Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Les réformistes, ou progressistes, sont des citadins plus que des fermiers, des membres des professions libérales plus que des ouvriers, des Blancs plus que des Noirs et beaucoup de journalistes, d’avocats, de juges, de social workers, de ministres du culte. Le progressisme exprime avant tout la protestation des classes moyennes : il témoigne de l’enrichissement des États-Unis. 76 millions d’habitants en 1900, 106 millions en 1920, 1 million d’immigrants environ chaque année, des sociétés géantes comme la U. S. Steel Corporation, les abattoirs de Chicago, les énormes banques de New York, un revenu national qui ne cesse d’augmenter : voilà la nouvelle Amérique. Mais, pour lutter contre les excès du grand capitalisme et désamorcer l’agitation ouvrière et rurale, les progressistes souhaitent une réforme pacifique du régime politique et du système économique.

L’injustice, ils la dénoncent avec force : 1 700 000 enfants de moins de seize ans sont employés dans les usines ; les femmes travaillent de trop longues heures pour des salaires inférieurs à ceux des hommes et n’ont même pas le droit de vote ; les ouvriers n’ont aucune protection contre le chômage ou contre la concurrence des immigrants ; l’alcoolisme menace les foyers les plus pauvres ; les entreprises industrielles et bancaires exercent sur la société et l’économie une domination incontrôlée ; la corruption imprègne profondément la vie politique.

Citadins instruits, les progressistes utilisent la force nouvelle du journalisme. Des mensuels ou des périodiques, comme Munsey’s Magazine, McClure’s Magazine, Cosmopolitan, publient des reportages qui dénoncent les scandales. Les auteurs sont des muckrakers (remueurs de fumier) ; ils appartiennent à la même famille que les écrivains naturalistes, comme U. Sinclair, F. Norris, H. Garland, St. Crane, ou socialistes, comme le Jack London du Talon de fer.

Il suffit, disent les progressistes, d’alerter l’opinion pour qu’elle prenne conscience des dangers qui menacent le pays et qu’elle adopte les mesures nécessaires. Ainsi, le complot des forces malfaisantes sera déjoué. Aussi le mouvement progressiste poursuit-il deux objectifs. Le premier vise à épurer la société américaine. Il faut que le gouvernement des États et des villes soit rendu au peuple. Les « machines » des partis sont vendues aux « intérêts spéciaux », c’est-à-dire au business ; il convient de renforcer la responsabilité de ceux qui détiennent le pouvoir. De là l’apparition et le succès des élections primaires : à l’intérieur de chaque parti, ce ne sont plus les bosses qui choisissent les candidats, mais tous les membres du parti. Le Wisconsin donne l’exemple ; quelques États étendent cette procédure à la désignation du candidat à la présidence. Des lois essaient de contrôler les dépenses des campagnes électorales. Des États de l’Ouest établissent le référendum, le rappel et le droit d’initiative, qui, par des moyens divers, permettent de surveiller l’action des élus. Au niveau des villes, l’autonomie à l’égard des États garantit un minimum d’honnêteté dans les pratiques quotidiennes.

Enfin, les progressistes attendent que le président soit un véritable leader. Theodore Roosevelt, au cours de son second mandat (1905-1909), et Wilson, au cours de son premier mandat (1913-1917), répondent à leurs désirs et poussent le Congrès, quelquefois réticent, à voter une législation antitrust plus rigoureuse que la loi Sherman de 1890, à protéger le travail des femmes, à proscrire l’emploi des enfants et à préparer la généralisation de la journée de huit heures. En 1913, par deux amendements à la Constitution, l’impôt sur le revenu et l’élection directe des sénateurs fédéraux sont institués. Les idées progressistes font recette au point qu’en 1912 trois des quatre principaux candidats à l’élection présidentielle s’en réclament.

Tous les éléments qui pourraient faire obstacle à cette épuration de la société sont combattus. C’est le cas, par exemple, des immigrants. Comme la nouvelle vague des immigrants se compose de juifs, de catholiques, d’Européens de l’Est et du Sud qui ne parlent pas l’anglais, les progressistes se prennent à douter de l’efficacité du melting pot : comment les nouveaux venus pourraient-ils comprendre ce qu’est une démocratie politique sur le modèle anglo-saxon ? Une campagne se dessine pour obtenir que l’entrée des étrangers soit limitée. Les Noirs ne bénéficient pas d’une plus grande bienveillance. En 1896, la Cour suprême a, dans le verdict « séparé mais égal », légalisé la ségrégation raciale, qui s’installe peu à peu partout, y compris dans les bâtiments fédéraux. Les leaders de la communauté noire hésitent entre deux attitudes. La majorité suit Booker Taliaferro Washington (1856-1915), qui prêche la patience et recommande une instruction technique et agricole. Les autres se réclament d’un jeune universitaire, William Edward Burghardt Du Bois (1868-1963), qui, avec des amis blancs, fonde l’Association pour le progrès des gens de couleur (NAACP), pour obtenir tout de suite l’égalité des droits politiques. En fait, 8 750 000 Noirs, sur un total de 9 800 000, vivent en 1910 dans le Sud : ils sont privés, par des moyens légaux ou non, de leur droit de vote, sont victimes des lynchages et, dans l’ensemble, vivent pauvrement.

Le second objectif du mouvement ne fait pas l’unanimité des progressistes. Il tend à exporter la démocratie américaine, après avoir fait des États-Unis le modèle à suivre. Certes, les facteurs de l’impérialisme ne manquent pas : depuis 1890, la Frontière n’existe plus — où trouver l’exutoire indispensable à l’excédent de population ? où découvrir de nouveaux champs d’investissements ? Dans ses ouvrages parus entre 1890 et 1897, l’amiral Alfred Thayer Mahan (1840-1914) a exalté l’idée d’un empire qui satisferait les ambitions politiques et économiques du pays. Mais ces considérations n’excluent pas l’esprit missionnaire.