Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

flûte (suite)

Les grands solos d’orchestre

J.-S. Bach fit un large usage des flûtes à bec et traversières dans plusieurs concertos brandebourgeois, dans plusieurs cantates, depuis la Cantata da camera, écrite à une seule voix avec une flûte concertante et même parfois deux (aria de la cantate pour le comte Christian zu Sachsen Weissenfels) jusqu’aux célèbres cantates avec orchestre : Cantate du café (air de Lieschen), Cantate pour le dimanche d’ « Oculi » dans laquelle une berceuse chantée par une voix d’alto est soutenue par une flûte et une viole d’amour, Cantate pour le 16e dimanche de la Trinité, Cantate pour le mardi de la Pentecôte (air pour 3 flûtes). D’autres exemples peuvent montrer combien le cantor attachait d’importance à l’instrument, que le Français Pierre Gabriel Buffardin (v. 1690-1768) enseigna à son frère aîné, Johann Jacob Bach. On peut aussi penser que les rencontres de Bach avec d’éminents flûtistes tels que Quantz (élève de Buffardin) à la cour de Frédéric II ont diffusé l’influence française dans la musique pour flûte du grand musicien allemand.

Händel, qui, lui aussi, a hautement doté le répertoire des solistes et de la musique de chambre, mit en valeur la flûte traversière dans ses oratorios, cantates et opéras. Dans le Messie, l’air « Et toi, Sion, tressaille, chante » comporte un important solo. L’air du Rossignol de l’opéra Orlando est peut-être moins célèbre que l’Allegro, il Pensieroso (oratorio), autre air de rossignol, véritable concerto en duo avec la voix de soprano. Notons aussi un air pour soprano et flûte de la cantate Nelo dolce dell’ oblio.

Rameau, en dehors de ses Cinq Concerts pour clavecin, flûte (ou violon) et violoncelle, a montré l’intérêt qu’il attachait à la flûte dans ses opéras, notamment dans Hippolyte et Aricie, avec l’air célèbre « Rossignols amoureux » pour soprano et flûte ; dans ses ballets et dans Platée, il emploie aussi deux flageolets.

On pourrait citer bien d’autres exemples chez d’autres compositeurs. L. N. Clérambault n’a-t-il pas, dans une cantate, écrit un « Air tendre et piqué. Fidèles échos » avec flûte ?

Avec Gluck apparaît le rôle pathétique confié à la flûte dans la « Scène des champs Élysées » d’Orphée, admirable solo que Berlioz aimait tant qu’il le publia intégralement dans son Traité d’instrumentation. Il est impossible de citer tous les solos des symphonistes ; notons l’ « air de la folie » de Lucia de Lammermoor (Donizetti), le duo flûte et cor anglais de Guillaume Tell (Rossini), le scherzo du Songe d’une nuit d’été (Mendelssohn). De Berlioz, la « Danse des Sylphes » (pour les petites flûtes) dans la Damnation de Faust, le « Trio des Ismaélites » de l’Enfance du Christ pour 2 flûtes et harpe. De Bizet, le début de l’acte III de Carmen, l’Arlésienne et la Jolie Fille de Perth. Debussy, avec Prélude à l’après-midi d’un faune, ouvre la voie des grands solos, tels que Namouna de Lalo, Daphnis et Chloé et Ma mère l’Oye de Ravel, Cydalise et le chèvrepied de Pierné, Coppélia de Léo Delibes (solo de petite flûte), la Grande Pâque russe et Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov, Petrouchka de Stravinski, air du ballet d’Ascanio de Saint-Saëns.


Les grands facteurs français et étrangers

Parmi les facteurs célèbres, citons pour la France : au xviie s., les Hotteterre ; au xviiie s., C. Delusse et Thomas Lot ; au xixe s., Laurent, Buffet, Godfroy aîné, Nonon, Louis Lot, Rives, Bonneville, Villette, Debonneetbeau, Barat, Chambille, Lebret ; au xxe s., Martial Lefèvre.

En Angleterre : au xviiie s., Kusder et Richard Potter ; au xixe s., Monzani et Hill, Clementi et Cie, Rudall et Rose, Gerock Astor et Cie ; au xxe s., Rudall et Carte.

En Allemagne : au xviiie s., Boie, Denner, Tromlitz ; au xixe s., Grenser et Wissner, Griessling et Schott, Koch et Liebel, Kruspe, Otto Monning.

En Amérique : au xxe s., Haynes, Powel.


Rôle pastoral et psychologique

Dans sa simplicité, la flûte, qui ne possède même pas une anche, prolonge sans aucun intermédiaire l’élément vital qu’est le souffle. Or, le souffle, le « pneuma » des Grecs, est non seulement le signe de la vie physique de l’homme, mais aussi le symbole de sa vie spirituelle.

Le son de la flûte, par sa pureté, sa douceur et son velouté, nous enchante. Sa mélancolie nous émeut, et l’écho de son chant devient en nous si vivant que notre oreille l’écoute encore alors qu’elle ne l’entend déjà plus. Mais, par-delà les limites de notre perception, certaines vibrations ne nous atteignent-elles pas plus profondément encore sans que nous puissions même les discerner, nous entraînant d’un rêve champêtre vers des régions plus lointaines encore, par une sorte d’envoûtement ? Le pouvoir mystérieux de la flûte s’exerce aussi sur le psychisme animal. On connaît la légende des rats de Hamelin et l’étrange obéissance des serpents des marchés orientaux. Lorsque le berger joue de la flûte, il dialogue avec la nature, qui semble participer à son jeu, et les créatures qu’il tient sous son charme sont pour lui une présence rassurante. Son souffle prend part au grand souffle de la nature, et le chant du plus intime de son être s’harmonise avec celui de l’univers. Il n’est peut-être plus besoin de chercher l’expression des sentiments de l’âme lorsque l’âme s’est elle-même faite expression.

Les flûtistes de jazz

Ce n’est pas un des moindres paradoxes du jazz que la flûte, instrument dont les origines remontent le plus haut dans l’histoire de l’humanité, n’y soit apparue que tardivement : en 1933, Wayman Carver enregistre le premier solo de flûte de l’histoire du jazz (Devil’s Holiday avec l’orchestre de Benny Carter et, en 1937, Hallelujah avec celui de Chick Webb). Pourtant, et bien que la plupart des historiens du jazz expliquent cette apparition tardive par le manque de puissance et une sorte d’ « allergie au swing » de l’instrument, il semble que la flûte était connue des musiciens noirs américains bien avant l’ère phonographique. Souvenir des kété du Ghāna, des flûtes traversières kélé utilisées par les Dogons, des furi nigériennes, ou empruntés aux musiques qui accompagnèrent les guerres d’Indépendance et de Sécession aux États-Unis, des fifres (de fabrication aussi artisanale que les premiers tambours et banjos) sont encore utilisés dans certaines régions du sud des États-Unis pour accompagner un chanteur ou un duo avec percussionniste. Mais les débuts du jazz orchestral coïncidant avec les balbutiements de l’enregistrement, son faible volume sonore devait longtemps tenir la flûte à l’écart des studios.