Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Quant aux Noirs, la reconstruction leur a apporté les droits civiques et politiques, mais ils n’ont pas obtenu « les 40 acres et une mule » qu’ils attendaient. La pauvreté les contraint d’accepter des formes d’exploitation qui les enchaînent à la terre. Leur niveau d’éducation ne s’améliore guère. Par contre, la ségrégation s’installe dans la vie quotidienne, et les « bourbons » — autre nom pour désigner la classe des planteurs — reprennent le pouvoir à partir de la présidence de Grant. Pour les Noirs, le Nouveau Sud n’est pas plus accueillant que le Vieux.


L’âge doré

Si le Nord se désintéresse de ce qui se passe dans le Sud, c’est que les États-Unis entrent dans l’âge doré, qui, pendant le dernier tiers du siècle, fera d’eux la plus grande puissance économique du monde. Le take-off, selon Walt Rostow, se situe à la veille de la guerre civile. La phase de maturité est atteinte au début du xxe s. D’ailleurs, la courbe des indices de la production industrielle est très expressive : pour la base 100 en 1899, l’indice est à 17 en 1865, à 30 en 1873, à 60 en 1887 et à 70 en 1893 ; 12 000 km de voies ferrées sont construits chaque année de 1870 à 1872 et 18 400 km en 1882. Mais la récession s’installe de 1873 à 1878, de 1882 à 1885 et de 1893 à 1897 : sur les trente-cinq dernières années du siècle, on compte quinze années de marasme.

Le produit national brut s’élève par an à 6 710 millions de dollars de 1869 à 1873, à 11 300 millions de 1882 à 1886, à 23,5 milliards de 1902 à 1906. L’accroissement profite plus à l’industrie qu’à l’agriculture. La part de cette dernière dans le revenu national passe de 30,8 p. 100 en 1859 à 15,8 p. 100 en 1889, pour remonter à 21,2 p. 100 en 1899.

L’évolution démographique est également surprenante : 39 818 449 habitants en 1870, dont 5 392 000 Noirs ; 75 994 575 en 1900, dont 8 833 994 Noirs. C’est que, de 1861 à 1900, 14 millions d’immigrants sont entrés aux États-Unis, venant surtout de l’Europe du Nord et du Nord-Ouest ; d’autre part, la natalité reste élevée.

Aussi l’Amérique qui émerge de l’âge doré est-elle plus urbaine que rurale, absorbe plus d’immigrants, se rapproche plus de l’idéal hamiltonien que du programme jeffersonien.

• Les chemins de fer prennent une extension extraordinaire : 80 000 km exploités en 1870, 300 000 en 1900. Depuis 1869, le transcontinental (bientôt suivi par plusieurs autres) relie la côte atlantique au Pacifique. Pour stimuler la construction, le Congrès alloue de la terre de chaque côté de la voie aux sociétés constructrices et des prêts d’importance variable. Irlandais (à l’est) et Chinois (à l’ouest) fournissent une main-d’œuvre à bon marché. Transporteurs et propriétaires, les compagnies louent ou vendent des terres à leurs propres passagers et se chargent de transporter leurs récoltes. Vite, elles monopolisent les communications entre l’Ouest ou le Middle West et les ports de l’Atlantique. Les « rois » des chemins de fer s’appellent James Hill (1838-1916), Cornelius Vanderbilt (1794-1877), Edward Henry Harriman (1848-1909), etc.

• L’industrie connaît un essor foudroyant. Elle donne aux États-Unis le premier rang dans le monde pour l’acier, le bois, le raffinage du pétrole, la mise en conserve et la préparation de la viande, l’extraction de l’or, de l’argent, du charbon, du fer. Elle bénéficie de l’augmentation de la population, qui fournit la main-d’œuvre et les consommateurs, ainsi que de ce vaste marché commun que constitue l’Union. Elle est essentiellement tournée vers la satisfaction des besoins nationaux. Elle tire parti de l’absence de toute réglementation fédérale en matière économique : c’est le règne de la libre entreprise. Elle s’organise en fonction de ses besoins : les pools sont remplacés par des trusts, qui cèdent la place aux holdings. Andrew Carnegie (1835-1919), John Davison Rockefeller (1839-1937), Philip Danforth Armour (1828-1901) et Gustavus Franklin Swift (1839-1903), Charles Alfred Pillsbury (1842-1899), Henry Osborne Havemeyer (1847-1907), Frederick Wayerhaeuser (1834-1914) et les autres grands capitaines d’industrie de l’époque s’inspirent des principes du darwinisme social : le plus apte, le plus fort dans le combat de la vie l’emporte. « Dieu m’a donné mon argent », déclare Rockefeller, et Carnegie exalte les vertus qui permettent à n’importe quel balayeur d’accéder à la richesse et à la puissance. Ces business men sont les héros de l’âge doré : qui ne rêve de les imiter ? Tous les hommes ne bénéficient-ils pas de l’égalité des chances ?

Certains d’entre eux se font une gloire de dépenser leur argent avec discrétion et de donner d’importantes contributions pour créer une université, un musée, une bibliothèque, des bourses d’études. D’autres affichent un luxe tapageur, habitent des maisons trop gothiques, achètent des colifichets trop chers, bref manifestent des goûts de nouveaux riches.

Pourtant, les hommes d’affaires réclament l’intervention fédérale dans deux domaines. Ils veulent être protégés par de solides barrières douanières contre leurs concurrents étrangers : quand les républicains sont au pouvoir, le tarif n’est jamais trop haut. Ils souhaitent aussi une monnaie solide qui leur permette de dominer l’économie américaine et de faire bonne figure dans la communauté internationale. Ils obtiennent la démonétisation de l’argent, en consentant par la suite quelques avantages aux bimétallistes ; ils font retirer de la circulation les billets à dos vert (les greenbacks), qui datent de la guerre civile et sont dépréciés.

• Le monde rural subit les contrecoups de cette évolution. Certes, l’agriculture progresse, elle aussi. De 1870 à 1900, la production de blé passe de 255 millions à 600 millions de boisseaux ; celle de maïs et de coton augmente dans les mêmes proportions. Cela s’explique par l’extension des surfaces cultivées. Les Grandes Plaines sont alors colonisées par des fermiers sédentaires, qui succèdent aux cow-boys. Le recensement de 1890 confirme cette évolution : il n’y a plus de Frontière. La productivité a également augmenté : de nouvelles machines sont utilisées ; pour les acheter, le fermier s’endette, donc se livre davantage encore à la monoculture.