Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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futurisme (suite)

La peinture futuriste à ses débuts

Les peintres seront les premiers à proposer au futurisme une expression cohérente. Si le Manifeste du 11 février 1910 se réduit à une déclaration de principes, le Manifeste technique est beaucoup plus concret : de la proposition théorique de la « sensation dynamique », donnée comme base à la peinture futuriste, et de la constatation que « le mouvement et la lumière détruisent la matérialité des corps », il tire la conclusion que seule la technique divisionniste (en d’autres termes, le néo-impressionnisme* issu de Seurat*) est à même de servir ce programme. De fait, les cinq peintres s’accordent sur l’emploi du divisionnisme, dont la souplesse va s’accorder parfaitement à leurs premières tentatives pour traduire les scènes de l’agitation urbaine, le déplacement des corps dans l’espace, le rayonnement lumineux (celui de l’électricité notamment), l’abolition des frontières qui séparent les uns des autres les êtres et les objets, l’expression plastique des sons, des bruits et des odeurs.

Ce qui est frappant dans cette peinture, d’une façon générale, c’est que son interprétation des phénomènes objectifs qui caractérisent la vie moderne est extrêmement subjective : la circulation, la lumière électrique, les luttes ouvrières, le départ du train, la vie de la rue, toutes ces choses sont complètement intériorisées, sauf peut-être par Balla. « La simultanéité des états d’âme dans l’œuvre d’art » devient en 1912 l’ambitieux programme des peintres futuristes. Il est remarquable que l’idée de simultanéité préoccupe également à cette époque Delaunay et Léger, mais ceux-ci en donneront finalement une traduction abstraite et superficielle, là où les futuristes tentent vraiment de saisir l’interférence profonde des formes et des sensations. Le fameux triptyque de Boccioni consacré aux « états d’âme » constitue sans doute la plus ambitieuse tentative pour associer à cette fin silhouettes humaines pathétiques et volumes mécaniques impersonnels, à la faveur d’une unité rythmique traductrice du mouvement. C’est du côté du rythme que va venir en effet la correction plastique susceptible d’ordonner l’épanchement subjectif. Le puissant tableau de Carrà, Funérailles de l’anarchiste Galli, en traduisant graphiquement par des « faisceaux de lignes » les forces affrontées, va proposer l’exemple initial du recours aux « lignes-forces ». L’utilisation simplificatrice de celles-ci et l’exemple austère du cubisme*, dont notamment Boccioni et Carrà prennent une connaissance plus directe au cours d’un voyage à Paris à la fin de 1911, vont concourir à pousser la peinture futuriste dans le sens d’une géométrie expressive de plus en plus dépouillée. Balla, de son côté, en 1912, avait été conduit à une géométrie non dynamique par l’étude des radiations lumineuses.


Épanouissement de la peinture futuriste

Entre 1912 et 1914, l’œuvre de chacun des cinq peintres signataires des manifestes de 1910 va connaître un développement original. Même Russolo, avant de délaisser la peinture pour le bruitisme, atteint son sommet dans la rigoureuse Compénétration de maisons + Lumière + Ciel (1913). Balla, s’il poursuit encore la veine chronophotographique dans sa série Vol d’hirondelles, déploie une rythmique complexe et superbe dans des œuvres comme Rapidité d’une automobile + Lumière + Bruit (1913). Mais les tourbillons qu’il se plaît à décrire, jusque dans leurs implications cosmiques (Mercure passant devant le Soleil, 1914), le poussent plus que ses amis encore dans le sens de l’abstraction. Celle-ci est pourtant décelable chez tous, et notamment chez Carrà, le plus marqué par la rencontre du cubisme, où c’est le souci d’une structuration du tableau qui entraîne le recours à la géométrie. Boccioni et Severini demeurent seuls fidèles à la technique divisionniste, réduite à une vibration des plans pour le premier, épurée jusqu’à la construction de surfaces géométriques par un pointillisme de couleurs vives pour le second. Il n’empêche que l’un et l’autre sont alors responsables des œuvres les plus spécifiquement futuristes, de Hiéroglyphe dynamique du Bal Tabarin à la série Expansion sphérique de la lumière pour Severini, d’Élasticité (1912) à Dynamisme plastique, Cheval + Maisons (1914) pour Boccioni. Entre-temps, de nombreux jeunes peintres ont rallié le futurisme. Les plus intéressants sont : Ardengo Soffici, dont les natures mortes avec papiers collés sont très proches du cubisme (Typographie, 1914) ; Mario Sironi (1885-1961), auteur de compositions puissantes et trapues (le Camion, 1914) ; Achille Funi (né en 1890) et Ottone Rosai (1895-1957), l’un et l’autre responsables d’œuvres assez sommaires ; enfin Depero et Prampolini, qui feront leurs preuves plus tard et assureront la jonction avec les peintres du second futurisme.


Sculpture, musique, architecture, cinéma, théâtre

Parmi les autres implications artistiques du futurisme, la sculpture aura été brillamment représentée par les recherches à trois dimensions de Boccioni, inaugurées en 1912 par son Manifeste technique, aux conséquences retentissantes, tant en ce qui concerne l’émancipation des matériaux (« verre, bois, carton, ciment, béton, crin, cuir, étoffe, miroirs, lumière électrique, etc. ») que par l’ambition proclamée de « modeler l’atmosphère », dont se souviendront Naoum Gabo et Anton Pevsner*. Les « complexes plastiques » de Balla et de Depero ne sont qu’un développement partiel des nouvelles possibilités ouvertes à la sculpture par le génie théorique de Boccioni. Dans le domaine musical, beaucoup plus que celle de Francesco Balilla Pratella (1880-1955), c’est la contribution de Russolo qui compte. Son « bruitisme », en effet, est l’ancêtre irrécusable de la musique concrète*. De nombreux concerts « bruitistes » auront lieu en Italie et à Paris, donnant lieu à de violentes réactions du public.

« La maison de béton, d’acier et de verre doit s’élever au bord du précipice tumultueux de la rue », prophétisait le jeune architecte Antonio Sant’Elia (1888-1916), représentant majeur de l’architecture futuriste, dont les projets prometteurs restèrent sur le papier (La Città nuova, 1914), puisqu’il fut tué au front. Mario Chiattone (1891-1932) était visiblement influencé par Sant’Elia. En dépit de son amour de la grandeur, le régime fasciste était trop rétrograde pour adopter l’architecture futuriste, et c’est seulement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’on vit ériger, à Milan comme à New York, des immeubles ressemblant à ceux que Sant’Elia avait rêvés.