Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Les débuts du réalisme poétique

Les années 30 vont compter parmi les plus riches du cinéma français. Renonçant aux adaptations théâtrales ou littéraires souvent mauvaises, les créateurs s’acheminent vers des recherches plus spécifiques.

Le cinéma français s’enrichit de personnalités fort diverses, issues du théâtre, du roman, du journalisme, qui vont surtout peser sur le choix, la nature et le traitement des scénarios. Une école dite « du réalisme poétique » va voir le jour. Des personnalités de premier plan s’affirment (Jean Renoir, Marcel Carné, Jean Vigo, Jacques Feyder, Julien Duvivier, René Clair), pendant que de très nombreux artisans assurent une production plus commerciale d’un niveau médiocre.

Chronologiquement, c’est René Clair et Jean Renoir qui marquent le plus cette décennie. Avant de connaître un relatif et provisoire déclin en Angleterre (1935-1939) et aux États-Unis (1939-1945), René Clair nous propose trois petits chefs-d’œuvre : le Million et À nous la liberté en 1931, et 14-Juillet en 1932, fantaisies rigoureusement construites qui n’excluent pas totalement la réflexion sociale, même si elles l’abordent sous l’angle comique ou populiste.

Le petit monde de Jean Renoir, lui, n’a rien à voir avec les marionnettes sympathiques mais un peu sèches de Clair. De la Chienne (1931) à la Règle du jeu (1939), Renoir ne cesse d’étonner. Ce « contemporain capital » propose une production intelligente aux facettes diverses. Il aborde le social et le politique en s’appuyant d’abord sur des scénaristes de talent (Jacques Prévert, Charles Spaak), du Crime de M. Lange (1935) à la Bête humaine (1938) en passant par La vie est à nous (1936) et la Grande Illusion (1937).

Dès Une partie de campagne (1936), il s’est affirmé auteur complet et a manifesté ce génie, qui éclatera dans l’incompréhension générale, avec la Règle du jeu (1939), constat sociologique le plus pertinent qu’on ait jamais produit et probablement l’une des plus grandes œuvres de tout le cinéma français d’avant-guerre.


L’époque des grands interprètes

Pendant que René Clair se répète et que Jean Renoir s’affirme, un jeune homme, Jean Vigo*, passe dans l’univers du cinéma comme un météore (il meurt en 1934). D’après les quelques essais tout imprégnés d’acuité poétique et contestataire qu’il a laissés, on peut se demander quelles auraient été les limites de son talent si le temps lui avait permis de construire une œuvre de plus longue haleine. À propos de Nice (1930), court métrage, avait attiré l’attention sur ce débutant de génie, qui va s’imposer par Zéro de conduite (1932) et l’Atalante (1934).

Mais cette tentative de réalisme social transcendé n’est pas accordée à la sensibilité de l’époque. Le cinéma français se veut très proche, dans ses meilleures productions, d’une réalité volontiers négligée jusque-là et en même temps craint les contraintes d’un vérisme alourdissant. L’équilibre sera atteint à l’époque par le tandem talentueux Carné-Prévert et leur formule de « réalisme poétique ».

Pendant que Julien Duvivier, en artisan consciencieux, piétine au bord d’un réalisme un peu lourd (Poil de Carotte, 1932 ; la Belle Équipe, 1936), Marcel Carné* et Jacques Prévert, après un essai de comédie humoristique (Drôle de drame, 1937), trouvent la formule et le style qui vont les rendre célèbres. L’atmosphère de Quai des brumes (1938), la rigueur psychologique de Le jour se lève (1939) valent mieux que le populisme de Hôtel du Nord (1938), qui précise aussi les limites de Carné privé du secours de son scénariste Prévert.

D’autres réalisateurs et surtout de talentueux interprètes marquent cette époque.

Sacha Guitry et Marcel Pagnol, fort contestés parmi les cinéphiles (avant d’être réhabilités par certains critiques dans les années 60), s’imposent soit par l’intelligence et une certaine virtuosité (Guitry : le Roman d’un tricheur, 1936), soit par un régionalisme quelque peu folklorique et un art de « faire causer les images » (Pagnol : dont la Femme du boulanger [1939] reste le meilleur film).

Jean Gabin, Louis Jouvet, Michel Simon, Arletty, Michèle Morgan, Raimu, Jules Berry, Fernandel apparaissent comme les interprètes les plus célèbres de la cinématographie française des années 1930-1940. Ils contribuent au moins autant que leurs metteurs en scène à assurer au cinéma français un renom international.


Un cinéma d’évasion

La Seconde Guerre mondiale va bouleverser toutes les structures de l’industrie cinématographique.

En 1940, la situation du cinéma français est assez dramatique. La production est paralysée, les studios ferment les uns après les autres, de nombreux réalisateurs s’exilent (Jean Renoir, René Clair, Jacques Feyder, Julien Duvivier, etc.).

Il faut quelque temps avant que les milieux cinématographiques restés en France réagissent. Les studios vont d’abord renaître en zone sud, puis à Paris (où est créé ce qui deviendra plus tard le Centre National du Cinéma).

Les Allemands fondent une société de production (la Continentale), mais c’est souvent en marge d’elle que va se réaliser le meilleur du cinéma d’occupation.

Malgré les pressions raciales dont sont particulièrement victimes les milieux cinématographiques, un cinéma « résistant » à sa manière va naître. Le public découvre peu à peu aux génériques des films quelques-uns des noms qui vont illustrer le cinéma de l’après-guerre : Jacques Becker, Claude Autant-Lara, Robert Bresson, Henri Georges Clouzot, Jean Delannoy.

Avec le temps, on s’apercevra que le « cinéma d’évasion » de ces années-là n’était pas si gratuit qu’il y paraissait. Et, rétrospectivement, on mesure mieux tout le caractère symbolique d’œuvres comme les Visiteurs du soir (Carné, 1942) ou Le ciel est à vous (Grémillon, 1943).

La preuve est faite, durant cette période, que Gide a raison et que parfois l’art vit (bien) de contraintes. Et la dernière image des Visiteurs du soir (un cœur qui continue de battre dans une statue de pierre) est volontiers considérée comme l’image même de la résistance en cours.