Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Un autre auteur de langue allemande, fort différent, a trouvé des lecteurs dans le monde entier, c’est le romancier Thomas Mann* (1875-1955). Dès 1901, Thomas Mann avait publié une œuvre magistrale, les Buddenbrooks, histoire du déclin d’une famille de Lübeck. Aux questions que se posait Thomas Buddenbrooks sur la société allemande et la culture occidentale Thomas Mann lui-même n’a jamais cessé de chercher une réponse.

À l’inverse de la plupart des contemporains, il est un prosateur tout à fait classique ; ses romans, très solidement construits, ont un rythme ample et lent, traversé de correspondances, de méditations et de pressentiments. Lui-même s’est défini comme un représentant de la « bourgeoisie allemande », et il évoque dans ses romans la Montagne magique et le Docteur Faustus les grandes questions qui ont été débattues dans l’Allemagne de son temps : le dernier de ces livres traduit l’impossibilité de donner une forme harmonieuse à un temps chaotique.

Contemporain de Thomas Mann, Hermann Hesse* avait, dès 1919, choisi de vivre en Suisse, et ses romans sont ceux d’un homme plus sensible à la nature qu’aux problèmes sociaux, et profondément religieux. Sa prédilection pour une sagesse « orientale » a contribué à l’éloigner des tribulations de l’Allemagne et de l’Europe.

Les années 1933 et 1945 sont décisives dans l’histoire politique de l’Allemagne et aussi dans l’histoire de la littérature allemande, car le régime hitlérien, qui a commencé en 1933 et fini en 1945, a forcé un grand nombre d’auteurs à s’exiler, et chacun à prendre position. Par ailleurs, le régime s’efforçait sans vrai succès de susciter une production littéraire dont sa politique pût tirer parti.

Les auteurs demeurés en Allemagne ont souvent été amenés à prendre leurs distances, même quand ils n’avaient pas été au début en marge du régime.

Ernst Wiechert (1887-1950) donnait pour cadre à ses romans sa Mazurie natale et y évoquait la vie patriarcale des gens de la terre. Pour avoir protesté contre l’arbitraire, il fut enfermé dans un camp de concentration, d’où il rapporta des souvenirs publiés en 1945 sous le titre la Forêt des morts. Son dernier roman, Missa sine nomine, est une réflexion sur l’hitlérisme et la défaite de 1945.

Des écrivains catholiques comme Gertrud von le Fort, Reinhold Schneider, Elisabeth Langgässer sont demeurés, sous la dictature hitlérienne, fidèles aux valeurs de leur univers spirituel. De même Ina Seidel, écrivain protestant, et le pasteur souabe Albrecht Goes, qui a douloureusement ressenti les drames de conscience où le jetait la guerre.

Ernst Jünger (né en 1895) appartenait à un groupe conservateur qui parut d’abord s’accorder avec le régime. Jünger avait connu la célébrité, après 1918, pour ses ouvrages sur la Première Guerre mondiale. Il a pourtant écrit en 1939, sous le titre Sur les falaises de marbre, un récit symbolique où se lit la condamnation de la dictature et du régime de force.


Après la Seconde Guerre mondiale

Les récits de guerre sont parmi les premiers livres publiés en Allemagne au lendemain de la capitulation de 1945. Déjà la Première Guerre mondiale avait suscité des vocations d’écrivains parmi les anciens combattants, qui s’étaient divisés entre deux grandes tendances : les uns évoquaient les vertus guerrières, les autres montraient l’horreur et l’absurdité de la guerre. Après 1918, le courant pacifiste l’avait emporté, avec des ouvrages comme À l’ouest rien de nouveau d’E. M. Remarque, publié en 1929, et Guerre, publié en 1928 par Ludwig Renn.

Après 1945 aussi, on a vu surgir des noms inconnus jusque-là, mais il est vite apparu que la Seconde Guerre mondiale avait posé aux combattants d’autres problèmes, le principal étant celui de savoir si le devoir du soldat est, toujours et dans toute circonstance, d’obéir à un ordre de ses supérieurs. C’est l’aliénation de l’individu par la discipline qui avait été ressentie, surtout dans ses conséquences tragiques au cours des actions de représailles dans les pays occupés. Le conflit entre la conscience de l’individu et l’ordre reçu apparaît dans tous les ouvrages des jeunes « anciens combattants » d’après 1945, ainsi chez Hans Werner Richter (les Vaincus, 1949) et Walter Jens (le Monde des accusés, 1950). Alfred Andersch donne dans les Cerises de la liberté une note plus désinvolte. Mais le plus extraordinaire des livres de guerre publiés à partir de 1945 est le Stalingrad de Theodor Plivier (1892-1955), récit aux limites du reportage, pour lequel l’auteur a utilisé des documents trouvés sur les combattants allemands faits prisonniers à Stalingrad.

Le retour du combattant, les souvenirs de prison, les transformations du monde qui le rendent comme étranger à celui qui revient du « pays des morts » ont été aussi le sujet de nombreux récits et de pièces de théâtre dans les premières années de l’après-guerre.

Albrecht Haushofer (1903-1945) a composé en prison, à Berlin, des sonnets d’une forme très classique, où il a dit le sens de sa lutte contre la tyrannie. Ces Sonnets de Moabit sont, a dit le philosophe Karl Jaspers, « le plus grand témoignage poétique laissé par la résistance allemande ». Günther Weisenborn a relaté ses années de prison dans son Mémorial, qui veut être un avertissement aussi bien qu’un document. Nu parmi les loups, de Bruno Apitz, raconte comment un enfant nouveau-né a pu être caché et sauvé par les détenus d’un camp de concentration.

Avec Wolfgang Borchert (1921-1947), c’est l’étrangeté du retour dans une ville ruinée par les bombardements qui forme le thème unique d’une œuvre brève et pathétique, Dehors, devant la porte (1947).

La littérature des ruines (« Trümmerliteratur ») est apparue en même temps que les livres sur la guerre. La nouvelle génération de ceux qui ont commencé à écrire après 1945 voulait, avant toute chose, marquer que les hommes de l’après-guerre vivaient parmi les ruines de l’idéologie hitlérienne et aussi des anciennes formes littéraires, que beaucoup jugeaient irrémédiablement vieillies et « compromises ». C’est pourquoi le « Groupe 47* », premier lieu de rencontre des jeunes auteurs, a d’abord lancé comme mot d’ordre : « faire table rase ». Tous éprouvaient le besoin de rompre avec le passé, avec la génération précédente, avec le nationalisme littéraire ; ils étaient accueillants aux voix venues de l’étranger et, même durant ces années d’occupation, l’influence des écrivains américains ou français a été sensible. En même temps, le « Groupe 47 » s’est toujours refusé à formuler un programme, à constituer une école littéraire ; il s’agissait d’encourager chacun à s’exprimer librement, à transmettre sans fard et sans « engagement » précis le résultat de son expérience. La poésie refusait d’être au service d’autre chose que d’elle-même, dans toute sa diversité.