Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Des morceaux de bravoure

Les années 50 s’ouvrent pratiquement sur un événement comique (Jour de fête), avant d’aller mourir aux pieds de la « nouvelle vague ».

Cette décennie est surtout marquée par la confirmation de deux grands réalisateurs, Max Ophuls* et Robert Bresson, ainsi que par le retour de Jean Renoir. Les petits maîtres (Becker, Clément, Christian-Jaque) et les bons artisans (Carné, Dassin, Autant-Lara) poursuivent vaille que vaille, comme on l’a vu, des premières ou secondes carrières fort inégales.

C’est en 1950, avec la Ronde, que Max Ophuls attire l’attention. Il n’est certes pas un inconnu. En Allemagne, en France, aux États-Unis, il s’est fait connaître dans les années 30 et 40 par des œuvres curieuses où l’on peut déjà remarquer un talent qui ne demande qu’à s’épanouir. Quatre films en cinq ans (la Ronde [1950], le Plaisir [1951], Madame de... [1953], Lola Montes [1955]) l’inscrivent parmi les plus grands et l’imposent à une critique et (plus difficilement) à un public parfois réticent. Cet auteur baroque vaut plus que le maniérisme apparent de ses œuvres, et sa « philosophie » est l’une des plus douloureuses et prémonitoires qui soient.

À l’opposé, Robert Bresson affirme un classicisme où la sobriété extrême des thèmes et le jansénisme de la forme s’additionnent pour proposer des œuvres exigentes et riches. Du Journal d’un curé de campagne (d’après Bernanos, 1950) à Quatre Nuits d’un rêveur (1971), il n’y a pas de solution de continuité : tout y est polarisé sur le phénomène abstrait de la grâce et de la pureté dans un style ascétique d’une beauté tragique.

Resté éloigné de la France plus longtemps que les autres exilés, Jean Renoir regagne le pays par étapes, en tournant en Inde (le Fleuve, 1951) et en Italie (le Carrosse d’or, 1952). Sa nouvelle production française débute avec French-Cancan (1955).

Les six films de cette seconde carrière s’imposent à l’attention plus difficilement que prévu. Pourtant, un examen attentif les valorise. L’intuition géniale de Renoir n’a rien perdu de son acuité. Quant à sa façon d’appréhender le monde (les êtres, les choses, les événements), elle a gagné en universalité ce qu’elle a (peut-être) perdu en pittoresque. La « touche » de Jean Renoir ne peut se réduire à quelques préoccupations précises, ni aux simples modalités d’un style.

On croit découvrir chez Jacques Tati (Jour de fête, 1949 ; les Vacances de M. Hulot, 1953) l’auteur comique qui manquait au cinéma français. Dans Mon oncle (1958), Play Time (1967) et Trafic (1971), il analyse les aliénations modernes avec une nonchalance un peu passéiste qui marque les limites d’un talent qu’on imaginait plus explosif.

Tandis que ceux qui formeront plus tard la nouvelle vague élaborent dans diverses revues de cinéma leurs théories, des morceaux de bravoure ponctuent cette décennie des années 50 : Casque d’or (Becker, 1952), Madame de... (Ophuls, 1953), Monsieur Ripois (Clément, 1954), sans négliger les apports mineurs de H. G. Clouzot (le Salaire de la peur, 1953), de Jules Dassin (Du rififi chez les hommes, 1954), de René Clair (les Grandes Manœuvres, 1955) et même d’André Cayatte (Nous sommes tous des assassins, 1952). Et Dieu créa la femme... (Roger Vadim, 1956), les Amants (Louis Malle, 1958) font scandale et mobilisent les jeunes Turcs de la critique (« La plus belle nuit d’amour du cinéma français ! » s’écrie Truffaut dans Arts à propos des Amants). Des cinéastes comme Alexandre Astruc (le Rideau cramoisi, 1951 ; les Mauvaises Rencontres, 1955 ; Une vie, 1958) et Agnès Varda (la Pointe courte, 1954) préparent le terrain d’une révolution stylistique.


La « nouvelle vague* »

Dès 1959, elle entend jouer sur tous les tableaux : bousculer les prétendus écueils économiques (en faisant des films bon marché), renouveler les thèmes, inventer des formes nouvelles d’écriture. Bref, il s’agit de rajeunir le cinéma contemporain (fût-ce superficiellement). On découvre coup sur coup : À bout de souffle (Jean-Luc Godard), les Quatre Cents Coups (François Truffaut), les Cousins (Claude Chabrol), Hiroshima mon amour (Alain Resnais), Lola (Jacques Demy). C’est le début d’une « révolution » aux conséquences lointaines : son influence à travers le monde survivra à sa mort lente et inéluctable.

Mais, avant de s’embourgeoiser et de mourir étouffée par le système même qu’elle n’a cessé de dénoncer, la nouvelle vague étincelle de mille feux divers. Ses membres, ses proches, ses disciples sont l’objet d’analyses, de commentaires et approchés par la critique comme jamais, peut-être, une école ne l’a été.

Fidèles à leur refus de former justement une « école », les tenants de la nouvelle vague s’affirmeront individuellement pour composer un kaléidoscope de films d’auteurs plus ou moins réussis. Les uns et les autres pêcheront très vite comme leurs aînés par un certain refus de la réalité sociale (ou une incapacité à la traduire), un culte de l’intelligence pour l’intelligence, un dilettantisme ou un formalisme séduisants, mais stériles.

De tous, Jean-Luc Godard* est celui qui s’affirme le plus « témoin de son temps ». Sa sensibilité prémonitoire, sa remise en cause fondamentale du langage lui permet d’aborder les problèmes essentiels de l’Occident contemporain (l’américanisation, la prostitution, l’automobile, les grands ensembles, la politique, etc.) dans un style dont on n’a pas fini de mesurer l’importance et qui s’oppose radicalement aux traditions narratives du cinéma de consommation courante. Après quinze films (d’À bout de souffle [1959) à One plus one [1968]), Godard opte pour une nouvelle carrière de cinéaste militant (1968-1971), avant de reprendre en 1972 le chemin des studios (Tout va bien).

Alain Resnais*, « cinéaste de la mémoire », reste fidèle, au long d’une carrière modeste mais solide (cinq longs métrages, de Hiroshima mon amour [1959] à Je t’aime, je t’aime [1968]), à des préoccupations idéologiques fortement imbriquées dans une recherche esthétique majeure : « illustrer » à l’écran les subtils rapports du temps et de l’espace.