éclectisme (suite)
Pourtant, l’éclectisme débute avec une certaine dignité à l’époque de Louis-Philippe, dont il reflète l’esprit « juste milieu ». On tend alors à concilier classicisme et romantisme : un Paul Delaroche (1797-1856) s’y emploie en traitant, avec un métier assez terne, des sujets d’histoire au caractère théâtral (les Enfants d’Édouard, 1831, Louvre) ; il entre à l’Institut, où Delacroix n’aura un fauteuil qu’après sa mort. De beaux artistes ont une part d’éclectisme au principe de leur œuvre : ainsi Chassériau*, élève hétérodoxe d’Ingres, ainsi les meilleurs sculpteurs du siècle, tenus, de Rude* à Carpeaux* et à Dalou*, par une certaine permanence de leur technique. Des hybrides contre nature s’engendrent les uns les autres : entre la « grande manière » d’un Léon Cogniet (1794-1880) et le réalisme de Courbet, entre Couture et Manet ensuite, entre tradition du décor monumental et impressionnisme, puis cubisme, au xxe s. — jusqu’à ce que l’ordre bourgeois, après la Seconde Guerre mondiale, bouleverse les termes du débat en paraissant s’annexer toutes les avant-gardes.
Aux premiers engouements « historiques » du xixe s. — Antiquité, Moyen Âge — en succèdent d’autres, allant vers la facilité du goût. Si les préraphaélites* anglais échappent au simple éclectisme par la sincérité de leur aspiration symboliste, il n’en est pas de même de ces sculpteurs français surnommés les florentins, qui ne retiennent du quattrocento que son élégance gracile : ainsi Paul Dubois (1829-1905) et son Chanteur florentin (1865), reproduit en de nombreux exemplaires et suivi, après que l’artiste eut atteint le faîte des honneurs publics, par la Jeanne d’Arc équestre, très orfévrée, de Reims. Le goût « pompéien » succède chez certains peintres à la sévérité de l’école davidienne. En imitateur scrupuleux, Paul Baudry (1828-1886) se met à l’école du xvie s. vénitien pour son grand décor allégorique du foyer de l’Opéra de Paris. Le destin de tels artistes, « doués mais dociles, nous prouve, écrivait Pierre Francastel, l’impossibilité pour l’art de se placer, à quelque époque que ce soit, sur le terrain de la conciliation, de l’éclectisme ».
Thomas Couture
(Senlis 1815 - Villiers-le-Bel 1879). Élève, très jeune, de Gros* pour le portrait, de Paul Delaroche pour la grande composition, il obtient un second prix de Rome en 1837. Parmi ses envois au Salon, l’État acquiert l’Amour de l’or (1844, musée de Toulouse), puis les Romains de la décadence (1847, Louvre). Cette vaste composition, qui lui vaut la célébrité, figurera aux Expositions universelles de 1855 et de 1889, à Paris. En 1855, Couture expose également le Page au faucon ; auparavant, il a décoré la chapelle de la Vierge de l’église Saint-Eustache. Puis, aigri de certaines critiques — alors qu’il se croit le plus grand peintre vivant—, il quitte Paris pour Villiers-le-Bel (Val-d’Oise). De même qu’il n’a pu, sous la IIe République, terminer ses Enrôlements volontaires en 1792, il laissera inachevées en 1870 les deux grandes toiles se rapportant à des événements de son règne que lui a commandées Napoléon III.
Académiste qui prétend rivaliser avec les Vénitiens, ennemi de Delacroix*, mais sacrifiant au romantisme, il n’a que sarcasmes pour Millet*, pour Courbet* et pour le réalisme, « cette souillure de l’art, cette lèpre qui détruit toute beauté, cet art mécanique, d’œil et de main [...] ». Sa devise est « idéal et impersonnalité », et pourtant Théophile Gautier, à propos des Romains de la décadence, le déclare « naturellement trivial, à la façon des maîtres plus curieux du vrai que du beau, du réel que de l’idéal ». La vérité est qu’il sait observer : ses portraits, ses études à la touche souvent robuste et directe en témoignent. Mais la notation sincère se perd dans le processus d’idéalisation et de composition artificielle des grandes toiles. Comme professeur, et avec des méthodes voisines de celles d’Ingres, Couture rencontra un extraordinaire succès dans les années 1847-1856 : son atelier, par lequel passèrent Puvis* de Chavannes et Manet*, accueillit de nombreux étrangers : Allemands, comme Anselm Feuerbach (1829-1880), Anglais, Américains, Italiens...
G. G.
➙ Académisme / Architecture / Décoratifs modernes (arts).
J. Selz, Découverte de la sculpture moderne (les Fauconnières, 1963). / P. Collins, Changing Ideals in Modern Architecture, 1750-1950 (Londres, 1967). / R. Huyghe et J. Rudel, l’Art et le Monde moderne, t. I : 1880-1920 (Larousse, 1969). / R. Wagner-Rieger, Die Wiener Ringstrasse (Graz, 1969).