Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

enquête sociologique (suite)

La logique de l’enquête sociologique

L’enquête sociologique a été initialement une simple réponse pragmatique à des interrogations d’actualité. Par suite du développement des techniques d’observation et d’analyse, elle s’est transformée en un mode d’investigation scientifique comprenant des règles et des principes. Ce travail de réflexion a été principalement le fait d’un chercheur autrichien émigré aux États-Unis, Paul F. Lazarsfeld*.

Pour simplifier, on peut, à titre d’illustration, donner des étapes du processus de l’enquête sociologique la représentation visuelle qui est représentée par le schéma ci-contre.

1. La première phase correspond au passage de la perception immédiate ou spontanée du réel à l’abstraction de la réalité. Au moyen de techniques diverses (questionnaires par exemple), la réalité est réduite à un petit nombre de traits caractéristiques. Des valeurs sont attribuées à chaque élément observé. Elles correspondent à un ensemble de concepts qui nous permettent de « lire » le réel.

2. a) Ces concepts, qui sont des représentations abstraites du réel, se présentent en général sous une forme floue, imagée. Le concept à sa naissance est incertain, mais il donne un sens aux éléments observés. Cette « représentation imagée du concept » (Lazarsfeld) permet à l’enquêteur de déceler entre des phénomènes disparates une caractéristique sous-jacente commune ou d’observer certaines constantes. Supposons que l’on veuille « mesurer » le degré de la cohésion sociale dans une communauté rurale. La notion de cohésion évoque des individus qui vivent en bonne intelligence, s’entraident pour les travaux des champs, organisent des kermesses, des concours agricoles et qui, si l’occasion leur en était offerte, refuseraient d’aller vivre dans un autre hameau, etc.
b) Toutes ces représentations et manifestations de la cohésion sociale ne sont pas très rigoureuses ; elles relèvent plutôt de l’impression. Une seconde étape s’impose : elle consiste à décomposer ces représentations imagées en ses aspects ou, pour user d’un terme technique, en ses dimensions. Ces composantes peuvent être déduites d’une réflexion théorique préalable et/ou être induites empiriquement à partir des éléments observés. Dans notre exemple de la cohésion d’une communauté rurale, en se fondant sur les écrits théoriques de Werner S. Landecker par exemple, on raisonnerait de la façon suivante. Le fonctionnement des groupes sociaux repose sur des normes et sur des individus. L’intégration sociale présente donc à la fois une dimension culturelle requérant des normes homogènes et une dimension personnelle : les relations entre les individus. Cette dernière dimension recouvre une dimension de communication, l’échange de symboles, et une dimension fonctionnelle, l’échange de biens et de services. Enfin, la communauté ne peut vivre en paix que si les individus se conforment aux normes en vigueur : l’intégration manifeste donc aussi une dimension normative.
c) La démarche suivante consiste à trouver des manifestations concrètes (dénommées indicateurs par les spécialistes) pour chacune de ces dimensions. Quels sont les conflits de normes ? Dans quelle mesure ou comment les membres du hameau communiquent-ils entre eux ? La vie quotidienne de chacun est-elle liée à celle des autres ? Quel est le taux de vols ? Etc.
d) Une fois ces indicateurs recensés pour chaque dimension, le chercheur en fait la synthèse, les combine sous forme d’indices. Si ces indices se présentent sous une configuration quantifiée, on parlera de variables.

Cette description de l’élaboration de variables à partir des observations est, bien entendu, sommaire et laisse dans l’ombre de nombreux problèmes. Ces opérations peuvent, bien sûr, s’appliquer à l’étude des individus et des groupes. Les classifications en dimensions, en indicateurs et en variables sont des données construites, donc artificielles et reconnues comme telles. La relation établie entre les éléments observés et les classifications n’est pas directe, mais d’une nature probabiliste. Cette logique appliquée exige donc une clarté et une précision qu’il serait difficile d’atteindre autrement. « La réalité sociale, remarque Lazarsfeld, y est vue, pour ainsi dire, comme composée d’un ensemble d’objets ayant des caractéristiques définissables : les faits apparaissent comme les corrélations entre des indices successifs. »

3. Les variables une fois construites, il s’agit d’analyser leurs relations. Ces variables sont généralement présentées sous forme de tableaux, permettant la présentation simultanée de données fournies par plusieurs variables. Un tableau peut comprendre deux, trois ou quatre variables, ou même plus, mais la forme la plus courante est le tableau croisé simple, comprenant deux variables (tableau no 1).

Les variables d’un tableau sont réparties généralement en variables indépendantes et en variables dépendantes. La variable indépendante (dans notre exemple, la variable instruction) est celle qui est utilisée pour grouper la population de telle sorte que les effets de ce groupement sur la variable dépendante puissent être étudiés. Autrement dit, la variable dépendante est celle qu’on doit expliquer, et la variable indépendante celle qui explique. Cette qualité est, bien sûr, relative : on peut traiter une variable tantôt comme une variable dépendante, tantôt comme une variable indépendante.

L’analyse du tableau no 1 fait apparaître une association entre l’exposition aux moyens d’information et l’instruction (plus les gens sont instruits, plus ils lisent les journaux, regardent les revues, etc.). Sommes-nous en droit, toutefois, d’inférer une relation de cause à effet (c’est-à-dire une explication) entre les deux variables ? Nous ne pouvons prendre ce risque, car, comme l’a montré en premier Lazarsfeld, une autre variable peut fort bien expliquer cette relation d’association. Il est nécessaire d’introduire une nouvelle variable pour vérifier l’existence de cette relation.

Introduisons dans notre exemple la variable « taux d’équipement en moyens audio-visuels » (tableau no 2).