Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
G

gnostiques (suite)

Valentin, d’abord dans la capitale égyptienne, puis à Rome (v. 135-160), portera cette tendance spéculative du gnosticisme de la lignée asiate, illustrée déjà si fortement par Basilide, à son plus haut point de perfectionnement. Lui aussi veut expliquer la conscience malheureuse des hommes par des raisons métaphysiques. Si nous vivons dans un monde hostile et violent, qui cause notre perte, c’est pour connaître l’angoisse dont souffrent inévitablement des êtres spirituels lorsqu’ils sont aliénés dans la condition charnelle, égarés dans le temps et enfermés dans un cosmos matériel. La tristesse et la terreur de cette aliénation nous font aspirer aux réalités supérieures, auxquelles nous appartenons par notre essence intime. Du coup, nous découvrons que la vraie révélation, ou « gnose », réservée aux spirituels purs, ne saurait se produire selon les contingences de l’histoire, comme le pensaient les juifs. Ne faisaient-ils pas aussi de l’homme lui-même le responsable de son malheur collectif, ce qui n’a vraiment pas de sens, puisqu’il n’est pas possible dans ce cas de justifier Dieu d’avoir créé un monde aussi mauvais. En réalité, il n’y a de révélation et de salut authentiques pour l’homme qu’à partir de sa structure essentielle. La vraie gnose consiste donc à saisir que le drame vécu par chacun d’entre nous au cours de l’existence actuelle nous rend solidaires d’un drame absolu, celui de Dieu lui-même. Il y a drame en Dieu parce que Dieu est surabondant. Un processus interne de son Plérome, ou monde divin, tend à éliminer l’excès toujours compris dans une surabondance. Cet excès se cristallise dans le « désir » dont est possédé l’être pléromatique nommé « Sophia », Sagesse. Une fois expulsé, l’« excès » devient déchet. Un démiurge s’en sert pour façonner notre monde. Le « désir » de « Sophia » revit dans l’angoisse des hommes. Ils aspirent à sortir dans les meilleures conditions de leur déchéance actuelle pour réintégrer le Plérome, leur patrie originelle d’avant les temps.

Après une contestation aussi intense et tragiquement vécue, qui s’en prenait aux dogmes bibliques et au génie sémitique dans ce qu’ils ont de plus profond, mais aussi bien à toutes les traditions foncières de l’hellénisme, le christianisme changea de visage. Il s’organisa beaucoup mieux en Église une et universelle pour réagir contre Marcion. Il se donna des bases de théologie biblique et une cohérence philosophique entièrement repensées par des hommes comme Irénée* de Lyon, Tertullien* de Carthage et Origène* l’Alexandrin. Mais la théologie classique et la philosophie religieuse de l’hellénisme, elles aussi, se renouvelèrent pour surmonter cette crise, en suscitant la dernière création géniale de cet ordre dans l’Antiquité, le néo-platonisme. Les gnostiques n’ont pas pu imposer leur monde imaginaire à la conscience de l’Occident, mais leurs intuitions n’ont cessé de revivre, dans le manichéisme* d’abord, jusque chez les cathares*, et l’on n’aurait pas de peine à retrouver leur forme de pensée dans certains traits du surréalisme ou dans l’univers esthétique de Pablo Picasso.

C. K.

➙ Christianisme / Irénée (saint) / Origène / Tertullien.

 E. Amann, « Marcion » dans Dictionnaire de théologie catholique, t. IX (Letouzey et Âné, 1927). / G. Quispel, l’Homme gnostique : la doctrine selon Basilide (Eranos Jahrbuch, XVI, 1948). / R. M. Grant, Gnosticism and Early Christianity (New York, 1959 ; trad. fr. la Gnose et les origines chrétiennes. Éd. du Seuil, 1964). / S. Hutin, les Gnostiques (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1959 ; 3e éd., 1970). / J. Daniélou et H. Marrou, Nouvelle Histoire de l’Église, t. I : Des origines à saint Grégoire le Grand (Éd. du Seuil, 1963). / M. Simon et A. Benoît, le Judaïsme et le christianisme antique d’Antiochus Épiphane à Constantin (P. U. F., coll. « Nouvelle Clio », 1968). / R. M. L. Wilson, The Gnosis and the New Testament (Philadelphie, 1968 ; trad. fr. Gnose et Nouveau Testament, Desclée et Cie, 1969).

