Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

C’est à Heidelberg que se sont rassemblés, entre 1805 et 1808, ceux qui constituent le second groupe romantique, illustré avant tout par la publication d’un recueil de poèmes anonymes sous le titre le Cor merveilleux de l’enfant (Des Knaben Wunderhorn). Les auteurs de ce recueil, Achim von Arnim (1781-1831) et Clemens Brentano, s’étaient retrouvés au bord du Rhin ; c’est pour une bonne part l’enthousiasme pour les paysages, les mœurs et les légendes des pays de la vallée du Rhin qui a inspiré leur entreprise.

À Heidelberg, ils avaient rejoint celui qui était le chef spirituel et politique de leur groupe, Johann Joseph Görres (1776-1848), découvreur de légendes et patriote. Durant les années où Napoléon tient les princes allemands dans une tutelle humiliante, où le pays est occupé par les armées françaises, les hommes du second groupe romantique ont cherché consolation et courage dans la résurrection des sources de l’esprit national, dans la connaissance des origines vénérables et souvent mystérieuses : ainsi les frères Jacob et Wilhelm Grimm*, auteurs du recueil de contes qui porte leur nom, de la première grammaire complète de l’allemand, et qui ont commencé la rédaction d’un dictionnaire historique des mots allemands ; ainsi le juriste F. K. von Savigny, fondateur de l’école historique du droit allemand, adversaire déterminé du « contrat social », traditionaliste et corporatiste.

Clemens Brentano a écrit des contes, mais il a laissé surtout de nombreux recueils de vers, en particulier les Romances du Rosaire. Son ami Arnim a été surtout romancier ; il avait épousé Bettina, sœur de Brentano, admiratrice passionnée de Goethe, et qui devait, dans ses dernières années, donner une description pathétique du sort des travailleurs dans les faubourgs ouvriers. Mais les chants populaires, les légendes du Rhin, la résurrection des trouvères et des cathédrales demeurent l’élément favori des deux poètes.

Ceux qu’on appelle les romantiques de Berlin n’ont pas constitué un groupe aussi uni. Ce sont les salons berlinois de quelques dames amies des lettres qui ont rassemblé à Berlin, entre 1810 et 1820, des poètes que réunissaient le culte de l’imagination poétique, la préférence pour le rêve, l’amour de la musique et la curiosité pour les poésies étrangères. Ainsi Friedrich de La Motte-Fouqué (1777-1843), Adelbert von Chamisso* (1781-1838), dont le nom demeure attaché à l’histoire poétique et philosophique de Peter Schlemihl ; en un sens aussi E. T. A. Hoffmann* (1776-1822), le grand maître du fantastique. L’œuvre narrative de Hoffmann est très importante, et il a poussé plus loin que tous les autres l’amour de l’imaginaire, dont il a fait, véritablement, un univers. Le plus révélateur de ses contes, le Vase d’or, est aussi, comme souvent dans la poésie allemande, l’histoire d’un jeune étudiant naïf qui découvre le monde et ne peut plus lui échapper.

Heinrich von Kleist* (1777-1811), gentilhomme du Brandebourg, démissionnaire de l’armée prussienne, ardent patriote et cœur inapaisé, illustre un genre dramatique fait de lucidité et d’une intransigeance lyrique qui souvent l’amène aux limites de ce qui peut être exprimé. Il a laissé aussi quelques nouvelles « exemplaires », en particulier l’histoire de Michel Kohlhaas, le marchand de chevaux.

Si l’univers de Kleist est fait de tensions qui ne peuvent se résoudre et mènent inéluctablement à une fin tragique, le Silésien Joseph von Eichendorff vit dans le monde de la grâce, du chant, de la rêverie et des voyages à travers la vie. En vers comme dans ses récits, il a été le poète des thèmes romantiques les plus tôt et les plus durablement populaires : la nostalgie (« Sehnsucht »), le voyage (« Wanderung »), où l’on a le cœur partagé entre la recherche des horizons qui fuient toujours et le regret du pays natal (« Heimweh »).


De Heine au xxe siècle

Heinrich Heine pensait que son apparition sur la scène littéraire allemande, peu avant 1830, marquait la fin de ce qu’il appelait la « période artiste », celle de Weimar et des romantiques, qui avaient en commun le culte du beau et la conviction que l’art doit être mis au-dessus de toutes les autres valeurs.

Ce qui vient ensuite, ce qui est plus moderne, c’est, pour Heine, un art moins idéaliste, une poésie moins sereine et moins harmonieuse, une prose plus vive et qui se met volontiers au service de l’actualité. Avec le mouvement appelé « Jeune-Allemagne » apparaissent des poètes militants, libéraux et patriotes, artistes engagés qui entendent servir les idées nouvelles et non plus se complaire à l’art pur : Karl Gutzkow (1811-1878) et Ludwig Börne (1786-1837) en prose A. H. Hoffmann von Fallersleben (1798-1874) et Georg Herwegh (1817-1875) en vers ont été les porte-parole de cet art moderne, que ses adversaires ont appelé « tendancieux ».

La Souabe apporte une note bourgeoise beaucoup moins polémique avec Ludwig Uhland, renommé pour ses ballades, dont une au moins est entrée dans le folklore sous le titre J’avais un camarade. Continuateur de Herder et du Cor merveilleux, Uhland a édité en 1844 les chants populaires dans une édition plus soignée et plus ample que les précédentes.

C’est aussi un poète de la Souabe qu’Eduard Mörike (1804-1875), mais beaucoup plus contemplatif, amoureux des décors de la vie quotidienne, des vieux clochers et des maisons ancestrales. On trouve réunis chez lui les traits d’une manière appelée « Biedermeier », qu’on pourrait définir comme celle des villes d’Allemagne du Sud aux alentours de 1830 : elle s’attache aux objets familiers, aux soirées adoucies, à la poésie domestique qui veut « poétiser le réel ».

Plus minutieuse encore que Mörike, attachée à saisir la vie des êtres vivants les plus discrets, Annette von Droste-Hülshoff (1797-1848) était une aristocrate de Westphalie et une âme pleine d’inquiétude mystique. Elle aime le mystère, qu’elle devine partout, dans les présences minuscules et sans nombre qui animent pour elle le paysage de sa terre natale ou bien du lac de Constance, au bord duquel s’est passée une partie de sa vie solitaire.

Heinrich Heine* (1797-1856) domine ses contemporains. Poète du déchirement pathétique et en même temps ironiste, il apparaît comme particulièrement « moderne », encore qu’il ait débuté dans la familiarité des romantiques du Rhin et de Berlin.