Poète allemand (Büdesheim, près de Bingen, Rhénanie, 1868 - Minusio, près de Locarno, 1933).
L’œuvre lyrique de Stefan George tient en peu de volumes, mais porte, dès ses débuts, les marques d’une volonté affirmée d’originalité. C’est une tentative pour retrouver un langage poétique nouveau et plus exigeant. Il a voulu aussi, par la force de son verbe et son exemple, rassembler et diriger un cercle de disciples, les initier à une conspiration contre toutes les platitudes du siècle. Parti de l’art pour l’art, craintif d’abord et réservé, il devint prophète, chef vénéré d’une cohorte choisie.
Né en Rhénanie catholique et élevé dans la fidélité ultramontaine, George passe pour avoir senti très tôt le besoin de créer un langage puisqu’il employait déjà avec ses condisciples, à l’école, une langue ésotérique appelée imri. Quelques années plus tard, après un séjour à Paris, il écrivait dans un idiome forgé par lui et baptisé lingua romana. Ses Dessins en gris (Zeichnungen in grau) ont été d’abord écrits dans cette langue avant d’être publiés en allemand. Les mots du langage poétique ont toujours été le premier souci de ce créateur verbal qui avait son orthographe, sans aucune majuscule, et une ponctuation réduite à peu de signes.
Aussi les sujets de ses poèmes sont-ils choisis hors de tout ce qui est commun, loin des préoccupations du jour, certes, et même loin de ce que d’autres tiendraient pour éternel. Parfois, le jeune poète affiche un goût pour ce qui est gratuit et passager, parfois aussi scandaleux. Dans une lettre de 1888, il se disait « socialiste, communard et athée », mais cette révolte n’a pas duré, et George a cherché justification et salut dans la seule poésie. Il l’entend comme un service du verbe, avec ses rites et ses secrets. Très tôt, il a commencé à faire imprimer ses poèmes dans un caractère spécialement dessiné, qui donne à ses textes un air de manuscrit carolingien, dans une mise en pages et avec des initiales qui avaient, peut-être, une signification secrète. Ses recueils de vers, ornés des recherches graphiques de Melchior Lechter (1865-1937), illustrent le style décoratif de l’époque 1900, qui s’appelle, en Allemagne, Jugendstil.
La révélation de la poésie moderne fut donnée à George à Paris, dans le groupe de Stéphane Mallarmé*, qu’il fréquentait en 1889. Jusque-là, ses amis poètes avaient été surtout néerlandais, et le Rhin, artère centrale d’une Lotharingie imaginaire, germanique et romane en même temps, demeura présent dans toute son œuvre.
En 1890, son premier recueil, intitulé Hymnes (Hymnen), n’avait d’autre sujet que la création poétique elle-même et le sens de la poésie. Il s’y exprimait déjà dans une langue recherchée, aux sonorités profondes, qui restera la sienne, sans concession au sentiment et fière jusqu’à l’arrogance. Une prédilection pour la décadence et aussi pour ce que le gros des humains rejette s’exprime dans Algabal (1892), recueil à la gloire de l’empereur fou et dilettante Héliogabale, apologie de la destruction pour la recherche d’un néant délicieux.
Après un séjour à Vienne, où il connut Hugo von Hofmannsthal, George fondait, en 1892, la revue Blätter für die Kunst (Feuilles pour l’art), où s’exprimaient le poète et ce cénacle qui ne cessa jamais de l’entourer et de le défendre. Ce groupe de fidèles ne lui a jamais manqué, et il a vécu moins dans sa « tour d’ivoire » que comme un prince du verbe dans le château fort où l’entouraient ses preux.
Les Livres des églogues et des louanges, des légendes et des chants et des jardins suspendus (Die Bücher der Hirten- und Preisgedichte, der Sagen und Sänge und der hängenden Gärten) étaient encore, en 1895, un recueil qu’on pourrait appeler symboliste. Mais, deux ans plus tard, en 1897, dans l’Année de l’âme (Das Jahr der Seele), apparaît une recherche des instants d’éternité, des moments sans pareil et des fragilités ineffables, dans une langue plus souple et comme voilée, dont la plus belle trouvaille est probablement le titre même du volume. En 1899 paraissait, sous le litre le Tapis de la vie (Der Teppich des Lebens), un cycle d’une inspiration ouverte et colorée, encore que très savamment construit, où le « culte du moi » se tempère d’une admiration pour quelques grands artistes.