Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

érosion (suite)

L’accumulation

Si les particules fines prises en suspension par un courant fluvial peuvent parfois être entraînées en une fois jusqu’à la mer, le plus souvent les débris cheminent de façon intermittente. Il est donc normal qu’un manteau détritique, en apparence immobile, enveloppe les versants ou qu’une nappe d’alluvions tapisse les lits fluviaux. Tout dépôt n’est pas, de ce fait, synonyme d’accumulation : il peut ne constituer qu’une immobilisation temporaire de débris, en cours de transit.

Il n’y a accumulation que lorsque l’immobilisation est définitive. Diverses causes en sont responsables.

• Premier cas : absence de relais d’un processus d’évacuation à un autre. C’est, par exemple, ce qui se produit lorsque les débris descendus sur les versants sous l’action de la pesanteur viennent s’entasser dans un vallon dépourvu d’écoulement ; la pente faiblissant au pied des versants, la pesanteur devient inefficace et n’est relayée par aucun autre agent. C’est un phénomène courant dans les vallons des régions de climat périglaciaire creusés dans des roches très gélives comme la craie. C’est de cette façon que les petites vallées de la Champagne crayeuse ont été remblayées par des grèves lors des périodes froides du Quaternaire.

• Deuxième cas : substitution d’un agent plus faible à un agent d’évacuation puissant. À l’extrémité d’une langue glaciaire, par exemple, la fusion de la glace libère les débris entraînés par le glacier, la moraine, que caractérise une forte hétérométrie. Seuls les éléments les plus fins peuvent être pris en charge par les eaux de fusion ; les débris qui dépassent leur compétence restent sur place et s’accumulent en forme de croissant.

• Troisième cas : diminution de la puissance ou de la compétence d’un agent d’évacuation. Les eaux courantes, par exemple, perdent de leur énergie lorsque la pente de leur lit faiblit brusquement. Tel est le cas des torrents qui, à leur débouché dans une vallée, construisent un cône de déjection ou des rivières montagnardes arrivant sur un piémont où elles abandonnent leurs alluvions grossières. Le brusque ralentissement du courant fluvial à son embouchure dans la mer ou dans un lac a le même effet : il explique l’envasement des estuaires et la progression des deltas. Dans les régions arides, la forte évaporation amenuise le débit des oueds vers l’aval et parfois même les assèche totalement. Dans ce cas, toute la charge est abandonnée : les éléments grossiers en premier, puis les débris de plus en plus fins et finalement les substances dissoutes précipitent.

Les divers processus, dont le tableau vient d’être sommairement présenté, n’agissent en fait jamais isolément. « Le façonnement du relief est dû à une hiérarchie de mécanismes étroitement associés les uns aux autres et dont l’action se coordonne en un système » (Jean Tricart). André Cholley le nommait système d’érosion, expression à laquelle on préfère aujourd’hui celle de système morphogénétique (ou morphogénique).

Un système morphogénétique est donc une combinaison de processus hiérarchisés entre lesquels existent de multiples interactions.

• Hiérarchie. Certains processus ont un rôle prépondérant, d’autres un rôle accessoire. Ainsi, dans les pays froids, le processus dominant de la météorisation est la gélifraction ; pourtant, toute altération chimique n’est pas absente, mais son action reste très secondaire. Dans les régions tempérées humides, c’est au contraire la gélifraction qui est le processus accessoire et l’altération chimique le processus prédominant.

• Interaction. Ainsi qu’il a déjà été dit, la météorisation est conditionnée par l’épaisseur du manteau détritique qui recouvre les roches. Or, cette épaisseur représente le bilan entre la vitesse de formation des altérites et la vitesse de leur ablation par les agents d’évacuation sur les versants. Si l’ablation est plus rapide que la météorisation, la roche reste nue, les débris étant évacués au fur et à mesure de leur production. Si, au contraire, la météorisation progresse plus vite que l’ablation, les altérites s’accumulent sur place : leur épaississement tend à protéger la roche des agents atmosphériques, ce qui atténue progressivement l’efficacité de la météorisation. Un équilibre tend donc à s’établir. Mais cet équilibre est lui-même conditionné par l’aptitude des cours d’eau à prendre en charge les débris acheminés au pied des versants ; or, cette aptitude est fonction, entre autres facteurs, du calibre des débris livrés par les versants, calibre déterminé, indépendamment des propriétés de la roche, par la nature des processus de la météorisation et de l’ablation sur le versant ainsi que par la valeur de la pente.

Si, localement, les influences structurales et topographiques peuvent jouer un rôle dans la manière dont les processus morphogénétiques se combinent, à plus grande échelle c’est le climat qui commande les systèmes morphogénétiques. Son influence est double : d’abord une influence directe sur les mécanismes mêmes, influence qui est à la fois qualitative (ainsi, le gel est exclu des régions tropicales, sauf en haute montagne, alors qu’il est très actif en région froide) et quantitative (ainsi, le gel peut être saisonnier ou quotidien, superficiel ou profond) ; ensuite une influence indirecte, qui s’exerce par l’intermédiaire du couvert végétal et des sols (végétation et sol constituent en effet un écran plus ou moins efficace selon les milieux entre la roche et l’atmosphère, et conditionnent par conséquent la météorisation ; par leurs caractéristiques, ils peuvent, d’autre part, favoriser ou entraver l’ablation sur les versants).

Chaque système morphogénétique se trouve donc en équilibre avec un climat donné, la végétation et les sols qui lui correspondent. Qu’un élément vienne à être modifié, cet équilibre est rompu ; les processus ne se combinent plus de la même manière, et un nouvel équilibre tend à s’instaurer. L’homme est souvent à l’origine de tels déséquilibres, qui peuvent se révéler catastrophiques quant aux aptitudes du milieu naturel : on parle de ce fait d’« érosion anthropique ».