Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alsace (suite)

Les défauts de l’administration française, la crise économique, l’instabilité ministérielle, le sectarisme de certains gouvernants français perpétuent un malaise qui culmine quand le Cartel des gauches (Herriot), en 1924, prétend aligner rapidement toutes les institutions alsaciennes sur celles de la France : le maintien du concordat de 1801, les particularismes linguistiques, les libertés scolaires, les avantages sociaux sont menacés. En fait, le programme Herriot ne sera pas appliqué.

Cependant, après la retraite du populaire abbé Wetterlé (1924), un mouvement autonomiste se développe, auquel ne sont pas étrangers des éléments allemands. À partir de 1933, avec l’avènement du nazisme et la mort des deux chefs autonomistes qu’étaient l’abbé Haegy (1932) et Ricklin (1935), ce mouvement décroît, certains éléments étant d’ailleurs franchement favorables à la « patrie allemande ».

La Seconde Guerre mondiale s’abat lourdement sur l’Alsace ; en septembre 1939, un tiers de la population est évacuée dans le sud-ouest de la France, Strasbourg est vidé de ses habitants. En juin 1940, les Allemands entrent en Alsace : dès le 20 juin, le « Gauleiter » de Bade, R. Wagner, est chargé de germaniser le pays en dix ans. Alors que l’armistice de juin 1940 est muet sur le sort de l’Alsace, la faiblesse de Vichy permet au IIIe Reich d’incorporer progressivement cette province.

Tout ce qui est français est exclu, rayé ; en 1942 commence l’enrôlement des jeunes Alsaciens dans la Wehrmacht (20 000 seront tués en service) ; les camps de déportation du Struthof et de Schirmeck reçoivent les résistants, qui périssent par milliers sous la torture ou dans les privations. Les bombardements, la dure campagne de 1944-1945, menée par Patch et Leclerc, puis par de Lattre de Tassigny, font cruellement souffrir l’Alsace. Mais c’est avec une joie extraordinaire qu’en avril 1945 Strasbourg accueille de Lattre : l’Alsace est redevenue définitivement française.

P. P.

➙ Allemagne / Bismarck (O. von) / France / Guillaume II / Lorraine / Strasbourg / Vosges.

 R. Reuss, Histoire d’Alsace (Boivin, 1913 ; 27e éd., 1935). / K. Stählin, Geschichte Elsass-Lothringens (Berlin, 1920). / G. Wolfram, Verfassung und Verwaltung von Elsass-Lothringen 1871-1918 (Francfort, 1934). / M. J. Bopp, l’Alsace sous l’occupation allemande (1940-1945) [Mappus, La Puy, 1947]. / F. L’Huillier, Histoire de l’Alsace (P. U. F., coll. « Que sais-je ? », 1947 ; 3e éd., 1965). / F. Ponteil, Essai sur l’histoire de l’Alsace (Éd. Dernières Nouvelles, Strasbourg, 1948). / P. Leuilliot, l’Alsace au début du xixe s. (S. E. V. P. E. N., 1956-1961 ; 3 vol.). / A. Mutter, l’Alsace à l’heure de l’Europe (Éd. G. L. D., 1968). / F. G. Dreyfus, la Vie politique en Alsace, 1919-1936 (A. Colin, 1969). / P. Dollinger (sous la dir. de), Histoire de l’Alsace (Privat, Toulouse, 1970) ; Documents de l’histoire de l’Alsace (Privat, Toulouse, 1972). / V. Beyer, Alsace (Arthaud, 1975).


L’art en Alsace

Du mont Sainte-Odile, où l’abbaye dédiée à la patronne de l’Alsace accueille encore les pèlerinages, on peut saisir le destin de cette province : pays frontière, marche de l’Est toujours menacée, c’est aussi le lieu de rencontre, jalonné par l’axe du Rhin, des pays du Sud (Suisse et Italie) et des pays du Nord (Sarre et Flandre). L’art de l’Alsace est à cette image : multiple, contrasté, diversifié. Il a trouvé son unité dans la cohésion d’une communauté humaine fortement attachée à sa terre, à son dialecte, à son folklore, à son sens religieux, et qui a su dégager au travers des vicissitudes de son histoire une personnalité incontestable.

Le « mur païen » du mont Sainte-Odile est le premier document protohistorique de la province. Élevé par les Celtes autochtones avant l’occupation romaine, il est déjà un monument de défense impressionnant. Les légions de Rome apportèrent la vigne, des camps retranchés — dont Strasbourg*, entre les bras de l’Ill —, un tracé de routes encore visible. Mais aucune architecture ne subsiste, sinon les tours de l’enceinte de Saverne, dénaturées par les reprises médiévales. À noter des monuments mineurs, pierres tombales, stèles, colonnes de Jupiter, autel de Mithra des iie et iiie s. apr. J.-C. La nuit des invasions n’empêchera pas l’implantation du christianisme ni la fondation, aux vie et viie s., des monastères de défrichement comme Marmoutier, Munster, Murbach, Wissembourg.

De 870 jusqu’en 1648, soit pendant près de huit siècles, l’Alsace, sans avoir encore d’unité politique réelle, est détachée de l’orbite de la Gaule et de la France, et gravite dans la sphère de l’Empire germanique. Les luttes répétées de ce dernier contre la papauté vont favoriser le particularisme et les goûts d’indépendance des cités : Strasbourg, Mulhouse, Haguenau, Marmoutier. Une bourgeoisie, incarnée dans ses fiers hôtels de ville, s’affirme en face des seigneurs, évêques ou laïcs, retranchés dans leurs châteaux forts. Nids d’aigle ou burgs en ruine aux allures romantiques de Ribeauvillé, de Bernstein, près de Dambach, d’Andlau, de Fleckenstein, près de Lembach, d’Otrott, du Haut-Kœnigsbourg, celui-ci trop restauré, sont les témoins de la domination féodale. Plus de deux cents forteresses font de cette région l’une des plus riches en architecture militaire. Les villes aussi se sont ceinturées de remparts (Obernai, Riquewihr, Rouffach). Leur prospérité crée une tradition architecturale, religieuse d’abord, civile ensuite.

Doyenne d’âge, l’église octogonale d’Ottmarsheim est, au milieu du xie s., une réplique harmonieuse de la chapelle carolingienne d’Aix-la-Chapelle*. Le xiie siècle voit la floraison tardive du style roman. Peut-on parler ici d’école ? Les édifices sont trop composites et reflètent les influences ottoniennes, transalpines, bourguignonnes entremêlées. Des soucis communs dominent : solidité, sobriété, équilibre. La façade de l’église de Rosheim évoque en réduction celles des églises de Lombardie. Sa latinité contraste avec la puissance germanique du narthex de Marmoutier. Plus creusée d’ombre et de lumière, l’église Saint-Léger de Guebwiller offre deux hautes tours occidentales, tandis que celle de Murbach place les siennes sur le transept avec une égale grandeur.