armes l’intégrité de la succession ; l’Empereur devait, d’une manière ou d’une autre, accepter un partage avec les Bourbons. Ceux-ci acceptèrent le testament de Charles II, mais les puissances maritimes, redoutant l’hégémonie française et la mainmise des négociants français sur le marché sud-américain, soutinrent les prétentions de l’archiduc Charles, tout à fait légitimes dans l’optique de la maison d’Autriche.

On sait que celui-ci ne parvint pas à se maintenir sur le trône d’Espagne, même au prix d’un conflit généralisé, et qu’il dut finalement céder la place à Philippe* V, le petit-fils de Louis XIV. Malgré l’appui des Catalans et de sérieuses défaites françaises, il ne parvint pas à emporter la décision après dix années de guerre ; or, la mort inopinée de son frère Joseph Ier (1678-1711), empereur de 1705 à 1711, reconstituait, à son profit, l’empire de Charles Quint, et les Anglais ne voulaient d’aucune monarchie universelle, que ce fût au profit des Bourbons ou des Habsbourg. Abandonné par les puissances maritimes, l’archiduc, devenu l’empereur Charles VI (1685-1740), empereur de 1711 à 1740, ne réussit qu’à sauver quelques éléments de son patrimoine : les Pays-Bas, Milan et Naples. Paix de compromis, certes, mais qui convenait davantage à la France et à la Grande-Bretagne qu’aux intéressés eux-mêmes, c’est-à-dire aux Habsbourg et à la nation espagnole.

Quoi qu’il en soit, la maison d’Autriche avait apporté à l’Espagne deux siècles de gloire, les Habsbourg de Madrid s’identifiant de plus en plus à la nation castillane. Désormais, la vocation mondiale des Habsbourg était terminée, mais la branche allemande aura encore un rôle à jouer en Europe continentale, en Allemagne, en Italie et dans le bassin danubien, les Pays-Bas ne tenant guère de place, au xviiie s., dans les préoccupations du gouvernement de Vienne. Après 1715, l’Autriche n’en passe pas moins pour une grande puissance, tant par l’étendue de ses territoires que par l’importance de son armée, qui vient de s’illustrer sur tous les champs de bataille de l’Europe et qui a chassé, pour de bon, les Turcs de Hongrie. Malheureusement, la structure de l’État demeure fragile, de l’avis même du prince Eugène de Savoie, principal ministre de l’empereur Charles VI. Celui-ci ne sut ou ne put procéder à l’indispensable unification de territoires plus disparates que jamais, alors que la valeur de l’armée, après 1730, ne cessait de diminuer. Charles VI prépara bien mal sa fille unique, l’archiduchesse Marie-Thérèse* (1717-1780), impératrice de 1740 à 1780, à affronter une nouvelle crise de succession qui, une fois de plus, déclencha une guerre européenne et mit en péril l’existence même de la monarchie autrichienne.


Les Habsbourg-Lorraine (1740-1918)

À la mort de Charles VI, en 1740, l’héritière des Habsbourg dut en effet faire face à une impressionnante coalition, dirigée par la France, qui voulait profiter de l’occasion pour ruiner définitivement la puissance autrichienne et qui ne fit, en définitive, que le jeu de la Prusse. En effet, tandis que les Électeurs refusaient la couronne impériale au mari de l’archiduchesse, François de Lorraine, depuis 1737 grand-duc de Toscane, Frédéric II s’emparait de la Silésie, qui constitua, ultérieurement, une des bases de la puissance prussienne. À long terme, cette perte fut gravement préjudiciable à l’Autriche et à l’équilibre des forces en Europe centrale. Quant à la dignité impériale, elle revint au Habsbourg-Lorraine en 1745, à la mort de Charles VII, empereur de 1742 à 1745, de la maison des Wittelsbach et candidat de la France en 1740. Une fois la crise surmontée, le règne de Marie-Thérèse fut l’un des plus brillants qu’ait connus la monarchie autrichienne ; pour la première fois depuis 1526, elle parvenait à donner à ses États cette structure centralisée dont avait rêvé le Prince Eugène. Tout en respectant langues nationales, cultures particulières et privilèges des ordres, elle tenta d’appuyer le trône sur quatre piliers : fidélité à la dynastie, fidélité à la religion catholique, une bonne administration, compétente, efficace, honnête et enfin une solide armée qui fût vraiment commune à tous ses peuples et dévouée à l’État. Souveraine très aimée de ses sujets, Marie-Thérèse fonda véritablement une nouvelle dynastie, grâce à sa nombreuse descendance en ligne masculine comme en ligne féminine. La tentative de rapprochement avec la France (le fameux renversement des alliances de 1756) devait tourner court ; elle maria sa fille préférée, l’archiduchesse Marie-Antoinette, au futur Louis XVI ; on sait ce qu’il en advint.