Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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ferronnerie (suite)

Le style décoratif se détache en Italie du formalisme gothique, non sans en conserver certains détails ornementaux librement traités (grille de la chapelle du Conseil du Palais public de Sienne, 1436). Vers 1500, Nicolo Grosso forge les quatre élégantes lanternes simulant un petit temple à ordres antiques qu’a conservé le palais Strozzi, à Florence. L’école austro-allemande n’est pas moins habile. Elle compose, pour en entourer le tombeau de Maximilien Ier à Innsbruck, un réseau d’involutions d’une rare fantaisie, animé de fleurs, de feuillages, de cartouches et peuplé d’angelots (1568). La technique allemande obtient d’étonnants résultats. Dans la grille de clôture de l’église Sankt Ulrich d’Augsbourg, de 1588, les ornements de fer battu sont soudés aux gros fers. Comment des feuilles dont l’épaisseur varie d’un à deux millimètres ont-elles pu être fixées par soudure sur des fers beaucoup plus épais ? On l’ignore encore. Avec l’Allemagne du Sud, l’Espagne constitue le foyer le plus actif de la ferronnerie du xvie s. Son style particulier, qui reste imprégné des souvenirs mauresques, emprunte à l’art gothique des détails ornementaux. Ses grilles de clôture sont généralement composées de registres superposés de légères tiges fuselées, ou balustrées (églises de Saragosse, de Tolède, de Burgos, cathédrale de Séville) ; la plupart des fenêtres des palais, voire des maisons particulières, sont protégées par des grilles dont le couronnement s’enrichit de motifs à personnages (maison des Coquilles, à Salamanque).

Le renouvellement de la ferronnerie française, dans la première moitié du xviie s., est bien éloigné de ces prouesses de virtuosité. Elle s’applique à des rampes d’escalier, à des balcons, à quelques grilles de communion. Leur décor, d’un classicisme très nu, représente en silhouette le balustre à large bulbe, terminé en deux volutes opposées supportant un tailloir. Ce formalisme s’enrichit toutefois de rosaces et de fleurons environnés d’involutions légères pour composer, au milieu du siècle, les beaux balcons de l’hôtel de Lauzun à Paris. Les célèbres grilles du château de Maisons-Laffitte, passées au musée du Louvre, ont été forgées d’après les desseins de Jean Marot vers 1645 ; elles présentent une particularité nouvelle : l’introduction, parmi les éléments forgés, de pièces fondues. Dès l’avènement de Louis XIV, le style décoratif affecte le caractère de grandeur qu’il gardera jusqu’à la Régence. La grille de clôture du château de Versailles, exécutée par Jean Gabriel Luchet en 1678, est formée de lances verticales dont l’alignement s’interrompt de temps à autre par un panneau stylisant un balustre ; l’amortissement de celui-ci, en deux volutes opposées, encadre le soleil emblématique. Rampes et balcons utilisent nombre d’ornements, monogrammes, écussons, couronnes, reliés par des branches fleuronnées (balcon de la cour de marbre, à Versailles, 1679, par Nicolas Delobel). Les grilles s’exécutent en trois parties qu’assemblent des rivets : le soubassement, meublé de quelque motif à l’antique d’où s’élancent des involutions symétriques, la grille même, faite de barres verticales, et le couronnement, qui tend à prendre une place prédominante (grille de chœur de la cathédrale d’Amiens, forgée de 1751 à 1768 par J. B. Veyren, dit Vivarais).

C’est en 1758 que Jean Lamour (1698-1771) achève le prestigieux ensemble de la place Stanislas à Nancy. Les barres verticales y sont reliées par de gracieux motifs de goût rocaille et cantonnées par des piédroits formés de quatre pilastres accolés. Jean Lamour utilisait les fers battus rivés, renforçant les angles de ses compositions par des fers d’épaisseur. Les grilles de l’ancien archevêché de Sens (1730) ou du chœur de Saint-Ouen de Rouen sont d’autres exemples des ouvrages de grandes dimensions qu’autorisent de nouveaux procédés élaborés dès le siècle précédent : assemblage par tenons et mortaises, ornements en tôle de fer repoussée au marteau. C’est toute une somme de savoir professionnel qu’apporte en Angleterre un Jean Tijou, qui y séjourne de 1689 à 1710, s’adaptant remarquablement au goût original dont témoigne l’admirable grille d’Hampton Court (1690). Dans les régions germaniques du Sud, l’art du fer exprimait avec le même bonheur le génie du baroque, notamment avec des grilles simulant une perspective (église Sankt Ulrich und Afra à Augsbourg).

Avec l’adoption générale du style « à la grecque », dans les années 1760, s’élabore une ferronnerie différente. À la fantaisie succèdent la règle et la symétrie. Les fers sont polis, les traces des coups de marteau sont effacées. Des ornements de bronze s’introduisent dans les compositions et l’on assemble les barres à mi-fer, à la manière de la menuiserie médiévale (rampes d’entrelacs de Compiègne, du Petit Trianon, du Palais-Royal à Paris). Le mouvement ascensionnel des involutions en rinceaux est désigné d’un mot imagé : les rampes à chiens courants. Les grilles, elles, restent classiques : ainsi celle du palais de justice de Paris, chef-d’œuvre de Bigonnet (1785).

Le xixe s., en France, n’a connu l’art du ferronnier que par les pentures du portail central de Notre-Dame de Paris, qu’exécuta Pierre Boulanger, le seul praticien que put trouver Viollet-le-Duc pour oser entreprendre un ouvrage alors considéré comme irréalisable. À cette époque triomphe la fonte, dont on fait les balcons et les rampes. Mais, au début du xxe s., Emile Robert (1860-1924), à Paris, appelle ses confrères à la rénovation du vieux métier. Par l’enseignement et par l’exemple (grilles d’entrée du musée des Arts décoratifs à Paris), il groupe une élite d’artistes : Edgar Brandt (1880-1960), Raymond Subes (1893-1970), Richard Desvallières. L’industrie suit la leçon, réalisant par les puissants moyens de l’outillage lourd, du laminoir au marteau-pilon, de véritables monuments de fer, interdits aux forces humaines.

G. J.