Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

Gobelins (les) (suite)

Colbert s’éteignait en 1683. Dans la querelle du dessin et de la couleur (v. classicisme), son successeur, Louvois, prit parti contre Le Brun, zélateur du dessin, en faisant mettre sur les métiers les cartons d’un coloriste, Pierre Mignard*. À la mort du premier peintre, Mignard reçut à la fois toutes les charges qu’avait remplies Le Brun, et qu’il était bien incapable d’exercer. D’ailleurs, la situation des finances du royaume était telle que Louis XIV dut prononcer en 1694 la fermeture de la manufacture. Elle ne rouvrit ses portes qu’en 1699, mais réduite aux ateliers de tapisserie, dont les chefs avaient, à leurs dépens, maintenu quelque activité. Du premier quart du xviiie s. datent l’Ancien Testament d’Antoine Coypel*, les Nouvelles Indes de François Desportes, les Portières de dieux dont les « alentours » de Claude III Audran* annoncent la révolution du goût.

Celle-ci allait prendre, sous le directorat de Jean-Baptiste Oudry*, un tour fâcheux. Le grand peintre, qui dirigeait avec succès la manufacture de Beauvais*, avait composé une tenture des Chasses de Louis XV, dont il eut mission de contrôler l’exécution aux Gobelins. Exigeant une reproduction rigoureuse de sa peinture, il fit introduire dans la « palette » les « petits teints », fins et frais dans leur état premier, mais fragiles et fugaces. Les hommes de métier protestaient, Oudry l’emporta. Les tentures exécutées dès cette époque ont subi les outrages prévus par les tapissiers : dans les Chasses de Louis XV, de larges parties sont décolorées ; de l’Ambassade turque, de Charles Parrocel (1688-1752), ne subsistent que des taches dispersées ; de l’Esther et du Jason de Jean-François De Troy*, les tonalités ont baissé, et nombre de plages sont blanches.

La prédominance de la tapisserie-tableau, coûteux tour de force obtenu par le rapetissement du point et la multiplication des tons, au mépris de l’invention décorative, ne fera que s’accentuer au xixe s. La production, en même temps, reflétera la banalité de l’éclectisme officiel.

En 1907, le critique Gustave Geffroy (1855-1926) fait appel aux impressionnistes. Mais avec lui commence l’introduction des colorants artificiels, source de nombreuses-déconvenues. C’est en 1937 qu’une nouvelle direction fait prendre à la manufacture un virage décisif, tant sur le plan de l’esprit que sur celui des techniques, en mettant sur métier des cartons de Lurçat*, Gromaire*, Pierre Dubreuil (1891-1970). Ces artistes furent envoyés durant la guerre à Aubusson (v. Limousin et Marche), où le mouvement de rénovation se poursuivit. Réunies dans les mêmes locaux parisiens, avec la Savonnerie pour les tapis*, les manufactures de Beauvais (basse lisse) et des Gobelins (haute lisse) perpétuent aujourd’hui le métier traditionnel, mis au service de l’art contemporain ; leur production est réservée à l’État.

G. J.

➙ Tapisserie.

 M. Fenaille, État général des tapisseries de la manufacture des Gobelins depuis son origine jusqu’à nos jours, 1600-1900 (Hachette, 1903-1912 ; 5 vol.). / J. Guiffrey, les Manufactures nationales de tapisserie. Les Gobelins et Beauvais (Laurens, 1906). / J. Niclausse et G. Janneau, le Musée des Gobelins (Éd. des Bibliothèques nationales de France, 1938-39 ; 2 vol.). / G. Janneau, Évolution de la tapisserie (Compagnie des arts photomécaniques, 1947).
CATALOGUE D’EXPOSITION. Les Gobelins, trois siècles de tapisserie (Mobilier national, 1966).

Gobineau (Arthur de)

Écrivain français (Ville-d’Avray 1816 - Turin 1882).


Le nom de Gobineau est souvent cité à propos d’idéologies dont les conséquences ont profondément marqué le monde contemporain — pangermanisme des années 1900-1914, racisme des années 1925-1945 — et dans lesquelles on lui attribue une part de responsabilité. Réputation fâcheuse, qui résulte de jugements hâtifs, et peut-être d’abord du fait singulier que cet écrivain français, presque totalement ignoré dans son temps et dans son pays, a conquis une gloire posthume grâce à la ténacité d’un érudit allemand.

Arthur de Gobineau appartient à une vieille famille de bourgeoisie gasconne qui a donné, au xviiie s., plusieurs notables à la ville de Bordeaux : c’est par orgueil qu’après 1850 il s’attribuera indûment le titre de comte. Après une enfance douloureusement marquée par les aventures d’une mère qui défraya la chronique judiciaire, il cherche, à partir d’octobre 1835. à faire une carrière littéraire à Paris, collabore à la presse légitimiste, écrit de médiocres poèmes (Dilfiza, Manfredine), publiés seulement en 1965 par Mme Berselli Ambri à Florence, mais aussi des romans-feuilletons qui ne sont pas sans talent (le Prisonnier chanceux, 1847 ; Ternove, 1848 ; l’Abbaye de Typhaines, 1848). En 1849, il devient chef de cabinet de Tocqueville, ministre des Affaires étrangères, et celui-ci le fait entrer dans la diplomatie. Successivement secrétaire d’ambassade à Berne (1849-1854), à Francfort (1854), à Téhéran (1855-1858), dans les divers postes qu’il occupe, Gobineau s’intéresse aux pays où il réside en sociologue et en moraliste. De 1853 à 1855, il publie l’Essai sur l’inégalité des races humaines. Ce discours sur l’histoire universelle, qui dénote une érudition hâtive et superficielle, affirme avec une hauteur tranchante que les races humaines sont inégalement douées, que la civilisation est l’œuvre de la seule race blanche et surtout de son rameau le plus noble, la famille aryenne. Les civilisations, selon Gobineau — et Valéry lui reprendra ces vues pessimistes —, sont mortelles : à mesure que le brassage des races diminue la proportion de sang aryen qu’elles renferment, le genre humain s’achemine vers sa décadence. Cette apocalypse, œuvre d’un poète amer bien plus que d’un philosophe, mérite d’être placée parmi les grandes épopées romantiques ; mais, à l’inverse des visions épiques de Lamartine, de Michelet, de Victor Hugo, qui toutes célèbrent l’ascension de l’homme vers la lumière, le pessimisme radical de Gobineau conclut à la déchéance inéluctable de l’humanité sous l’action des métissages.