Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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France (suite)

Durant les dernières années de la guerre sont apparus aux génériques des noms qui vont constituer plus tard l’« école française » des années 20 : Jacques Feyder, Germaine Dulac, Jacques de Baroncelli, Léon Poirier, Marcel L’Herbier, Abel Gance*, etc., sans oublier André Antoine et ses tentatives de néo-réalisme avant la lettre. Les productions Éclipse, en particulier, jouent la carte « interprètes de talent » pour lutter contre l’invasion américaine.


Les contradictions des formalistes

Jusqu’en 1920, la production française s’est située dans une honorable moyenne, où l’exotisme le disputait au mélodrame et au rêve aventureux. Mais le répertoire s’est voulu trop grave. Il n’y a plus de comique français. Max Linder est parti pour l’Amérique en 1919, et Marcel Lévesque reste la seule et modeste silhouette comique du cinéma français d’alors.

Durant les années 20, la production nationale doit faire face tout à la fois à la concurrence américaine, allemande et scandinave. La virtuosité de ces cinémas étrangers impressionne le public et n’est pas sans conséquence sur le formalisme auquel s’adonnent alors les cinéastes français.

L’un des premiers à prendre conscience de la valeur du cinéma en tant qu’art, le journaliste Louis Delluc (par ailleurs l’un des pionniers du mouvement ciné-club) tente un difficile mariage entre des théories subtiles et des obligations commerciales qui lui font réaliser des œuvres parfois en contradiction avec ses inventions (le Silence, 1920), parfois plus réussies (Fièvre, 1921). Mort prématurément en 1924, il laisse une œuvre modeste, souvent interprétée par Eve Francis, sa femme, où se révèle une personnalité attachante dont l’influence ultérieure sera certaine.

Marcel L’Herbier, Abel Gance, Jean Epstein, Jacques Feyder, René Clair marquent essentiellement cette époque. Grisés par les techniques nouvelles du langage cinématographique, ils se laissent aller à des recherches formelles peu prisées des producteurs. Le drame de cette avant-garde sera celui de toutes les autres : être tiraillée entre des intentions esthétiques et des exigences commerciales contradictoires. D’autant que chacun, théoriquement, se veut accessible au plus grand nombre. Mais fougueux adeptes du symbolisme, ces cinéastes proposent des œuvres fortement intellectualisées qui étonnent ou déconcertent. Le prolixe Marcel L’Herbier tente de concilier ses tendances naturelles à la préciosité visuelle avec la simplicité « naturelle » qu’affichent à l’époque les cinémas suédois et américain. L’Homme du large (1920) et El Dorado (1921) témoignent de cette volonté.


De Gance à Feyder

Mythomane de génie, Abel Gance oppose à la subtilité de L’Herbier une œuvre fougueuse et lyrique où l’emphase et la grandiloquence vont de pair avec un incontestable brio et une étonnante maîtrise technique. Premier auteur à tenter la difficile symbiose entre le cinéma (muet) et la musique (la Dixième Symphonie, 1918), il affiche sa sincérité et une certaine grandeur d’âme avec le réquisitoire de J’accuse (1919). Influencé par David W. Griffith, il digère avec un certain génie les leçons du cinéma américain des années 10 (Intolérance en particulier). Sa Roue (1922) témoigne de son imagination et d’une prescience des ressources du montage, qu’il pousse à un certain point limite avec son Napoléon (1926). Ces deux œuvres peuvent être considérées comme les plus marquantes de cette décennie.

Historiquement l’un des meilleurs et des plus prophétiques théoriciens français du cinéma, Jean Epstein a produit une œuvre sensible d’où émerge Cœur fidèle (1923). Avec le recul, ce film s’affirme très représentatif des conceptions formalistes du cinéma français de l’époque. Les recherches et les audaces esthétiques de L’Herbier et de Gance, entre autres, sont synthétisées ici avec talent et sensibilité. Epstein, hélas ! ne saura pas dépasser un certain stade d’élaboration, même dans les essais documentaires qui marqueront la fin de sa carrière.

Auteur d’un film (Paris qui dort, 1923) qui se veut hommage à l’école de Vincennes (et à la tour Eiffel), René Clair*, avec sa seconde réalisation (Entr’acte, 1924), joue les avant-gardistes avec un humour et un talent qui haussent son film au-dessus du commun. Entr’acte marque à sa manière la fin d’une période « précieuse », celle d’un cinéma français trop amoureux de l’art pour l’art.

Jacques Feyder marque le retour à une production moins intellectuelle et plus populiste, qui va trouver son épanouissement dans les années 30. Il s’affirme partisan d’un cinéma en prise directe sur la vie (Crainquebille, 1922) et marqué par un certain réalisme psychologique (Visages d’enfants, 1923). Son humour lui permet d’aborder un registre un peu plus subtil avec les Nouveaux Messieurs (1929), film qui ouvre la voie à la comédie de mœurs.


L’apparition des « grands »

Sensiblement coupé de ses racines populaires, le cinéma français de la fin de l’époque muette se trouve dans une impasse. Pendant que Gance s’empêtre dans un Napoléon plus que démesuré, que L’Herbier avec l’Argent (1928) et qu’Epstein avec la Chute de la maison Usher (1928) proposent des sortes de testaments, de bons artisans (Jacques de Baroncelli, Léon Poirier, Raymond Bernard, Maurice Tourneur) assurent une sorte de transition.

Mais déjà les « grands » de demain débutent. Jean Renoir*, en 1926, signe Nana et, en 1928, la Petite Marchande d’allumettes, deux œuvres plus que prometteuses, et Jean Grémillon (Maldone, 1927 ; Gardiens de phare, 1929) entame une fructueuse et difficile carrière. René Clair, lui, explore les ressources comiques du vaudeville : Un chapeau de paille d’Italie (1927), les Deux Timides (1928).

Avant que n’apparaisse la révolution du son (le cinéma français en retarde étrangement l’application par rapport à l’Amérique), on note encore la réalisation d’un chef-d’œuvre et les dernières provocations surréalistes.

C’est à un réalisateur danois, Carl Dreyer*, qu’a été confié le tournage en France de la Passion de Jeanne d’Arc (1928), une étonnante réussite. Carl Dreyer transcende ici l’expressionnisme de ses débuts et propose un mode d’écriture qui va influencer des générations entières de réalisateurs.

Au sein d’un groupe d’intellectuels qui fait de la provocation un culte, Luis Buñuel* traque les fantasmes de l’onirisme et lance des « appels au meurtre et à l’amour fou » (Un chien andalou, 1928 ; l’Âge d’or, 1930), alors que Jean Cocteau* signe le Sang d’un poète (1930).

Le cinéma muet est mort. Le septième art connaît sa première grande révolution technique : il parle.

En France, les cinéastes sombrent dans le mélodrame bavard, la pseudo-opérette, le théâtre filmé.

Jean Grémillon (la Petite Lise, 1930) et René Clair (Sous les toits de Paris, 1930) tentent de dépasser le simple bavardage en opérant des rapports nouveaux son-image. Trop en avance sur leur temps, ils ne sont pas toujours compris.