Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alsace (suite)

Car les Allemands convoitent l’Alsace, où la plus grande partie de la population parle un dialecte germanique. Dès octobre 1870, Bismarck la traite en terre allemande. La cession du Bas-Rhin et du Haut-Rhin au IIe Reich (en même temps qu’une partie de la Lorraine) devient juridique après les préliminaires de paix de Versailles (26 févr. 1871), la ratification par l’Assemblée nationale (1er mars) — malgré les protestations des députés alsaciens-lorrains appuyés par Gambetta — et le traité de Francfort (10 mai). L’Alsace-Lorraine est la « rançon de la France ».

La loi du 9 juin 1871, votée par le Reichstag, fait de l’Alsace-Lorraine une « Terre d’Empire » (Reichsland) appartenant à tous les États allemands et administrée de Berlin par le chancelier, qui y est représenté par un « Président supérieur », lequel dispose de pouvoirs quasi dictatoriaux.

Le traité de Francfort a reconnu aux Alsaciens-Lorrains le droit d’opter individuellement pour la nationalité française : au 1er novembre 1872, 160 000 habitants ont ainsi gagné la France ou l’Algérie. En Alsace, Bismarck pratique une politique d’assimilation : l’allemand devient langue obligatoire (1872), l’enseignement du français est supprimé dans les classes primaires (1872). Cependant, les lois françaises fondamentales et le Concordat de 1801 restent en vigueur dans le Reichsland.

Cette politique échoue, d’autant plus que l’application du Kulturkampf se heurte en Alsace à une forte opposition : le clergé catholique se pose en effet comme un élément essentiel de la résistance à l’Allemand. En 1874, les dix députés alsaciens au Reichstag (dont six prêtres) sont des « protestataires ».

Cependant, à la « guerre de revanche », la France n’est pas prête ; l’affaire Schnæbelé elle-même, malgré les rodomontades du général Boulanger (1887), ne pourra pas la déclencher. En Alsace, et surtout en basse Alsace, se développe alors un esprit autonomiste qui se substitue partiellement à l’esprit de protestation : un parti se fonde, dirigé par Charles Auguste Schneegans, ancien député à Bordeaux ; libéral et anticlérical, il combat pour un gouvernement indigène et contre l’influence « négative » du clergé catholique. Aux élections de 1877, cinq autonomistes de basse Alsace sont élus face aux protestataires (Winterer) de haute Alsace.

Influencé par les démarches de Schneegans, le gouvernement allemand dote le Reichsland d’une espèce de Constitution (juill. 1879). Un lieutenant impérial (Statthalter) représente l’empereur à Strasbourg : il est assisté d’un ministère. Les droits des habitants sont exercés par deux instances législatives : le Conseil d’État, dont les membres — 12 à 16 — sont choisis par l’empereur ; la Délégation, ou Commission régionale (Landesausschuss), dont les 58 membres sont élus.

Premier Statthalter (1879-1885), le général von Manteuffel se montre conciliant et parvient à provoquer une certaine détente. Son successeur, le prince de Hohenlohe-Schillingsfürst (1885-1894), a moins de doigté. Lors des élections de 1887, le Reichsland envoie de nouveau quinze opposants à Berlin. Bismarck parle d’écarteler l’Alsace-Lorraine, puis impose le « système des passeports » — qui sera supprimé en 1891 —, renforce la germanisation, l’immigration allemande et la surveillance policière.

Cependant, à la fin du siècle, le calme se fait ; en 1893, l’Alsace investit trois Allemands — dont Bebel — du mandat de députés ; la protestation politique recule. Les générations qui ont connu le régime français sont peu à peu relevées ; les brassages de population, la prospérité économique, la transformation et la modernisation des villes, notamment de Strasbourg, les grands travaux sur le Rhin, l’exemption du service militaire (1890) — très apprécié par le clergé catholique —, la vitalité de l’université de Strasbourg, la fondation de facultés de théologie, l’essor de la littérature et de la dramaturgie régionales, telles sont quelques-unes des causes de la détente, laquelle ne fait pas oublier que la « protestation morale » subsiste.

À partir de 1906, la presse francophone se montre plus ardente, tandis que le populaire dessinateur Hansi (1873-1951) donne de l’Allemand une image caricaturale qui fait la joie de la population.

Cependant, l’autonomie alsacienne est enfin prise en considération par Guillaume II. Le 31 mai 1911 est promulguée à Berlin une Constitution qui prévoit, à côté du Statthalter, un pseudo-Parlement, une diète élue de deux chambres : l’une (Landtag) élue au suffrage universel ; l’autre constituée de notables. De plus, l’Alsace reçoit le droit d’envoyer trois représentants au Bundesrat allemand. Mais si l’Alsace-Lorraine est considérée comme un État fédéral du Reich, elle reste un Reichsland, dont le Kaiser conserve la pleine souveraineté ; le Statthalter peut légiférer par ordonnances et suspendre les assemblées.

Cette fausse autonomie renforce l’opposition alsacienne. Des incidents se multiplient, notamment contre les officiers prussiens (Saverne, 1913-1914). Le Reich réagit : on parle d’incorporer les jeunes Alsaciens hors d’Alsace ; Hansi est poursuivi.

Quand éclate la Première Guerre mondiale, l’Alsace est profondément anti-allemande. Dans le Sud-Ouest, l’armée française (Pau) — qui a occupé par deux fois Mulhouse — fait de Thann le symbole de l’Alsace française.

Mais, en Alsace allemande, c’est pratiquement l’état de siège ; seul Max de Bade, à l’extrême fin de la guerre (sept. 1918), parle de constituer un État fédéral d’Alsace-Lorraine. Trop tard ! Du 17 au 22 novembre, les villes alsaciennes, dans une atmosphère délirante, accueillent les troupes françaises. Le traité de Versailles (juin 1919) rend l’Alsace à la France.


L’Alsace depuis 1918

Durant quarante-huit ans, l’Alsace a lutté pour sa survie, son individualité, pour son autonomie aussi : la République française se doit de ne pas l’oublier. En mars 1919 est créé un Commissariat général, assisté (sept. 1920) d’un Conseil consultatif, chargé d’appliquer progressivement les lois françaises. La suppression du Commissariat (1924-1925) mécontente les Alsaciens, tandis que les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin sont rétablis.