Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Grèce (suite)

Une nation que miraculeusement les dieux semblaient avoir comblée de tous les dons de l’esprit : la science théorique naissait avec Thalès de Milet et Pythagore de Samos, marchant de pair avec la philosophie. Une architecture toute d’harmonie fleurissait. Peu à peu naissait un esprit qui jouissait dès le viiie s. d’une grande considération dans la Méditerranée, qui supplantait la science des vieux peuples égyptien ou chaldéen.

Pourtant, jamais la Grèce ne put s’unir : soucieux de leur indépendance, les Hellènes voulaient être directement responsables de leur destin. Cela empêchait que se constituent des États importants, où chacun n’aurait pu dire son mot sur la conduite des affaires publiques. Ainsi se perpétua la division du pays en multiples cités, qui — c’est le miracle grec — permettaient au citoyen une vie de bonheur, mais dont les disputes inévitables conduisirent à la ruine la Grèce tout entière.


La cité grecque

La civilisation grecque classique est donc une civilisation de la cité (polis). La cité est un petit groupe de citoyens : ainsi, on ne dit jamais dans un décret « Athènes » ou « l’État athénien décide... », mais « les Athéniens décident... ». « le peuple des Athéniens décide... ». Ce groupe est très réduit (une dizaine de milliers ; Platon en demande 5 040), de façon que chacun puisse connaître chacun, ce qui assure ainsi une extrême cohésion du corps civique.

Le citoyen remplit des devoirs (devoir financier, devoir militaire...) : il se doit à la cité. En échange, il a le privilège de participer au gouvernement de l’État, il est protégé par les lois (un étranger, en général, n’a aucun droit, sauf accord particulier et situation spéciale ; ainsi, si l’on punit le meurtre d’un étranger d’une cité grecque quelconque, c’est uniquement parce qu’il faut purifier le sol de la polis du sang répandu ; d’ailleurs, le meurtre d’un étranger n’est jamais puni de la même peine que le meurtre d’un citoyen) et par les dieux de la cité (chaque cité a ses dieux et ses cultes propres réservés aux citoyens).

Les citoyens se groupent autour d’un centre urbain : la ville, ou asty, qui sert de forteresse et aussi de centre à la vie politique, intellectuelle, religieuse, économique... Ce centre urbain est considéré comme indispensable (les Grecs qui, dans des régions reculées, n’en possèdent pas sont des semi-barbares), et le langage lui-même désigne indifféremment par polis la ville ou la cité. Le territoire qui se trouve autour de la ville et qui, sauf exception rare (Sparte ou certaines cités de type colonial), est peuplé, lui aussi, de citoyens vivant dans des villages s’appelle khôra. Il n’y a aucune différence entre les droits et les devoirs des citoyens, qu’ils habitent la cité ou le plat pays (il est bien évident, néanmoins, qu’il est plus difficile à un homme qui habite à une journée de marche de la ville de participer à la vie publique qu’à celui qui habite sur l’agora) : ce plat pays est indispensable à la vie de la cité, puisque c’est de là qu’elle tire ses richesses : il n’existe aucune cité qui n’ait pas de khôra.

La cité grecque de l’époque classique semble être une parfaite réussite sur le plan humain.

Mais ce qui est surtout sensible, c’est son échec sur le plan politique. Le monde des cités n’a pas su s’organiser de façon à pouvoir assurer aux Grecs un avenir, vivant, comme il le faisait, au jour le jour de la guerre, car l’esprit d’indépendance empêche toute union véritable entre les Grecs. La cité ne reconnaît en dehors de son intérêt aucun principe supérieur : ainsi, même son appartenance au groupe ethnique des Grecs, appartenance dont elle est fière, ne l’empêche pas de ne tenir aucun compte de certaines règles que des sanctuaires comme Olympie ou Delphes auraient pu faire prévaloir pour une justice internationale, un règlement des conflits à l’amiable, etc. Aucun engagement international n’est solide : des trêves entre Athènes et Sparte conclues pour trente ans, puis cinquante ans en 446 et 422-21 n’empêchèrent pas la guerre de reprendre en 431 et en 418 ; par la suite, l’hypocrisie fut même plus grande : on signait souvent la paix pour toujours et l’on recommençait très vite à s’entre-tuer.

La guerre est ainsi l’élément essentiel de la vie des cités grecques, guerre qui devient vite impérialiste, car comment mieux assurer l’indépendance de sa cité qu’en en faisant grandir la puissance ? La recherche du succès à tout prix ne pouvant que corrompre, les rapports entre cités ne seront plus régis que par la loi du plus fort. Ainsi, les Athéniens expliquent aux Méliens qu’ils vont écraser : « Une loi de la nature fait que toujours, si on est le plus fort, on commande ; ce n’est pas nous qui avons posé ce principe ou qui avons été les premiers à appliquer ce qu’il énonçait : il existait avant nous et existera pour toujours après nous, et c’est seulement notre tour de l’appliquer, en sachant qu’aussi bien vous ou d’autres, placés à la tête de la même puissance que nous, vous feriez de même » (Thucydide, V, 84-111). Ces guerres, où les vaincus étaient souvent passés par les armes, épuisèrent le monde grec ; les citoyens étaient trop peu nombreux pour que la mort au combat d’une centaine d’entre eux ne fût pas un désastre irréparable à la fois pour leur cité et pour toute la Grèce. Aussi le pays s’affaiblit-il peu à peu ; les Perses revinrent, et, à partir de 386, ce sont eux qui, de Sardes, dirigèrent bien souvent la politique dans la Grèce du ive s., une Grèce réduite à l’état de vassale.

Il fallait que les choses changent : ayant soif d’une paix qui leur redonnerait quelque force, les Grecs sentaient qu’il était temps qu’un pouvoir nouveau imposât aux cités la paix commune dans l’abandon de leurs privilèges. Ce fut des marches de la Grèce que vint pour un temps le salut des Hellènes : la Macédoine de Philippe II fit parler sa puissance et redonna force à 1’hellénisme, qu’Alexandre conduisit en Asie.