Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goethe (Johann Wolfgang von) (suite)

Aussi fit-il scandale, car on sut que c’était une confession. Il y eut des attaques et des parodies, mais l’« auteur de Werther », comme devait dire Napoléon en 1809, devint en un an l’auteur allemand le plus lu. Goethe devait dire plus tard que toutes ses œuvres étaient les fragments d’une grande confession ; il en avait livré, avec Werther, la page probablement la plus intime.

Comme par compensation, l’année de Werther fut aussi celle de Götz von Berlichingen, drame « gothique » auquel l’auteur rêvait déjà à Strasbourg quand il admirait, du haut de la cathédrale, les pays entre Vosges et Forêt-Noire.

Chevalier rebelle mais épris de justice, Götz défend la cause de l’empereur alors que l’Empire se disloque ; il n’a peur ni des mots ni des coups, il a toutes les audaces, un peu comme le docteur Martin Luther, qui apparaît dans le drame, ou comme le comte d’Egmont, auquel Goethe songea peu après. Drame shakespearien par plus d’un côté, Götz fut acclamé par les amis du génie et du « Sturm und Drang », plus généralement par la jeune génération. Le prince héritier Charles-Auguste de Saxe-Weimar appartenait à cette génération : faisant étape à Francfort alors qu’il se dirigeait vers la Suisse, il invita le jeune poète à venir s’établir à Weimar ; on lui assurait une fonction qui lui permettrait de vivre en toute liberté.


Départ pour Weimar

Dans le récit de sa vie, Poésie et vérité, Goethe s’arrête au moment où il quitta Francfort pour aller s’établir à Weimar. Il ajoute qu’à partir de cette date les événements de sa vie sont connus et, surtout, que ses œuvres en rendent compte mieux qu’aucun récit biographique. L’invitation du prince de Weimar était d’abord la reconnaissance de son talent : il pourrait désormais en vivre avec honneur. En même temps, Charles-Auguste faisait de lui son confident, et demain son mentor. Fils d’une république marchande, Goethe accédait au rang de conseiller intime d’un prince ; il devait le demeurer jusqu’à sa mort avec des fonctions plus ou moins étendues. Longtemps aussi il eut la direction du théâtre de Weimar : il devait encore, à partir de 1780, s’intéresser aux ruines de la région d’Ilmenau, qu’il a voulu remettre en état et pour lesquelles il a imaginé des machines nouvelles.

Sa situation auprès du prince lui permettait de s’essayer à des activités diverses. Pénétré de l’idée qu’il pourrait introduire des réformes utiles et redresser des injustices, il a vite mesuré les limites d’une principauté de peu d’étendue, dont la production était faible, la paysannerie souvent proche de la misère et l’aristocratie soucieuse d’arrêter les réformes quand elles pouvaient réduire ses privilèges. Aussi Goethe fut-il souvent en conflit avec d’autres ministres.

La production littéraire des premières années est surtout faite d’œuvres dramatiques secondaires. Il était encore à Francfort quand il écrivait Clavigo (1774), tragédie entièrement tirée de Beaumarchais, où celui-ci est mis en scène dans un épisode espagnol repris de ses mémoires. Claudine von Villa Bella, « spectacle avec chant », est une fantaisie dans le goût des badinages « rococo » ; Stella (1776) a pour sous-titre « spectacle en cinq actes pour amoureux ». Il y a aussi nombre de textes de circonstance, écrits à l’occasion d’événements divers survenus à la Cour : ce rôle de poète de cour, Goethe a dû le remplir jusque dans ses dernières années. Ses œuvres complètes comportent ainsi des tomes entiers de poèmes, de divertissements dramatiques et d’opérettes (Singspiele) dans un ton plus grave quand Weimar fut devenue l’« Athènes du Nord », mais légers et diserts dans les premières années.


Poésie de circonstance

Si Goethe s’est plu à dire que son œuvre entière était « poésie de circonstance », ce n’est pourtant pas à ces textes de cour qu’il pensait. C’est plutôt à une exigence d’objectivité qu’il songeait et à un rapport étroit entre l’art et la réalité des choses. Eckermann a noté dans ses Conversations avec Goethe (jeudi 18 sept. 1823) une déclaration qui constitue un des fondements de la poétique de Goethe : « Le monde est si grand et si riche, la vie si multiple que les sujets de poèmes ne manqueront jamais. Mais tous doivent être des poésies de circonstance, c’est-à-dire que c’est la réalité qui doit en fournir l’occasion et le sujet. Un cas particulier devient général et poétique précisément par le fait qu’un poète en fait le sujet de son œuvre. Toutes mes poésies sont des poésies de circonstance, elles ont été suscitées par des réalités, elles y trouvent leur fondement et leur consistance. Des poèmes entièrement imaginés et comme tombés des nues ne valent rien à mes yeux. » Le poète ne doit donc pas se retirer du monde, mais en avoir une connaissance variée et vivante. Le rêve et ses fantasmes inspirent de mauvais poèmes ; aussi Goethe a-t-il refusé les doctrines romantiques, les décrets arbitraires de la fantaisie poétique tout comme il regardait avec étonnement le romancier Jean-Paul (Johann Paul Friedrich Richter), qui, dans la retraite et la rêverie, avait écrit des histoires d’un romanesque sans mesure, qui enchantaient le public féminin. D’un autre côté aussi, cet attachement au concret et cet amour de l’expérience éloignaient Goethe de l’abstraction et de la spéculation philosophique dans les lettres. La symbolique devait jouer dans son œuvre un rôle croissant à mesure qu’il avançait en âge, ainsi dans le second Faust, qui fut son dernier ouvrage ; mais il refusait l’art abstrait.

Ce poète, ministre et collectionneur (surtout après son voyage en Italie), n’a jamais cessé de consacrer une large partie de son temps à l’observation et à l’expérimentation. « Le monde est si grand et si riche », disait-il à Eckermann : soixante années durant il a quotidiennement observé, dessiné et exprimé les formes et les couleurs. Il a laissé plusieurs milliers de dessins, des relations de voyages et des notations quotidiennes. Il avait installé dans sa maison de Weimar un laboratoire d’optique.