George (Stefan) (suite)
C’est vers le même moment que George, à Munich, vécut au milieu d’un groupe de penseurs quelquefois appelés « cosmiques ». Tous plus ou moins nietzschéens, d’orientations différentes pourtant, ils communiaient dans le culte de l’irrationnel et des révélations secrètes, associé à un grand mépris du monde contemporain ; ainsi Ludwig Klages (1872-1956), le « mage » Alfred Schuler (1865-1923) et le poète messianique Karl Wolfskehl (1869-1948).
C’est aussi à Munich que George rencontra « Maximin », le jeune homme qui devint à ses yeux un symbole de la beauté et de la jeunesse ; il fit de lui l’objet d’une vénération dont on entend l’écho dans ses poèmes. Dans sa dévotion à l’éphèbe surhumain, le poète se soucie moins du pouvoir immédiat qu’il peut exercer et se fait plus volontiers prophète : ainsi dans le recueil « septiforme » de 1907, le Septième Anneau (Der siebente Ring) et plus encore dans l’Étoile de l’alliance (Der Stern des Bundes), qui est de 1914.
George se sépare d’une société adonnée au profit, déplore que le peuple n’ait plus accès aux trésors de la langue nationale et maudit une époque de confusion et de doute. Mais il rêve aussi d’une autre humanité, d’une autre société qui aurait retrouvé le sens du divin, d’une communauté régénérée.
La Première Guerre mondiale lui apparut comme une confirmation de ses craintes et de ses refus. Après 1918, plus encore qu’avant 1914, il réunit autour de lui, leur chef reconnu, les disciples qui formaient le cercle des adeptes et des jeunes gens qui devaient y être progressivement initiés. Il a exercé une influence certaine sur la jeunesse d’après 1918, sur ceux qui réfléchissaient aux causes de leur défaite et regardaient vers l’avenir. Lui avait dénoncé les tares d’une société sans dieux ni héros. À la défaite devait succéder un réveil et une renaissance, car « un peuple meurt quand ses dieux sont morts ».
Mais le poète est là pour faire que la grandeur redevienne possible, pour que les hommes de langue allemande continuent d’habiter et surtout de croire en « un pays qui demeure le pays des promesses, un pays qui ne sombrera pas ».
Ainsi parlait Stefan George dans son dernier recueil de vers : Das neue Reich (le Nouvel Empire), qui est de 1928.
Quand Hitler prit le pouvoir, en janvier 1933, pour, lui aussi, réveiller l’Allemagne, on aurait pu croire que le rêve du poète se réalisait. Mais il y avait loin du poète altier et aristocratique au tacticien démagogue. George sentit que le faux prophète usurpait ses mots ; il quitta l’Allemagne et partit pour la Suisse.
C’est aussi du cercle de Stefan George que sortait l’officier qui posa une bombe sous le bureau du Führer, le 20 juillet 1944, le colonel comte Claus Schenk von Stauffenberg.
P. G.
K. Hildebrandt, Das Werk Stefan Georges (Hambourg, 1960). / M. Gerhard, Stefan George, Dichtung und Kündung (Berne, 1962).