Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Friedrich Schiller*, au terme d’une vie beaucoup plus brève et plus fiévreuse, laissait, en 1805, une œuvre dramatique qui a fait, pour un siècle, le fond du répertoire en langue allemande. Après toutes les révolutions scéniques et dramaturgiques des quatre-vingts dernières années, les pièces de jeunesse de Schiller demeurent à l’affiche, son grand drame historique sur Wallenstein est fréquemment joué, et le public demeure sensible à l’éloquence enflammée des grands débats moraux et politiques qu’il aimait instituer sur la scène.

Révolté puis historien au théâtre, Schiller était philosophe en poésie et il a excellé dans le genre de la ballade, qu’il construisait sur un canevas dramatique comme l’illustration d’une idée morale. La poésie philosophique est un genre où peu de poètes ont réussi ; en langue allemande, Schiller, inspirateur de Hölderlin à ses débuts, est assurément le maître du genre.

La théorie des arts, et particulièrement du théâtre, a été l’objet favorisé de sa réflexion ; il en a tiré une philosophie de l’éducation esthétique, où il a vu les fondements d’une morale et d’une politique. Avec son admirateur Wilhelm von Humboldt, il a formulé les principes d’une éthique et d’une politique libérale, qui met au centre de toute collectivité humaine l’individu cultivé, harmonieusement développé et maître de lui.

Si Friedrich Schiller, peu avant de mourir, a été acclamé pour son Guillaume Tell, son compatriote souabe Friedrich Hölderlin* (1770-1843) est demeuré ignoré de son vivant. Ses poèmes n’ont été découverts que tardivement par les disciples de Nietzsche ; il devait apparaître alors comme un précurseur inspiré de la poésie du xxe s.

Ses fragments philosophiques, nés d’une réflexion commencée dans sa jeunesse avec Hegel, un bref roman utopique intitulé Hyperion forment les commentaires d’une grande œuvre poétique en mètres repris du grec. L’Hellade a été la grande inspiratrice de Hölderlin, qui a traduit Pindare et dont on a pu dire qu’il avait vécu dans une sorte d’ivresse poétique, dans l’adoration des dieux anciens et l’espoir d’un retour du souffle divin parmi les hommes. Ses premiers admirateurs respectaient en lui le poète brisé par la violence de l’enthousiasme et abîmé dans la folie ; la postérité trouve dans ses vers un message exaltant, un appel vers les sommets par le sacrifice heureux de l’homme à ses propres mythes.

Johann Paul Friedrich Richter* (1763-1825), en littérature Jean-Paul, a conquis tard une renommée à laquelle il travailla longtemps dans la solitude. Il fut le romancier le plus original de son temps, passant avec aisance de la peinture minutieuse du détail, où il excelle, à des fantasmagories oniriques, des petites gens qu’il affectionne aux prophètes et aux visionnaires. Difficile et attachant, il est assez rebelle à la traduction ; le charme de son style vient souvent de jeux de mots philosophiques et de réflexions humoristiques dont il avait fait un principe esthétique.


Les romantiques allemands

Ils sont, dans le temps, tout proches des « classiques de Weimar », puisque les uns et les autres se trouvent rassemblés dans les années qui vont de 1780 à 1820. En moins d’un demi-siècle, la littérature allemande a connu là un véritable âge d’or.

Les poètes romantiques ont formé des groupes. Ils ont vécu dans la même ville quelques années, se rencontrant souvent, éditant des revues et même poussant la collaboration intellectuelle et poétique plus loin : Novalis pensait que, pour bien philosopher, il faut échanger des idées, qui se féconderont les unes les autres ; dans son univers, les relations mystérieuses, les sympathies secrètes entre les êtres, entre les hommes en particulier, jouent un rôle primordial. Ce monde est comme un tissu orné de fleurs, qui sont les apparences visibles mais dont la trame demeure secrète. C’est en poétisant ensemble que les hommes, dans leurs moments de grâce, retrouvent le tissu oublié de l’univers, que leurs ancêtres saisissaient mieux, que la raison impie, la foi vacillante, la mécanisation des relations humaines leur ont fait oublier. La poésie devient alors une redécouverte des origines, du peuple, de l’enfance, du rêve, des légendes anciennes et aussi des peuples méprisés. Cette poésie toujours à la découverte du monde et d’elle-même est en même temps encyclopédique et fantastique ; elle tend à effacer les frontières avec les sciences de la nature, avec la théologie aussi et plus encore avec la musique. Cette entreprise de poétisation du monde avait été résumée dans la définition de F. Schlegel d’une poésie « progressive et universelle » en même temps que « transcendantale ». Rien n’est plus contraire à une telle poésie que les divisions entre les genres et les règles dont s’accablent eux-mêmes les poètes : « La cloison qui séparait la fable de la vérité, le passé du présent, est tombée : croyance, fantaisie et poésie ouvrent les portes de l’univers. »

À Iéna, en Thuringe, se réunissent en 1799 et 1800 Ludwig Tieck, Wackenroder, les frères Schlegel et Novalis.

Les frères August Wilhelm et Friedrich Schlegel ont laissé surtout des ouvrages critiques et historiques ; ils passent, à bon droit, pour les théoriciens du romantisme dont, à vrai dire, la pensée religieuse, philosophique et artistique doit être étudiée aussi chez des hommes comme le théologien Schleiermacher (1768-1834), le philosophe Fichte* (1762-1814), le géologue Werner.

Nul ne le résumait mieux que Novalis* (Friedrich von Hardenberg, 1772-1801), qui fut ingénieur des mines, philosophe et poète. Le meilleur de son œuvre poétique est renfermé dans ses Hymnes à la nuit, où l’harmonie du verbe s’unit à une pensée profondément originale. Ses fragments philosophiques nous transmettent les éléments d’un système qui se serait appelé l’« idéalisme magique ». Son unique roman, Henri d’Ofterdingen, fait revivre un Moyen Âge poétique et visionnaire. Le grand œuvre dont rêvait Novalis était une encyclopédie, dont nous n’avons que quelques détails : toute œuvre romantique est, en vérité, un fragment ; par essence et destination inachevée, elle ne se comprendrait vraiment que par référence à un tout qui, lui, ne sera jamais achevé. Comme les débris d’un vase merveilleux, brisé au début des temps, les œuvres des hommes, brillantes, scintillantes mais partielles ne seront jamais plus réunies pour refaire ce vase d’élection, ce Graal de la poésie.

Ludwig Tieck et le musicien poète Wackenroder (1773-1798) ont voyagé ensemble à travers les pays allemands, recherchant les vestiges du siècle d’or gothique et les légendes oubliées. Puis Tieck a poursuivi, jusqu’au milieu du xixe s., une carrière littéraire riche en productions romanesques et en drames d’inspirations diverses.