Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Grégoire Ier le Grand (saint) (suite)

Grégoire s’imposa également aux différents clergés nationaux, et d’abord à ceux de la péninsule. En Gaule, il s’entendit avec Brunehaut pour promouvoir la réforme du clergé et chargea l’évêque d’Arles d’être son vicaire pontifical dans le royaume. Il en alla de même en Espagne, où il rétablit sur leur siège des évêques qui avaient fait appel à lui. Par ses envoyés, de simples clercs souvent, il intervenait partout, et l’Occident réapprenait à entendre la voix du pontife romain, qui s’était tue depuis si longtemps.

À Rome et dans le patrimoine pontifical, Grégoire réorganisa l’administration, édifia des hôpitaux et des orphelinats et distribua de nombreuses aumônes selon un véritable plan concerté d’assistance publique. Il intervint aussi auprès des fonctionnaires byzantins et posa de cette façon des jalons qui devaient permettre à la papauté, un siècle plus tard, de prendre la suite du pouvoir impérial et de gouverner elle-même ses propres États.

Grégoire le Grand eut à cœur de reprendre à son compte, en Grande-Bretagne, l’œuvre missionnaire, qui était jusque-là l’apanage des moines irlandais. L’apostolat généreux mais brouillon de ces derniers risquait, en effet, d’avoir de graves conséquences tant du point de vue doctrinal que du point de vue liturgique, à cause de la situation particulière de l’Église d’Irlande.

En Grande-Bretagne, les invasions des Scots, des Saxons, puis des Angles avaient refoulé les chrétiens vers le sud-ouest de l’île, en Cornouailles et en pays de Galles. En 596, Grégoire envoya dans le royaume de Kent une troupe de moines dirigée par Augustin, prieur de son monastère du mont Caelius. Le but visé était double : prêcher le catholicisme selon la pure doctrine et établir dans le pays une hiérarchie ecclésiastique bien rattachée à Rome.

Le roi du Kent, Aethelberht (560-616), qui avait épousé la princesse franque catholique Berthe († 616), se convertit et soutint l’apostolat d’Augustin, qui fixa son siège à Canterbury. En 601, Grégoire le nommait primat d’Angleterre. Après le Kent, l’Essex se convertit ; curieusement, les catholiques autochtones, les Bretons, christianisés depuis le iiie s., virent d’un mauvais œil ces missionnaires pontificaux qui leur demandaient de renoncer à leurs coutumes particulières (datation de Pâques, tonsure, administration du baptême, etc.), et ils refusèrent de collaborer avec eux pour évangéliser les Anglais, qu’ils haïssaient.

Grégoire Ier est également célèbre comme écrivain spirituel. Ses œuvres, surtout des commentaires de 1’Écriture et des traités liturgiques, eurent une grande audience durant tout le Moyen Âge. Son commentaire du livre de Job intitulé Moralia, qui est dans la droite ligne de l’héritage augustinien, en dégageant le sens allégorique du texte, est avant tout un répertoire de la morale chrétienne. Son Pastoral résume les devoirs du prêtre ; enfin, ses Homélies sur les Évangiles seront reprises dans les lectures liturgiques. Grégoire condamna également une hérésie orientale, celle des agnoètes, qui niait la perfection de la science du Christ.

Lorsqu’il mourut le 12 mars 604, Grégoire le Grand avait rétabli dans toute la chrétienté l’autorité du pontife de Rome par les voies de la diplomatie et de la persuasion. Il put ainsi mériter pleinement le titre qu’il fut le premier à utiliser dans ses actes et conservé après lui par ses successeurs, celui de « serviteur des serviteurs de Dieu ». Mais c’est indûment qu’on lui a attribué la paternité du chant dit « grégorien ».

P. R.

 F. H. Dudden, Gregory the Great (Londres, 1905 ; 2 vol.). / P. Battifol, Saint Grégoire le Grand (Gabalda, 1928). L. Bréhier et R. Aigrain, Grégoire le Grand, les États barbares et la conquête arabe, 590-757, t. V de l’Histoire de l’Église, sous la dir. de A. Fliche et V. Martin (Bloud et Gay, 1938).

Grégoire VII (saint)

(Soana, Toscane, v. 1015/1020 - Salerne 1085), pape de 1073 à 1085.


Hildebrand, avant de gravir les degrés de la hiérarchie ecclésiastique, était un simple moine romain. Durant le règne de Léon IX (1049-1054), il fut nommé légat pontifical en France. Peu à peu il acquit dans la curie une grande autorité en tant qu’archidiacre de l’Église romaine.

S’il ne paraît pas avoir exercé une influence sur le décret de 1059, qui confiait l’élection pontificale aux seuls cardinaux et excluait toute ingérence des laïques, il fut le principal collaborateur du pape Alexandre II (1061-1073), son prédécesseur, et, à ce titre, il orienta toute la politique de la papauté.

Vers 1050, l’Église sortait péniblement de la crise du xe s., mais, au cours même de ce siècle « terrible », alors que le clergé régulier donnait l’exemple du relâchement de la foi et des mœurs, la vie monastique connaissait un renouveau certain. Le monastère de Cluny*, fondé en 910, était celui qui rayonnait le plus, d’autant qu’il relevait directement du Saint-Siège. Ce furent les moines clunisiens qui répandirent dans le clergé les idées de réforme.

La situation était, en effet, déplorable pour l’Église, qui, de par ses possessions territoriales, était devenue la prisonnière du système féodal. En tant que seigneurs terriens, les évêques avaient dû solliciter l’investiture de leur suzerain. Celui-ci en était venu à s’immiscer dans la nomination de son vassal, si bien que l’essentiel ne consistait plus dans l’élection de l’évêque et sa consécration religieuse, mais dans son investiture par son seigneur laïque, symbolisée par la remise de la crosse et de l’anneau.

La papauté n’avait pas échappé à cet abus et, jusqu’au milieu du xie s., avait été le jouet d’abord du pouvoir-impérial, puis des clans de l’aristocratie romaine. L’empereur Henri III (1039-1056) avait mis fin aux scandales en imposant, à partir de 1046, de bons prélats allemands sur le trône de Pierre. Mais ces papes réformateurs, acquis aux idées clunisiennes, s’étaient retournés contre l’autorité impériale elle-même. Ainsi, le conflit dit « des Investitures* », qui allait rendre célèbre le règne de Grégoire VII, était depuis longtemps en gestation et empoisonnait déjà la politique chrétienne.