Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

érosion (suite)

L’abrasion des roches saines

On a cru longtemps que le frottement exercé par l’eau, le vent ou la glace en mouvement pouvait éroder des roches cohérentes saines. En fait, la chose ne semble possible que dans le cas où des eaux courantes franchissent une section subverticale de leur lit. Au pied des cascades, en effet, l’eau qui a décollé du lit possède un impact puissant. Les tourbillons provoqués par la chute de l’eau sapent le pied de l’abrupt rocheux, qui s’éboule de temps à autre, faisant reculer la cascade. Mais, pour que cette érosion se manifeste efficacement, encore faut-il que la chute soit assez haute pour que l’eau acquière une énergie cinétique suffisante ; il ne faut pas non plus que, compte tenu du débit, elle soit trop haute, car sinon l’eau se divise en fines gouttelettes qui flottent dans l’air et n’exercent qu’un impact très faible. Il y a donc un optimum de hauteur de chute qui permet à l’eau d’avoir la force maximale.

Cependant, le recul des cascades est beaucoup plus rapide lorsque les eaux sont armées d’alluvions. D’une façon générale, en effet, l’eau, le vent et la glace n’exercent d’usure sur des roches saines que grâce aux débris qu’ils transportent et qui leur servent d’abrasif.

Selon la taille et la nature de l’abrasif et suivant la force avec laquelle celui-ci racle la roche, l’usure se manifeste sous des aspects variés. Un glacier armé de blocs anguleux très durs, par exemple, peut creuser sur les parois de son auge des cannelures profondes de 2 à 3 cm et larges de 5 à 10 cm ! Plus souvent, il n’imprime que des stries et des griffures de 1 à 2 mm seulement. Au contraire, là où, chargé de fines particules, il agit en douceur, il donne aux roches un poli comparable à celui qui est produit par les eaux courantes ou le vent armés de sables fins.

Dans les rivières, les galets entraînés par des tourbillons à axe vertical creusent des cavités circulaires connues sous le nom de marmites de géants, qui, en s’approfondissant et en s’élargissant, permettent l’incision du lit fluvial dans la roche.

L’action abrasive du vent est appelée corrasion. Elle cisèle dans les argiles de petites crêtes de forme aérodynamique, les yardangs ; elle creuse des alvéoles de nid d’abeilles dans les calcaires, les grès et les roches cristallines ; elle contribue à modeler des rochers en champignon, son action ne s’exerçant qu’au voisinage du sol...

Les lois de l’érosion fluviale

Il y a longtemps que les ingénieurs italiens et français chargés de corriger les cours d’eau alpestres ont découvert la tendance naturelle des eaux courantes à aménager le profil longitudinal de leur lit suivant une courbe concave vers le ciel, c’est-à-dire dont la pente ne cesse de décroître des sources à l’embouchure sans jamais être nulle. Ce profil idéal, vers lequel tend tout cours d’eau, est tel qu’en tout point il y a équilibre entre la charge à évacuer et la capacité de transport. On l’appelle profil d’équilibre.

De nombreux auteurs ont tenté d’expliquer la concavité de ce profil. Il s’agit de comprendre comment une rivière peut entraîner une charge croissante de l’amont vers l’aval sur une pente de plus en plus faible. La considérable augmentation de la capacité de transport que cela suppose résulte de trois facteurs :
— l’accroissement du débit, grâce aux apports des affluents et aux sources qui sourdent au pied des versants ;
— l’élargissement, beaucoup plus rapide que l’approfondissement du lit fluvial, permettant le cheminement d’une plus grande quantité de débris à la fois par charriage sur le fond ;
— surtout la diminution du calibre des alluvions. Par les frottements et les chocs qu’elles subissent, les alluvions s’usent en effet, aussi bien celles qui sont en transit (usure active) que celles qui sont au repos (usure passive), ces dernières étant abandonnées temporairement par effet de triage et devant être remises en mouvement dès que leur diamètre n’excédera plus la compétence. D’autre part, le relief perdant généralement de son énergie vers l’aval, les versants, ayant une pente plus faible, fournissent à la rivière des débris de plus en plus fins.

La rivière évolue vers son profil d’équilibre par une régularisation progressive de son cours, creusant là où la pente de son lit est supérieure à celle qui est nécessaire à l’évacuation de sa charge, accumulant là où elle est trop faible pour lui permettre d’entraîner toutes ses alluvions. Toutefois, son action en un point donné de son cours n’est pas indépendante de ce qui se passe sur l’ensemble de son profil : le creusement se trouve limité par la nécessité de maintenir à l’aval une pente suffisante à l’évacuation jusqu’à l’embouchure de la charge qui provient de l’amont et à laquelle s’ajoutent les apports des versants. En particulier, la rivière ne peut, en aucun cas, creuser au-dessous du niveau de son embouchure, appelé niveau de base. C’est donc à partir de ce point fixe que le profil d’équilibre se réalise de proche en proche en direction de l’amont ; d’où l’expression érosion régressive.

Le profil d’équilibre est une courbe théorique. En fait, les profils réels sont par essence mobiles et ne cessent de se modifier en fonction des variations saisonnières et des irrégularités interannuelles du débit. À l’échelle géologique, la lente évolution du relief, dont l’usure tend à atténuer la raideur des versants, transforme progressivement les caractéristiques des débris livrés aux rivières, remettant constamment en cause l’équilibre entre la puissance et la charge, et entraînant un perpétuel réaménagement du profil. D’autre part, aucun profil n’est parfaitement concave : la traversée de roches dures, livrant des débris plus grossiers, provoque une accentuation de la pente du lit ; aux confluences, suivant que l’affluent apporte un excédent de puissance ou une surcharge à la rivière principale, le profil de celle-ci se règle conformément au nouvel équilibre qui s’établit.