Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

gothique (art) (suite)

La cathédrale de Bourges*, contemporaine de Chartres, montre la richesse d’invention du xiiie s. Son vaisseau central, sans transept, est assis sur des piles très élevées. À travers les arcades, on voit l’étagement des doubles collatéraux, de hauteur différente. Il en résulte un espace intérieur prodigieux. Le Maître de Bourges ne renonce ni aux voûtes sexpartites, ni au jeu des colonnes, qui articulent fortement les murs dans une alternance savante, et cette plasticité se maintient en Bourgogne, à Auxerre*, à Notre-Dame de Dijon*.

La Normandie se convertit à l’art gothique à la fin du xiie s., à Fécamp, à Lisieux, et, à partir du chevet de Saint-Étienne de Caen, crée un art original, aux arcs très aigus et très moulurés, aux murs percés de nombreux passages. Cette architecture s’épanouit avec les cathédrales de Rouen*, de Coutances, de Bayeux* et, plus tard, de Sées. Il faut y rattacher la Merveille du Mont-Saint-Michel*, bâtie de 1203 à 1228, et aussi le chevet de la cathédrale du Mans*.

L’ordre cistercien, en pleine expansion, exporte l’architecture gothique vers l’Italie, à Chiaravalle Milanese ou à Fossanova, vers l’Allemagne, à Eberbach ou à Maulbronn, vers l’Espagne, à Poblet ou à Veruela, vers le Portugal, à Alcobaça, vers l’Angleterre, à Fountains Abbey ou à Rievaulx.

Mais, indépendamment des fondations cisterciennes, l’Angleterre élabore rapidement une nouvelle architecture. L’art gothique apparaît au chœur de la cathédrale de Canterbury*, construit en 1175 sous la direction de Guillaume de Sens. Le chœur de Chichester, la cathédrale de Lincoln, à l’aube du xiiie s., montrent des caractères proches de l’art normand, mais y ajoutent la polychromie des marbres noirs de Purbeck sur fond de calcaire blanc, accentuent la profondeur des murs et adoptent des plans très allongés, le plus souvent à chevet plat. La tour-lanterne, comme en Normandie, domine au-dessus des longues toitures, où les arcs-boutants se dissimulent volontiers, à l’inverse des contre-butements français. La cathédrale de Salisbury, commencée en 1220, consacre ce nouveau style.

Pendant que s’élèvent les cathédrales, la sculpture sur pierre envahit les façades. Le portail de la cathédrale de Senlis, à la fin du xiie s., avec son Triomphe de la Vierge, repris à Chartres et à Paris, marque un tournant et révèle un style plus humanisé que celui du portail royal de Chartres, tout en restant monumental. Cette sculpture calme, noble et sereine s’affirme aux six portes du transept de Chartres, dans les tympans comme dans les statues des apôtres, des martyrs et des confesseurs des ébrasements ou dans le Beau Dieu du trumeau de la porte du Jugement dernier. Le saint Firmin et le Beau Dieu d’Amiens, le Jugement dernier de Notre-Dame de Paris, le Beau Dieu de la cathédrale de Reims illustrent aussi cet art de haute qualité.


Le gothique rayonnant

Vers 1230-1240, le domaine capétien, déjà si riche en expériences, donne naissance au style rayonnant, qui conquiert, grâce au prestige de la royauté française, l’Europe occidentale et se continue jusque dans le courant du xive s. Ce style demeure gothique dans sa structure et ses procédés, mais il rompt avec l’équilibre instauré à Chartres, par une recherche de plus grande unité spatiale, obtenue par des ouvertures plus vastes au rez-de-chaussée, afin de faire communiquer vaisseau central et bas-côtés, et par des volumes plus ramassés et plus concentrés, qui réduisent le transept ou le déploiement du chevet. La lumière efface les dernières zones d’ombre grâce au vitrage des triforiums ou à leur suppression. L’articulation des murs tend à disparaître dans l’amenuisement des supports, qui se fondent dans un riche décor continu au triforium et plus encore aux fenêtres hautes, décomposées par leurs remplages en séries de lancettes surmontées de trilobes, de quatre-feuilles et de roses. Le réseau des fenêtres se poursuit à l’extérieur et couvre de ses motifs contreforts et arcs-boutants.

Cet art rayonnant se manifeste à Notre-Dame de Paris dans les chapelles latérales et aux deux roses du transept, à meneaux « rayonnants », œuvres de Jean de Chelles et de Pierre de Montreuil. Il apparaît aussi au transept et à la nef de Saint-Denis ainsi qu’à la cathédrale d’Amiens*, commencée en 1220 par Robert de Luzarches. Dans cet édifice, la nef rompt avec les proportions chartraines ; l’évolution est plus nette au chevet bâti par Thomas et Renaud de Cormont : le triforium s’y ajoure, se couronne de gables, se mêle au réseau des fenêtres. La Sainte-Chapelle de Paris (1241-1248) en est sans doute l’exemple le plus connu de cet art. C’est à la fois un édifice et un reliquaire. L’étage supérieur n’est plus qu’un espace unique, ouvert de toutes parts à la lumière ; il faut un effort pour retrouver dans la succession des fenêtres la structure architecturale.

Les cathédrales de Troyes*, de Tours*, la nef de la cathédrale de Strasbourg*, puis la cathédrale de Cologne* et l’abbatiale de Westminster diffusent le style rayonnant, qui supplante les inventions régionales : en Champagne, à Saint-Urbain de Troyes ; en Bourgogne, à Saint-Bénigne de Dijon ; en Normandie, à Evreux* et à Saint-Ouen de Rouen. Il s’étend dans le Sud : à Saint-Nazaire de Carcassonne, dans les églises bâties par Jean Deschamps (1218?-1295) [Clermont, Limoges) et plus tard à La Chaise-Dieu.

Mais l’Angleterre, malgré Westminster, reste fidèle à ses traditions et adapte les éléments rayonnants, surtout connus dans les milieux de la cour de Londres, à ses créations propres. C’est l’époque du style décoré — decorated style —, qui se poursuit jusqu’au milieu du xive s. à travers les cathédrales d’Exeter, de Winchester, d’York, la nef de Canterbury et l’extraordinaire tour-lanterne octogonale en bois d’Ely. L’Allemagne, longtemps réticente à l’architecture gothique, l’accepte au xiiie s. à Mayence, à Trèves (Notre-Dame), à Marburg (Elisabethkirche). Après 1250, les cathédrales de Strasbourg et de Cologne imposent le style rayonnant, puis, très vite, s’élaborent des formules originales, comme la tour unique de la façade de la cathédrale de Fribourg-en-Brisgau. L’art gothique s’étend aussi vers le nord : à l’église des saints Michel et Gudule de Bruxelles* et jusqu’au Danemark et en Suède. Vers le sud, il s’implante en Espagne, à Ávila, à Burgos*, à Tolède*, à Léon*, mais il s’y mêle un décor très particulier : l’art mudéjar, qui emprunte à l’islām, florissant dans le Sud, ses motifs et ses procédés. L’architecture gothique se rencontre aussi en Italie, adoptée par les ordres mendiants à San Francesco d’Assise et à Bologne, plus tard à Santa Croce de Florence*. La cathédrale de Sienne* appartient au gothique du xiiie s. dans sa majeure partie, mais avec une polychromie de marbres dans la tradition locale. À la cathédrale d’Orvieto, un peu après, les architectes dressent une façade garnie de gables gothiques, mais ne voûtent pas l’intérieur, manifestant ainsi un refus des procédés gothiques et un retour à l’art paléochrétien.