flûte (suite)
Sous le règne du bop
Jusqu’au début des années 50, les apparitions de la flûte participèrent de l’anecdote. Seule l’importance croissante de saxophonistes comme Lester Young et surtout Charlie Parker, tous deux responsables d’un bouleversement décisif des critères de « jazzité », rendit possible l’utilisation de la flûte par les jazzmen. Aussi est-ce seulement sous le règne du bop que de nombreux saxophonistes se mirent à étudier cet instrument : Jerome Richardson, Frank Wess, puis Eric Dixon chez Count Basie, Bud Shank dans l’orchestre de Stan Kenton, Gigi Gryce, Leo Wright, Sahib Shihab, Musa Kaleem (de son vrai nom Orlando Wright), Yusef Lateef, Bobby Jaspar, Buddy Collette, James Moody... Parallèlement, des arrangeurs californiens, puis le trompettiste Dizzy Gillespie, le compositeur Quincy Jones, Charlie Mingus, le batteur Chico Hamilton, le pianiste chef d’orchestre Count Basie accordèrent à la flûte une place de plus en plus importante dans leurs œuvres.
Entre l’Afrique et le « free jazz »
Musique de mélanges, le jazz, par le biais de nostalgiques « retours à l’Afrique » ou au contact de cultures plus ou moins voisines, devait ajouter à ses contradictions originelles de nouvelles sources d’hétérogénéité. Dès lors, au cours des années 60, la flûte cesse peu à peu d’être considérée comme une monstruosité. Un virtuose comme Herbie Mann (né en 1930) en fait son principal instrument et tente de l’adapter aux modes successives (latino-américaine, africanisante, rock, etc.) ; le saxophoniste Eric Dolphy (1928-1964) l’ajoute à l’alto et à la clarinette basse en tant qu’instrument de contraste et d’ambiguïté ; le poly-instrumentiste Roland Kirk (né en 1935) travaille la flûte de manière à obtenir des effets vocaux surajoutés, plus ou moins inspirés du blues... En fait, au début des années 70, rares sont les saxophonistes qui n’ont pas eu recours, au moins une fois, à la flûte : Ken McIntyre, James Spaulding, Robin Kenyatta, Charles Lloyd, Joe Farrell, Hubert Laws, Nathan Davis, Jerry Dodgion, Sam Rivers, Jimmy Giuffre, Pharoah Sanders, Frank Strozier, Rufus Harley (qui joue aussi de la cornemuse !), les Français Michel Portal et Michel Roques, le Bulgare Simeon Shterev, le Hollandais Chris Hinze... John Coltrane lui-même, à la fin de sa vie, commence d’étudier cet instrument, tandis que le trompettiste Don Cherry (né en 1936) ajoute à sa collection de sonorités « exotiques » celles du pipeau et de la flûte de bambou. Sun Ra, enfin, pianiste et chef d’orchestre dont l’œuvre n’a pas fini de passionner ou de choquer par son parti pris d’étrangeté, a composé et enregistré des œuvres où l’on ne compte pas moins de six flûtes jouant à l’unisson. En dépit de cette abondance de musiques « flûtées », les jazzmen se consacrant exclusivement à cet instrument font figure d’exception. Outre Jeremy Steig, l’un des plus brillants dans l’univers jazzique, c’est du côté de la musique pop, au début des années 70, que se multiplient les flûtistes à part entière.
Ph. C.
R. L. R. et P. P.