Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Goethe (Johann Wolfgang von) (suite)

Dans son autobiographie, il affirme même qu’il a tiré à « pile ou face » pour savoir ce que serait son « métier » ; l’autre, le dessinateur écarté par le hasard, ne s’est jamais retiré tout à fait, puisqu’il existe des milliers de dessins de la plume de Goethe et de toutes les époques de sa vie. Quand il voulait voyager incognito, par exemple dans ses premières années à Weimar, il se donnait pour un peintre qui revenait d’Italie, ou bien des bords du Rhin. Œser lui avait appris à voir, et il traitait les objets du monde extérieur comme ferait un peintre ; la précision dans la description lui a toujours semblé un principe de la poésie, et son horreur du vague fit de lui, plus tard, un adversaire de l’esprit romantique.


Strasbourg et la Rhénanie : le temps des génies 1770-1775

Après Leipzig, Goethe dut soigner, chez ses parents, à Francfort, un mal mystérieux qui, selon lui, ne put être guéri que par un médecin cabaliste. Le poète fit connaissance de l’occultisme et, en compagnie d’une amie de sa mère, Susanne von Klettenberg, il se laissa initier aux pratiques piétistes. La magie, le monde des esprits devaient bientôt entrer dans son œuvre ; les premières scènes du Faust, qui seront écrites quelques années plus tard, en portent la trace, et les Confessions d’une belle âme, insérées dans le Wilhelm Meister, sont l’histoire d’une femme qui, comme Susanne von Klettenberg, tend vers la spiritualité pure. Mais, avec la santé revenue, Goethe partit, au printemps de 1770, pour Strasbourg, afin d’y continuer son droit. Il devait y trouver le groupe de jeunes gens qui reconnurent en lui le créateur que leur génération attendait.

Après un an à Strasbourg, il revint à Francfort, passa une autre année à Wetzlar, puis deux à Francfort, voyagea en Suisse et sur les bords du Rhin, mais toute cette période de sa vie, qui est sa jeunesse poétique, fut liée aux pays rhénans. De Düsseldorf, patrie des frères Jacobi, par Darmstadt, où vivait Merck, à Francfort, patrie de Klinger (1752-1831), et à Strasbourg, où vécut Lenz (1751-1792) et d’où venait H. L. Wagner (1747-1779), c’est dans les provinces occidentales de l’Allemagne que se retrouvaient, avec quelques excursions à Zurich, où vivait Lavater (1741-1801), ceux qui sacrifiaient au culte du génie, à la religion de la spontanéité créatrice, qui rejetaient les règles anciennes, toutes les poétiques et passablement aussi la dogmatique pour exalter les grands artistes régionaux et, par-dessus tous les autres, Shakespeare. C’est l’assaut donné aux forteresses du passé, le « Sturm und Drang » ; plus encore, c’est le « temps des génies », que les générations précédentes avaient appelé de leurs vœux, et il surgissait un jeune poète paré de tous les dons.

À Strasbourg, il fit de grandes rencontres : la cathédrale tout d’abord, qu’il visita le jour même de son arrivée en avril 1770. Ce chef-d’œuvre inachevé du gothique lui donna sa première grande émotion architecturale : il avait devant les yeux l’œuvre « incommensurable » d’un génie, d’une suite de génies, symbole de l’unité couronnant la diversité, colossale affirmation du génie créateur des hommes. Devant la flèche de Strasbourg, Goethe a évoqué la figure de Prométhée, le titan qui brave les dieux. Il fait aussi d’Erwin de Steinbach, architecte badois de la cathédrale, un génie spécifiquement allemand. Le gothique lui apparaît comme l’art national des Allemands ; il reviendra plus tard à des admirations plus classiques, et, au cours du siècle dernier, les historiens ont mis en évidence que le gothique naquit en Île-de-France avant de fleurir sur les bords du Rhin. Mais si le jeune homme de Strasbourg jouait avec l’histoire, du moins avait-il saisi d’un coup et d’instinct toute la grandeur de l’élan gothique.

Pour y mieux demeurer fidèle, il se garda de pousser plus loin son voyage et d’aller, par exemple, à Paris. Il savait bien le français ; il s’en est servi pour des lettres et des œuvrettes de sa jeunesse. Pourtant, il lui apparut clairement à Strasbourg qu’il était mieux fait pour demeurer en pays allemand, loin des fastes trompeurs et des artifices. Herder, pasteur de Courlande qui revenait justement de Paris et qui faisait étape à Strasbourg, le confirma dans son sentiment : la poésie allemande pouvait revivre, mais en puisant dans la tradition populaire des Volkslieder et, au théâtre, en se mettant à l’école de Shakespeare. Ce sont là les sujets des premiers écrits en prose de Goethe, publiés avec Herder en 1773.

À l’année alsacienne de Goethe s’attache aussi la figure touchante de Friederike, fille du pasteur Brion, de Sesenheim. Il l’a abandonnée, fuyant le bonheur champêtre qu’il chantait dans ses vers, mais se réservant de l’éterniser dans le personnage de Marguerite. Les premières ébauches du Faust remontent au lendemain de Strasbourg.

À cet étudiant peu assidu, l’université de Strasbourg délivra en 1771 une licence en droit. Goethe retourna à Francfort avec son parchemin et devint avocat stagiaire, comme le souhaitait son père. Un an plus tard, il était auditeur à la Chambre d’Empire (Reichskammer) de Wetzlar.


« Werther »

Cette « Chambre d’Empire » avait à connaître des litiges entre les États qui formaient le Saint Empire. Elle travaillait très lentement ; Goethe continua à faire des vers et surtout des visites à Charlotte Buff, qui habitait près de Wetzlar et qui était fiancée à J. C. Kestner, un collègue de Goethe.

Après une année à Wetzlar, Goethe revint à Francfort, portant en lui une blessure et une incertitude si profondes qu’il en fit un roman, bref mais destiné à le rendre célèbre en quelques mois : Die Leiden des jungen Werthers (les Souffrances du jeune Werther). L’année de publication, 1774, est une date dans l’histoire du roman. Genre d’abord tout d’imagination et d’aventures, le roman trouvait en Werther une direction nouvelle, car dans ce livre il ne se passe rien et on peut dire, d’après la correspondance et le journal de Goethe, que rien n’y est inventé. C’est simplement l’analyse des états d’âme d’un amoureux que ronge un mal sans merci. Le coup de feu qui l’achève et le délivre constitue toute l’action du roman.