Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Faulkner (William) (suite)

Sur quoi, en effet, Faulkner écrit en six semaines son premier roman, Soldier’s Pay (Monnaie de singe), sur les désillusions d’après guerre. Publié en 1926, le livre est bien accueilli par la critique, mais se vend mal. En 1927, Faulkner écrit Mosquitoes (Moustiques), satire des milieux artistiques de La Nouvelle-Orléans, pleine de ses souvenirs et de ses promenades avec Sherwood Anderson. La même année, travaillant à Oxford comme peintre et charpentier, il commence à entrevoir comment il pourrait faire un usage personnel des éléments d’inspiration que lui offre son Mississippi natal. « Vous êtes un gars de la campagne, lui avait dit Anderson. Tout ce que vous connaissez, c’est ce petit bout de terre, là-bas, dans le Mississippi, d’où vous êtes parti. »

Sartoris, écrit en 1927, marque le début de l’œuvre originale de Faulkner et de la chronique du Yoknapatawpha. Mais les éditeurs le refusent. Influencé par les techniques de monologue intérieur utilisées par Joyce dans Ulysse, Faulkner écrit le second roman de la série, The Sound and the Fury (le Bruit et la fureur), également refusé par les éditeurs, puis un roman plus picaresque, As I lay dying (Tandis que j’agonise, 1930). Furieux des refus d’éditer, accablé de problèmes d’argent et venant de se marier, il compose alors, pour gagner de l’argent, Sanctuary (Sanctuaire), parodie de roman réaliste noir. Sartoris et le Bruit et la fureur, enfin publiés en 1929, n’avaient eu aucun succès. En 1931, Sanctuaire fait un succès de scandale et apporte l’aisance à son auteur. Faulkner s’installe à Oxford, dans une vieille villa, « Rowanoak », où il vivra retiré jusqu’à sa mort, à l’exception de deux séjours alimentaires à Hollywood. En 1932, il travaille pour la Metro-Goldwyn-Mayer à neuf scénarios, dont l’adaptation de Sanctuaire (The Story of Temple Drake, 1933) et pour la Twentieth Century Fox.

À partir de 1932, dans la solitude d’Oxford, il compose très régulièrement les romans de la geste du Yoknapatawpha : Light in August (Lumière d’août, 1932), Pylon (Pylône, 1935), Absalom, Absalom ! (Absalon ! Absalon !, 1936), The Unvanquished (l’Invaincu, 1938), The Hamlet (le Hameau, 1940), Go down, Moses (Descends, Moïse, 1942), Intruder in the Dust (l’Intrus, 1948), The Town (la Ville, 1957), The Mansion (le Domaine, 1959), et The Reivers (les Larrons, 1962), son dernier roman. Il publie aussi deux recueils de nouvelles, These 13 (Treize Histoires, 1931) et Doctor Martino (le Docteur Martino et autres histoires, 1934), un conte symbolique, A Fable (1954), et une pièce de théâtre, Requiem for a Nun (Requiem pour une nonne, 1951). Discret, secret, il mène une vie de gentleman-farmer, refuse les interviews et semble vivre dans son œuvre sudiste : « On n’échappe pas au Sud, écrit-il ; on ne guérit pas de son passé. »

La vie et l’œuvre de Faulkner semblent vouées au recueillement, à l’ensevelissement dans un passé sudiste minutieusement reconstitué. En fait, Faulkner est moins un réaliste qu’un créateur épique. Les personnages se retrouvent d’un roman dans l’autre, membres d’un même univers, unis par les liens du sang, de la haine et de l’imagination de l’auteur. Faulkner est le fondateur d’un territoire américain, le Yoknapatawpha, comté imaginaire de l’État du Mississippi, pays plat et fertile, dont le nom assemble deux mots indiens et signifie « le pays où l’eau coule lentement à travers les terres plates ». Au centre, la ville de Jefferson, avec la place et le palais de justice au milieu. Plus loin, la banlieue, où se forge la fortune des Snopes, où se ruine l’aristocratie de planteurs. Champs, maisons, routes poussiéreuses du Sud, tout est agencé avec une telle minutie qu’on a dressé des cartes du Yoknapatawpha, des annuaires et des arbres généalogiques de ces 15 611 personnages, dont 6 298 Blancs et 9 313 Noirs.

Le Yoknapatawpha est à l’image du comté de La Fayette, et Jefferson à celle de la ville d’Oxford, où Faulkner vécut, est mort et repose parmi ses personnages. « Avec Sartoris, écrit Faulkner, je découvris que le timbre-poste de mon sol natal méritait qu’on en fasse un livre et que je ne vivrais jamais assez longtemps pour l’épuiser, et je vis aussi qu’en sublimant le réel en universel, j’aurais toute liberté d’exercer ce que je pouvais avoir de talent. Une mine d’or s’ouvrait à moi, et c’est ainsi que je créais un monde qui m’appartint. » En effet, les mœurs, les patois, les techniques de culture et d’élevage, tout est décrit comme dans un roman de terroir.

Le Yoknapatawpha a sa légende, sa préhistoire et son histoire. Au début, seuls les Indiens l’occupent, dont le chef porte le nom français de Du Homme, bientôt transformé en l’anglais « Doom » : fatalité. Au début du xixe s., les colons arrivent, les Compson d’abord, puis les McCaslin, les Sutpen, les Sartoris enfin, qui vont fonder l’aristocratie des planteurs de tabac et de coton. Ces aristocrates sudistes forment une société féodale, fondée sur la plantation et l’esclavage. Chaque clan forme une « maison », un « genos » avec ses parents, ses clients, ses esclaves, ses atavismes. On peut parler de la « maison Sartoris » comme de la « maison des Atrides ».

L’ordre dans lequel Faulkner a écrit ses romans ne correspond pas à l’ordre chronologique. Mais la chronique du Yoknapatawpha est d’abord la décadence des grandes familles. La défaite du Sud pendant la guerre de Sécession, le délabrement des plantations et de l’économie coloniale liquident les fortunes, hypothèquent les terres et embâtardisent les « maisons » en quatre générations. Chez les Compson, le fils doit hypothéquer les terres, et le petit-fils les vendre ; la quatrième génération, dans le Bruit et la fureur, se compose de Benjy, l’idiot, de Caddy, une traînée, et de Quentin, qui se suicide. Chez les Sartoris, c’est la même déchéance. Chez les Sutpen, le métissage aggrave la déchéance sociale ; dans Absalon ! Absalon !, Henry tue son demi-frère, qui est à la fois demi-noir et amant de sa demi-sœur, sans qu’on sache si l’horreur de l’inceste l’emporte sur celle du métissage. Quand Sutpen, tel Agamemnon, rentre de la guerre, il trouve son fils noir mort, son fils blanc en fuite, sa fille vouée au célibat. Pour s’assurer une descendance, il séduit la fille d’un de ses fermiers, qui tue Sutpen, sa fille, leur enfant et lui-même. Quant à Henry, seul survivant de cette tragédie du sang, terré à demi fou pendant vingt ans chez une Noire, il se fait brûler vif.