Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Mais les prix agricoles baissent beaucoup plus que les prix industriels : effet de la déflation ? concurrence de nouveaux producteurs, comme les Russes, les Argentins, les Australiens ? surproduction toujours latente aux États-Unis ? renforcement du protectionnisme en Europe ? Tous ces facteurs se conjuguent. Pour les fermiers, ce sont les chemins de fer et les banques qui sont responsables du marasme. Ils demandent que les transports soient moins chers et que la monnaie soit plus abondante. Depuis 1867, ils ont organisé des associations mi-culturelles, mi-syndicales, les « granges », qui se regroupent en « alliances ». Dans les campagnes, l’orage gronde.


La crise populiste

La crise éclate dans la dernière décennie du siècle. Aux élections législatives de 1890, les alliances parviennent à imposer certains de leurs candidats aux partis politiques. Dans l’Ouest, elles font élire 5 sénateurs fédéraux, 6 gouverneurs, 46 législateurs d’États. Pour les fermiers, le temps semble venu de fonder un nouveau parti, plus dynamique. Il est de fait qu’en 1892 républicains et démocrates ne se distinguent plus entre eux que par des questions de personnes ou des nuances régionales. Alors, les mécontents se réunissent à Omaha, dans le Nebraska, et, au milieu de l’enthousiasme général, créent le parti populiste ou parti du peuple.

Mouvement essentiellement rural, le populisme tente, sans grande conviction, d’attirer à lui les ouvriers. Or, au lendemain de la guerre civile, un syndicat national s’était fondé : d’abord ordre secret, il était devenu public et avait regroupé un million d’adhérents. Les Knights of Labour (les chevaliers du travail) réclamaient des salaires égaux pour les hommes et les femmes, la journée de huit heures, l’arbitrage pour éviter les grèves, l’abolition du système des contrats de travail et de l’emploi des enfants. À la fin des années 80, ce syndicat interprofessionnel décline en raison des attentats anarchistes et parce que, dans les années où la crise menace, l’activité syndicale se ralentit considérablement ; enfin, les immigrants sont souvent utilisés comme briseurs de grèves. Aussi, le mouvement ouvrier traverse-t-il une période d’incertitudes : l’American Federation of Labor, créée par Samuel Gompers (1850-1924), est une confédération de syndicats de métier qui ne regroupe que des ouvriers qualifiés ; quelques syndicats, comme celui des cheminots, sont décidés à mener une action énergique ; la plupart des travailleurs estiment que leurs intérêts les rapprochent plus des industriels que des fermiers.

Certains chefs populistes ont bien vu le danger de cette division des forces du travail. Ils condamnent l’utilisation par les patrons des polices privées pour réprimer les grèves, réclament le raccourcissement des horaires de travail et la limitation de l’immigration, et apportent leur soutien aux grèves en cours. Mais, dans un mélange de réaction et de modernisme, le populisme exprime surtout les revendications du monde rural. Il vise à faire dans le calme une révolution politique : établissement du scrutin secret, élection directe des sénateurs fédéraux, droit d’initiative et de référendum, limitation à un seul mandat de la fonction présidentielle. Ainsi, le peuple reprendra la direction des affaires politiques. Il s’efforcera alors d’atteindre des objectifs sociaux et économiques : nationalisation par les États des compagnies de chemins de fer ; réorganisation du système bancaire pour rétablir l’élasticité du crédit ; institution d’un impôt progressif sur le revenu ; retour effectif au bimétallisme, donc libre frappe de l’argent pour déclencher une inflation qui résoudra les problèmes de ces endettés que sont les fermiers. La plupart des revendications populistes deviendront des réalités dans les années suivantes ; mais du mouvement agraire se dégage un parfum jeffersonien : les villes sont des lieux impurs, que dominent les financiers ; l’agriculture mérite des soins privilégiés ; les institutions américaines sont toujours perfectibles et doivent assurer à tous l’égalité des chances.

Le candidat populiste aux élections présidentielles de 1892 remporte quelques succès dans l’Ouest. L’année suivante, la crise économique s’étend aux villes ; les affaires s’arrêtent ; des grèves éclatent, comme celle des ouvriers de Pullman à Chicago, appuyée par les cheminots en 1893-94. Un agitateur, Jacob Sechler Coxey (1854-1951), conduit une « armée » de miséreux jusqu’à Washington, mais la marche se termine en farce. Le président Cleveland, partisan d’une monnaie solide et de l’ordre, envoie les troupes fédérales réprimer l’agitation dans l’Illinois. Au sein des grands partis, les états-majors saisissent enfin la gravité du malaise.

D’un côté, les républicains cherchent à annuler les effets du populisme en montrant aux ouvriers que l’inflation fait monter le prix du pain, que l’agitation dans les campagnes est créée par des propriétaires et non par des salariés, et qu’elle aboutira à prolonger la crise, donc à provoquer la fermeture de plus d’usines. De l’autre côté, les démocrates tentent de récupérer le mouvement populiste. Ils trouvent en William Jennings Bryan (1860-1925) le politicien qu’il faut : merveilleux orateur, homme de l’Ouest, partisan du bimétallisme, Bryan part en 1896 pour la conquête de la Maison-Blanche ; les populistes décident de le soutenir. Tout le talent de ce politicien échoue face au républicain McKinley, qui, à défaut d’éloquence, dispose de beaucoup d’argent. Bryan remporte pourtant un succès appréciable dans l’Ouest et dans le Sud. Mais, dans sa chute, il entraîne le populisme. D’ailleurs, dès 1897, la situation économique s’améliore : l’or de l’Alaska et de l’Australie fait remonter les prix ; en 1898 commence l’aventure impériale des États-Unis.


La période progressiste

Avec ses faiblesses et ses contradictions, le populisme n’en a pas moins fourni des idées et exprimé des revendications, que les premières années du xxe s. vont se charger de réaliser.