Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Gaule (suite)

La fondation des colonies romaines (Narbonne, Arles, Béziers, Orange, Fréjus) et latines (Carcassonne, Apt, Carpentras, Riez, Aix, Nîmes, Lodève, Castel-Roussillon, Valence, Avignon, Cavaillon, Digne, Toulouse, Die et Vienne) en Narbonnaise, et, avec plus de discrétion, dans la Lyonnaise et la Belgique (Lyon, Augst, Nyon, Avenches, Feurs, Trèves, Besançon, Langres, Thérouanne) et même en Aquitaine (Eauze) a fourni un apport de population italienne non négligeable. La Narbonnaise devait être rapidement très urbanisée, très romanisée. La Gaule dans son ensemble se rattachait à Rome, par un lien idéal et sacré, politico-religieux, le culte de Rome et d’Auguste : en 13 av. J.-C. fut décidée l’érection d’un autel fédéral, à Lyon, où des délégués des trois Gaules se réunirent annuellement. Une institution analogue existait à Narbonne. Ayant un tribut modéré, aucunement soumise à une propagande ou à une romanisation forcée, la Gaule pouvait supporter allégrement sa condition, origine d’un très grand destin.

Le ralliement ne fut pas immédiat. Sous Auguste, des Gaulois émigrèrent vers la Bretagne ou la Germanie. En 46 av. J.-C., il y avait eu une brève révolte des Bellovaques. Sous Tibère, en 21, l’Éduen Julius Sacrovir et le Trévire Julius Florus (aux noms déjà latins, citoyens et officiers romains !) prirent la tête d’une insurrection d’origine fiscale, et qui dura peu. Un discours de l’empereur Claude, né à Lyon, évoque la fidélité de l’ensemble de la Gaule et propose l’admission au Sénat de citoyens des Trois Gaules. En 68 apr. J.-C., un Aquitain, Caius Julius Vindex, se révolte contre la tyrannie de Néron : c’est là un mouvement proprement romain, qui aboutit à la proclamation de Galba (68-69 apr. J.-C.). Suit alors une période de troubles politiques : les légions choisissent leurs empereurs, Othon († 69 apr. J.-C.), Vitellius († 69 apr. J.-C.). Un paysan boïen, Mariccus, se dit prophète et entraîne quelques partisans dans la campagne éduenne. Il parle d’affranchir la Gaule. Un massacre met fin à sa tentative (69). Peu après, le Batave C. Julius Civilis, officier romain, se constitue une armée composée de Bataves et de Germains, et rêve d’installer en Gaule une domination germaine. Quelques peuples se rallient à lui, sous quelques meneurs, dont le Lingon Julius Sabinus († 79 apr. J.-C.). Les légions sont débauchées et prêtent serment à l’« empire des Gaules ». La discorde ne tarde pas à naître entre Germains et Gaulois. Une assemblée gauloise réunie à Reims conclut sagement qu’il valait mieux se rallier à Rome que retomber dans les discordes du passé. Les réfractaires obstinés s’enfuient en Germanie, refuge de tous les éléments belliqueux. Rome pardonne, sauf à quelques chefs. On devait découvrir neuf ans plus tard Sabinus, caché dans une caverne par sa fidèle épouse Eponine, qui dut partager son supplice.


L’apport de la Gaule à la civilisation romaine

Un certain nombre de traits propres à la tradition celtique se conservent ou même se développent, et même se divulguent dans tout le monde antique. Il en est ainsi des techniques du bois. Les Gaulois avaient inventé le principe de la tonnellerie, qu’ils appliquaient aux puits et aux seaux aussi bien qu’à la futaille. Le développement de la consommation du vin multiplie l’activité des tonneliers, et les fûts s’emploient hors de Gaule, concurremment avec les amphores (figures de la colonne Trajane). Le charronnage passa au latin toute sa terminologie.

On apprécie d’autres spécialités gauloises. La céramique (de la Graufesenque, surtout) imite à merveille celle d’Italie (Arezzo) et finit par la supplanter sur les marchés les plus éloignés. Les vêtements gaulois, ajustés et rationnels, sont conservés en Gaule (c’est le cas des braies) ou adoptés ailleurs, et notamment aux armées (cucullus, sagum, caracalla, gallicae). Les salaisons, réputées, s’exportent bien. La cervoise, breuvage modeste, s’est consommée jusqu’en Orient. Puis les Gaulois se mettent à vendre leurs vins. Les gens de Bordeaux seront les pionniers de la viticulture, adoptant un cépage d’origine espagnole. Puis la vigne progressera vers le nord, passant du pays allobroge à la Loire et à la Moselle.


Ce que la Gaule a gagné

La Gaule a beaucoup plus reçu que donné. Rome lui a procuré la paix et la sécurité, et, en 70, le concilium de Reims a reconnu clairement son intérêt. Plus d’un village, retiré dans la montagne ou dans la forêt, a pu se transférer dans la plaine. On a abandonné plus d’un oppidum inaccessible au profit d’une agglomération mieux située (Autun remplaçant Bibracte).

D’ailleurs, l’apparence des édifices s’est transformée. La pierre et la brique remplacent le bois et le torchis. Les gros propriétaires édifient de vastes villae dans la campagne. Les villes s’ornent de grands édifices caractéristiques : théâtre, amphithéâtre, thermes. Un réseau de voies très rectilignes s’étend partout, ponctué de gîtes d’étape. La sculpture sur pierre est partout adoptée, ce qui nous vaut d’avoir conservé une multitude d’œuvres, statuaire religieuse et monuments figurés divers nous faisant découvrir la vie quotidienne des artisans et des commerçants (magasins, outillage, transports de marchandises).

Enfin, la pierre est le support des inscriptions, des innombrables inscriptions, dans lesquelles le gaulois ne figure pas. Le latin a dû pénétrer dès avant la conquête. Il a été véhiculé par les commerçants, puis par les soldats et les vétérans des colonies. Il a été favorisé par nécessité administrative. S’il n’a pas pu déloger le grec d’Orient, il a balayé ici la langue gauloise sans difficulté. Tout ce qui reste à faire aux érudits est de s’évertuer à découvrir des traces de survivance du gaulois, qui a continué d’être parlé dans les campagnes, à la manière d’un patois. Il en reste quelques indices. Beaucoup de mots gaulois sont passés dans le latin. Sous Septime Sévère, saint Irénée fait allusion à l’« idiome barbare » qu’on parle dans les campagnes. Il est vrai que, à cette date, on croit observer une recrudescence même de son emploi, puisqu’on l’autorise dans les fidéicommis. Le seul secteur où il se conserve peut-être le mieux, c’est celui de la sorcellerie : incantations, recettes, choses héritées du druidisme traditionnel et pratiquées probablement dans une semi-clandestinité.