Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
H

Habsbourg (suite)

Ferdinand, espagnol de tempérament et d’éducation, tenta de mettre au pas ses nouveaux sujets ; il dut bien vite déchanter ; tout au plus réussit-il à créer une administration centrale, attachée à sa personne. Il s’inspirait visiblement du modèle bourguignon, mais le pouvoir des officiers et des conseils qu’il créa fut toujours limité par les privilèges des pays composant la monarchie, qui conservaient leurs propres gouvernements et leurs assemblées d’États. En outre, les royaumes que gouvernait Ferdinand Ier constituaient une mosaïque de peuples, de langues, de cultures et bientôt de religions. Le péril turc était néanmoins assez fort pour que la peur, à défaut d’autre chose, constituât un lien entre les provinces autrichiennes, les pays de la couronne de Bohême et la Hongrie. En abdiquant (1555-56), Charles Quint se décida à laisser la couronne impériale à son frère, qu’il avait déjà fait élire roi des Romains (1531) et à qui il avait, depuis longtemps, confié d’importantes responsabilités en Allemagne. Tout le reste de ses possessions allait à son fils Philippe II, qui devenait ainsi le souverain le plus puissant d’Europe et qui choisit très vite de s’établir en Espagne, où il transféra le gouvernement central de son empire. Signe visible de sa prééminence : il demeurait le grand maître de l’ordre de la Toison d’or.


L’empire partagé (1556-1700)

En fait, le partage n’était qu’apparent, car tous les États sur lesquels le Soleil ne se couchait jamais (auxquels s’ajoutèrent, après 1580, le Portugal et son empire colonial) demeuraient la propriété indivise de la famille, dont le chef était le roi d’Espagne, qui possédait, en outre, les colonies américaines, les provinces italiennes et les Pays-Bas. L’Empereur, en dépit de son titre prestigieux, apparaissait comme le parent pauvre, voire le subordonné de son cousin de Madrid.

C’est d’ailleurs ce dernier qui reprit la politique de Charles Quint, aussi bien à l’égard de la France que vis-à-vis des protestants. Quoiqu’il ne fût pas, officiellement, le chef de la chrétienté, il se fit, partout, le champion du catholicisme, le vieil esprit de croisade n’étant pas mort, en Espagne, avec la fin de la Reconquista et la prise de Grenade (1492). C’est pourquoi il poursuivit la politique de Charles Quint en Afrique du Nord et, d’une façon générale, contre les Turcs ; c’est grâce à la participation espagnole que fut possible la grande victoire navale des chrétiens sur les Ottomans à Lépante (oct. 1571). Mais, en dépit des ressources que lui procuraient les mines d’argent d’Amérique, l’Espagne de Philippe II était moins redoutable qu’elle n’en avait l’air. Ses forces étaient dispersées entre la péninsule Ibérique, les Pays-Bas et l’Italie ; l’axe Milan-Bruxelles était, pour elle, vital ; soldats, lettres de change, courriers y circulaient lentement. En outre, Philippe II, le « roi prudent », était fort lent à se décider. Dans les dernières années de son règne, il dirigea tout son empire à partir de son cabinet de l’Escorial, travailleur infatigable, chef du premier gouvernement bureaucratique de l’Europe moderne. À partir de 1568, la révolte des Pays-Bas ne cessa de fixer son attention et d’absorber une bonne partie des forces de l’Espagne. Des motivations religieuses, nationales et économiques avaient joué contre le « roi prudent », qui ne sut pas faire les concessions nécessaires au moment opportun ; une longue lutte n’aboutit qu’au partage de facto : la partie septentrionale, protestante, conquit son indépendance, tandis que la partie méridionale, catholique, demeurait sous l’autorité des Habsbourg.

Mêlant sans cesse défense de la religion catholique et intérêts dynastiques, Philippe II intervint en France et en Angleterre contre les protestants, soutenant la Ligue comme les catholiques anglais. Il est vrai qu’il faillit parachever la politique matrimoniale des Habsbourg et mettre la main sur les deux grands royaumes qui leur échappaient ; il fut, un temps, l’époux de Marie Tudor, reine d’Angleterre, qui mourut prématurément en 1558, sans lui laisser d’héritiers ; après la mort d’Henri III, il aurait voulu placer sa fille, l’infante Isabelle, sur le trône de France. À sa mort, en 1598, la monarchie d’Espagne demeurait une puissance redoutable, en dépit de ces échecs relatifs, tandis que la branche allemande connaissait une éclipse momentanée, faute de moyens et faute de souverains capables.

Le fils de Ferdinand Ier, Maximilien II (1527-1576), empereur de 1564 à 1576, était lui-même favorable aux Églises de la Réforme, qui s’installèrent solidement en Autriche ; vers 1580, le catholicisme est une confession minoritaire dans les pays de la monarchie danubienne. Quant à la gestion de son successeur Rodolphe II (1552-1612), empereur de 1576 à 1612, elle fut désastreuse ; catholique fervent, formé à la cour d’Espagne, il échoua lamentablement dans sa politique de Contre-Réforme. Dépourvu d’autorité, il s’enferma dans le château de Prague avec ses astrologues et ses dossiers, se refusant à prendre une décision quelconque, sans vouloir non plus déléguer ses pouvoirs à l’un de ses frères ; vers 1610, le pouvoir était dilué entre plusieurs archiducs, établis à Vienne, Graz, Innsbruck, tandis que l’empereur Rodolphe II conservait un semblant d’autorité sur le royaume de Bohême, au prix d’une importante concession à la noblesse protestante, la lettre de majesté, accordant la liberté de culte et de substantiels privilèges aux Églises issues de la Réforme.

Le salut devait venir finalement d’une branche cadette, issue de Ferdinand Ier, qui avait établi son fils cadet à Graz. Comme ni Rodolphe ni son frère Mathias (1557-1619), empereur de 1612 à 1619, n’avaient d’héritiers, la succession échut à Ferdinand de Styrie (1578-1637), le roi d’Espagne Philippe II s’étant désisté en faveur de son cousin.

Ferdinand II, empereur de 1619 à 1637, était un champion décidé, pour ne pas dire fanatique de la Contre-Réforme. Formé par les Jésuites, c’était un mystique, qui se sentait responsable du salut de ses sujets. Il n’entrevoyait, pour les protestants, que deux possibilités : la conversion au catholicisme romain ou l’exil. La révolte maladroite des États de Bohême lui fournit l’occasion inespérée de supprimer des privilèges qu’il n’avait confirmés qu’à contrecœur. Œuvre de longue haleine, la reconquête catholique ne fut achevée, en Bohême et en Autriche, que vers 1660. Ferdinand II en profita pour limiter les privilèges politiques exorbitants des ordres, sans pour autant imposer, comme on l’a dit trop souvent, l’absolutisme. Mais la révolte des États de Bohême avait relancé la guerre européenne, et l’on vit les deux branches de la maison de Habsbourg étroitement unies.