Gobelins (les)

Manufacture française de tapisserie.


La manufacture des Gobelins doit son nom à la famille de « teinturiers d’escarlate » venue au xve s. installer ses cuves près de Paris, sur la rivière de Bièvre. Quand, pour relever l’industrie de la tapisserie* murale, Henri IV attira toute une colonie de praticiens flamands, c’est dans les bâtiments des Gobelins qu’il l’établit. Sous la direction de deux maîtres, Frans Van den Planken (François de La Planche) et Marc de Coomans, les ateliers, dits « du faubourg Saint-Marcel », tissèrent de fort belles tentures, comme l’Histoire de Constantin d’après Rubens*, celle d’Artémise, en partie d’après Henri Lerambert († 1609), puis, après 1627, l’Ancien Testament d’après Simon Vouet*. L’établissement allait prendre en 1661-62 un caractère nouveau, Colbert* le concevant comme la manufacture pilote de l’ensemble des métiers d’art. Charles Le Brun*, nommé premier peintre de la Couronne, reçut le lourd directorat des ateliers, qui n’allaient pas seulement être ceux des tapissiers (avec le renfort des praticiens venus de la manufacture que Nicolas Fouquet* avait établie à Maincy pour les besoins de Vaux), mais aussi ceux des « faiseurs de cabinets », des menuisiers sculpteurs, des mosaïstes et lapidaires, des orfèvres et ciseleurs. L’institution put présenter à Louis XIV, le 25 octobre 1667, un ensemble de chefs-d’œuvre qui lui valurent son érection en manufacture royale des meubles de la Couronne.

Le Brun dirigeait tout, inspirait l’école de dessin, dont son élève Louis Licherie (1629-1687) avait la conduite. Il donnait aux ateliers non seulement l’impulsion, mais la doctrine et les « idées », c’est-à-dire les thèmes des compositions. Les tapissiers lissiers ont produit, pendant les quelque vingt-sept ans de son directorat (1663-1690), cinquante-trois tentures : dix-neuf tissées à hautes lisses, soit 4 100 aunes carrées, et trente-quatre exécutées à basses lisses, soit 4 294 aunes carrées (l’aune de Paris valant 1,31 m du système métrique). Les tentures en la tessiture desquelles entraient des fils d’or étaient exécutées à hautes lisses et réservées à la Couronne. Pour alimenter les métiers, occupant quelque deux cent cinquante artisans, travaillait toute une équipe de peintres. L’idée du chef était traduite en un « modèle » à grandeur d’exécution, reproduit ensuite sous la forme de « cartons » que les tapissiers découpaient en zones pour, la commodité de leur travail. Le modèle même, exécuté sous la direction d’un des « peintres d’histoire », désigné par Le Brun, était une œuvre collective. Les figures en étaient peintes par Baudoin Yvart, Louis Testelin, Gilbert et Pierre de Sève, Antoine Mathieu, René Antoine Houasse ; les paysages, par Adam Frans Van der Meulen et Abraham Genoels ; les architectures en perspective, par Guillaume Anguier ; les animaux, par Nicasius Bernaerts, Pieter Boel, puis François Desportes* ; les fleurs, par Baptiste Monnoyer et Jean-Baptiste Belin de Fontenay ; les natures mortes, par Desportes et Jean Garnier. Ce sont là les collaborateurs de la première génération, auxquels s’adjoindront dans la suite nombre de brillants artistes ; les états d’émargement en citent quarante-neuf. La plupart des tentures que tissa la manufacture royale subsistent ; l’Histoire de Roy, l’Histoire d’Alexandre, dont Le Brun lui-même exécuta les modèles (conservés au Louvre), les Saisons, les Éléments, les Maisons royales et la charmante tenture des Muses, commencée à Maincy.