Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

éclectisme (suite)

Quelques architectes éclectiques


Sir Charles Barry

(Londres 1795 - id. 1860). Il voyage trois ans durant en France, en Italie, en Grèce et, de là, en Asie Mineure, en Syrie et en Égypte. Ses « Pall Mall Clubs » (Travellers’ Club, 1831 ; Reform Club, 1837) sont justement célèbres ; la science et l’art s’y combinent pour offrir, dans un décor Renaissance italienne, tous les raffinements possibles ; aussi, César Daly a-t-il pu les comparer à des organismes vivants.

De 1836 à sa mort, Barry édifie le Parlement de Londres en style gothique, selon le règlement du concours, afin que cet édifice s’harmonise avec Westminster. La structure, cependant, en est classique, et la recherche technique intéressante : il y est fait un large emploi de la fonte, tandis que la tour Victoria est, en pierre, la plus élevée du monde.


Louis Charles Boileau

(Paris 1837 - ? 1910). Élève de son père, Louis Auguste (1812-1896), un étonnant novateur qui avait employé la fonte à l’église Saint-Eugène de Paris dès 1854 et le béton à celle du Vésinet en 1864, Boileau est bien placé pour comprendre la portée des matériaux nouveaux ; il sera un des premiers à utiliser le béton armé.

Pratiquant l’éclectisme le plus total, il n’adopte, en fait, qu’une seule règle : le vraisemblable est à la source du beau. Lorsqu’il reprend en 1872, mais sur un projet de 1868, l’édification du Bon Marché, premier en date des magasins-palais (thème de l’ouvrage de Zola Au Bonheur des dames), de son propre aveu ce ne sont plus les pleins, mais les vides qui comptent ; la structure doit s’effacer, se borner à jouer le rôle de la sertissure d’une pierre fine. Il ne s’agit plus, dit encore Boileau, de faire jouer la lumière sur des formes plastiques, mais de l’opposer à elle-même, de faire scintiller la clarté dans l’espace. Avec lui, l’abstraction baroque se sublime et devient ce qui sera un thème majeur de l’art du xxe s. : une architecture de lumière.


Charles Garnier

(Paris 1825 - id. 1898). Entré à l’École nationale des beaux-arts à dix-sept ans, grand prix de Rome à vingt-trois ans, il étudie en Italie la Renaissance toscane, le baroque romain ainsi que les monuments de Palerme et de Monreale, puis va relever en Grèce les sculptures d’Egine et à Constantinople les édifices byzantins. Ces cinq années de voyage seront la véritable formation de ce « gavroche » (Louis Hautecœur le qualifie aussi d’« artisan du faubourg »), qui en gardera l’amour des belles matières et de la polychromie. C’est ce qui rend si attachant son chef-d’œuvre, l’Opéra de Paris (1861-1875), remarquable aussi par l’emploi rationnel des matériaux et l’ampleur de ses volumes.

Devenu le chef de file de l’architecture officielle, mais porté à ses combinaisons de sources et de styles divers par une foi sincère en la vie, Garnier fut le type même de l’éclectique, bien qu’il s’en soit défendu dans son ouvrage À travers les arts (1869).


Peinture et sculpture

À la fin du xvie s., l’académisme* des Carrache se fondait sur une doctrine éclectique : en combinant les qualités respectives des différents maîtres de la seconde Renaissance italienne, il visait à l’idéal classique d’une beauté absolue. Mais le xviiie s. européen voit naître la notion de relativité : pour autant qu’au siècle suivant on continue à rechercher la beauté comme fin en soi — c’est en partie le cas dans les milieux académiques et encore chez les poètes parnassiens —, celle-ci revêt les multiples facettes d’une histoire des arts que l’on commence à mieux connaître. La doctrine antiquisante des néo-classiques (v. classicisme) est battue en brèche par la découverte de l’art grec véritable, autant qu’elle l’avait été par le romantisme*. Ce dernier mouvement met à la mode le Moyen Âge, tandis que l’éveil des nationalismes, plus généralement, conduit chaque pays à l’exaltation de son passé — comme aussi de ses gloires présentes.

La production est énorme : les États commandent aux sculpteurs d’innombrables monuments commémoratifs, et chaque petite ville érige la statue ou le buste de son grand homme ; le Salon parisien a dû accueillir en un siècle plus de trois cent mille peintures... Les études sont incomplètes sur cette masse d’œuvres à vrai dire peu exaltante, même s’il lui arrive de présenter, dans certaines zones marginales, quelques qualités, dont le commerce d’art s’efforce aujourd’hui de tirer parti. Si l’emprunt de formes anciennes n’empêchait pas l’architecture de progresser « de l’intérieur » en répondant par des structures nouvelles à l’évolution des programmes, l’éclectisme plastique — quand il se manifeste à l’état pur — ne vit que de ces emprunts, qu’il tente d’amalgamer et de mettre au goût du jour. Il n’a pas de véritable doctrine : chaque maître a ses recettes, se persuade qu’il fait œuvre de probité artistique en se tenant à l’écart de l’agitation des tendances avancées, comme le réalisme*. L’accent est mis sur le métier et sur le sujet. La préférence conservée au dessin sur la couleur contribue à rendre de plus en plus exsangue le « fini » académique, qu’achèvera de ruiner en fin de siècle le développement de la photographie. Ce faisant, l’œuvre tourne au « tableau vivant » d’aspect anecdotique, en dépit de la vogue de l’allégorie et du nu habillé de prétextes mythologiques : le quotidien — par exemple sous la forme du modèle d’atelier — tend à être anobli par le symbole ou l’interprétation « poétique ». Le compromis, l’absence de conviction profonde conduisent à une juxtaposition plus ou moins habile, plus ou moins vaine d’intentions et de moyens : la synthèse expressive n’est pas réalisée.

Le rapport étroit qui existe entre académisme et éclectisme se retrouve au xixe s., et notamment en France, pays qui, par l’influence tant de son enseignement traditionnel des beaux-arts que de ses mouvements novateurs, exerce un certain ascendant international. Conservateurs des règles classiques, les académistes n’en sont pas moins sensibles aux nouveaux modes de représentation collectifs. De la grande composition à la scène de genre en passant par la bataille ou le portrait, ils répondent au goût du public pour le détail « vrai », la ressemblance, le pittoresque et, à l’occasion, empruntent aux avant-gardes — peut-être sans le savoir — tel greffon aussitôt promis à la dégénérescence. « On nous fusille, mais on vide nos poches », dira Degas en parlant des « pompiers », les académistes éclectiques de la fin du siècle.