Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Goethe (Johann Wolfgang von)

Écrivain allemand (Francfort-sur-le-Main 1749 - Weimar 1832).



Francfort et Leipzig

« Le 28 août 1749, midi sonnait à Francfort-sur-le-Main quand j’y vins au monde. La conjoncture astrale était favorable : le Soleil était sous le signe de la Vierge et culminait pour la journée ; Jupiter et Vénus le regardaient favorablement... » C’est par ces mots que commence l’autobiographie de Goethe, où l’auteur se plaît à marquer qu’il naquit « sous une bonne étoile » et qu’il y eut dès sa naissance comme un accord préétabli entre l’univers et lui. C’est un trait foncier de sa nature comme de son œuvre que cette harmonie et le grand amour de l’ordre qui en découle.

Goethe fut un enfant choyé, élevé dans une belle maison patricienne où rien n’était fait pour l’apparat, mais où rien non plus n’était de mauvaise qualité. Sa famille était de bonne bourgeoisie, son grand-père maternel avait été échevin : par leurs charges et par leurs biens, ces patriciens valaient la noblesse, et c’est là précisément le type d’hommes, et même la classe sociale, auxquels devaient aller toujours les préférences du poète. Une bourgeoisie qui ne renie pas ses origines roturières mais se distingue par sa valeur, une aristocratie libérale qui sait dépasser les préjugés de caste semblaient à Goethe les meilleurs garants d’une société moderne, humaniste et libérale. Il n’a pas oublié l’exemple de Francfort.

Il a reçu, à la maison, une instruction très soignée et qui aurait pu être celle d’un jeune gentilhomme, avec un professeur de musique et assez de leçons de français pour pouvoir l’écrire très correctement à seize ans et s’essayer à y faire des vers. On lui laissait aussi beaucoup de temps pour les jeux, le patinage et de longues promenades. Éducation urbaine, dans les murs d’une grande cité marchande dont l’enfant regarde émerveillé l’activité grouillante, où il découvre tôt les différences entre les classes et aussi le ghetto qu’on fermait encore chaque soir avec des chaînes ; mais il assiste aussi en 1764 au couronnement de Joseph II avec tout le faste des cérémonies du Saint Empire, où les princes-électeurs faisaient assaut de magnificence. Toutes ces impressions d’enfance ont leur écho dans l’œuvre poétique, tôt ou tard, très tard parfois, par le jeu d’une mémoire sûre et le pouvoir de retrouver le passé dans le présent, le signe dans l’image, le symbole dans le souvenir et les liens mystérieux qui se tissent à travers les temps et les pays.

Il vit aussi la ville occupée par les troupes françaises et un officier logé chez ses parents ; Francfort était une ville libre et ne prenait point part à la guerre de Sept Ans, mais à la table de famille on commentait les événements et on se réjouissait des victoires du grand Frédéric II de Prusse. En regardant les marionnettes de la foire, le jeune garçon découvrait le théâtre et ses enchantements, qu’il transportait dans le grenier paternel, comme il devait le conter plus tard dans la première version de Wilhelm Meister. La Messiade lui ouvrit le monde de la poésie, et Klopstock, poète de l’Écriture, devait être son premier modèle. C’est sur des sujets empruntés à la Bible qu’il commença à faire des vers, et, quand il fut question de choisir une université, il demande Göttingen pour y entendre l’orientaliste Michaelis (1717-1791) commenter le texte sacré. Il avait le même sérieux que Klopstock, le souci de se former en s’appliquant à un grand objet.

Mais son père voulait faire de lui un juriste et l’envoya étudier le droit à Leipzig, grande cité marchande comme Francfort, mais qui avait une université. Le jeune Goethe y arriva au cours de l’automne 1765 et y demeura trois ans ; il y fit du droit, sans plaisir, mais surtout il y connut la vie d’étudiant et fit ses débuts poétiques. Plus que les professeurs de droit, il visita les maîtres du Parnasse allemand qui enseignaient à Leipzig : le majestueux Gottsched (1700-1766), qui aurait aimé être le Boileau des Allemands, mais qui vieillissait, le fabuliste et romancier Gellert (1715-1769), dont la manière était plus légère, plus proche du ton « anacréontique », qui était alors en faveur. Leipzig avait la réputation d’être « un petit Paris », et le jeune homme de Francfort s’y fit tailler des habits neufs. Il chanta aussi sur le mode galant et allusif les charmes de Käthchen Schönkopf, ainsi que l’amitié de Behrisch, qu’il appréciait pour son mépris des conventions. Les anacréontiques et Klopstock mettaient très haut l’amitié ; Goethe connut une série d’amitiés décisives dans ses jeunes années : après Ernst Wolfgang Behrisch (1738-1809) à Leipzig, Herder à Strasbourg et Johann Heinrich Merck (1741-1791) à Darmstadt. Intenses et révélatrices, passionnées et polémiques, elles l’ont mené vers des hommes qui ne le ménageaient pas et qui semblent l’avoir traité un peu comme Méphisto traitera le docteur Faust.

La poésie de Leipzig est dans la manière enjouée et enrubannée de ce temps-là : ainsi la toute première œuvre du poète, une comédie-opérette, le Caprice de l’amant (Die Laune des Verliebten), qui est de 1767. Ses personnages pourraient être d’un Salomon Gessner (1730-1788), admirateur de Jean-Jacques Rousseau ; pour Goethe, la Suisse devait rester le lieu d’élection des paysans de théâtre, comme il apparaît dans une opérette faite beaucoup plus tard (en 1780) pour distraire la cour de Weimar : Jery und Bäteli. En 1769, paraissaient, sans nom d’auteur, les Nouveaux Chants (Neue Lieder) qui constituent le premier recueil de Goethe : sujets aimables, vers faciles, qui déjà tranchent sur la poésie du temps par la netteté du trait. Goethe aimait assez le dessin, auquel Adam Œser (1717-1799), ami de Winckelmann, l’avait initié à Leipzig, pour hésiter des années durant entre l’art du dessinateur et celui du « versificateur ».