Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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développement économique (suite)

Les traits sociaux et culturels du sous-développement nous apparaissent aussi importants dans la mesure où ils contribuent au maintien de structures économiques paralysantes. Les rapports de vassalité, de clientèle, de métayage signifient à la fois une sujétion et une bipolarisation soit en pauvres et en nantis, soit en masses et en élites dirigeantes. Grâce au renforcement des responsabilités administratives par un pouvoir économique ou politique local et au crédit des autorités religieuses, les dirigeants parviennent à accaparer la majeure partie des profits des travailleurs, ce qui conduit à un clivage entre deux couches de population rendu plus net par un faible développement des classes moyennes (l’insuffisance de cadres techniques et d’ouvriers qualifiés). En raison même de ce clivage, qui, peu à peu, se substitue à d’autres discriminations à base ethnique en Afrique, à moins qu’il ne les recouvre comme en Amérique centrale, où le statut du ladino se distingue nettement de celui de l’Indien, l’intégration nationale se heurte à des difficultés multiples, notamment celles des déséquilibres structurels résultant des privilèges de l’instruction et des disparités de l’aménagement régional du territoire. Sur des masses cellulaires amorphes, des kystes d’origine externe se développent, empêchant la concordance interne entre les normes d’une culture. Conséquemment s’observe un manque de conformité des conduites à des modèles si contradictoires. Certes, un début d’intégration socio-politique a pu récemment se réaliser par l’action d’un parti, d’un leader, d’une idéologie, d’un groupe d’élites, mais l’analphabétisme des masses limite les résultats des meilleurs processus d’intégration. En de nombreux pays d’Afrique noire, le taux d’analphabètes adultes avoisine 90 p. 100, malgré les efforts réalisés par de nombreux pays depuis leur indépendance. La femme, en condition d’infériorité, pâtit tout particulièrement de cette situation. Son analphabétisme fait d’elle un agent peu favorable à la modernisation et se répercute dans des caractéristiques telles qu’un état sanitaire défectueux, bien qu’en voie d’amélioration, et un taux d’accroissement annuel de la population de l’ordre de 2,6 à 3 p. 100. La rapide augmentation de la population, comparativement à la lenteur de transformation des structures de la production, explique en partie l’importance du sous-emploi, qu’accentuent les irrégularités climatiques, le parasitisme familial et l’appât du salaire urbain. Dans tous les secteurs, même tertiaire, l’excédent de travailleurs ne saurait combler la pénurie de personnel qualifié. Ce diagnostic des symptômes du sous-développement appelle en complément une pondération de l’importance des divers facteurs selon le cas considéré. À ce propos, J. Kenneth Galbraith (né en 1908) spécifie trois grands modèles établis à partir d’un choix des critères essentiels. Tandis que la déficience majeure de l’Asie du Sud-Est consiste dans le déséquilibre entre l’accroissement de la population et l’augmentation de la production, celle de l’Amérique latine réside surtout dans les disharmonies d’une structure sociale composée d’une minorité de possédants et d’une large masse de travailleurs. Le modèle africain du sud du Sahara, lui, se caractérise plutôt par une sous-scolarisation et une sous-administration. Aussi, pour l’Afrique par exemple, qui tire les leçons d’un constat quasi général du parallélisme entre niveau d’éducation et niveau de revenu national, l’une des tâches prioritaires du développement consiste-t-elle à intégrer la planification de l’enseignement dans la planification économique. La sémiologie indique donc les orientations pratiques ; elle n’acquiert toute sa valeur que complétée par une étiologie.


Imputation causale des freins au développement

Autant il peut sembler ambitieux de rechercher les causes de la naissance du sous-développement dans des pays dont l’histoire est si variée, autant il est malaisé de distinguer la cause de la conséquence, les interrelations entre les faits humains étant nombreuses et complexes.

Le sous-développement ne saurait être envisagé que de manière dialectique, puisqu’il résulte du contact entre une situation interne partiellement déstructurée et partiellement maintenue avec une réalité externe, celle du pays colonisateur ou dominant. Le processus historique d’expansion et de développement du capitalisme engendre du même coup le développement économique des pays dominants et le sous-développement structurel du tiers monde. De la sorte, l’impérialisme et les effets de domination paraissent explicatifs pour une grande part des blocages actuels au développement.

La situation coloniale définie par G. Balandier, la situation « condominiale » caractérisée par Jean Poirier, la collusion entre capitalisme et néo-colonialisme dénoncée par Paul A. Baran, Osendé Afana, Pierre Jalée, etc., attestent toutes l’aliénation créée par la dépendance. Mais il faut souligner que ce processus, si puissant soit-il, n’est jamais total, qu’il comporte des degrés et qu’indirectement ou à long terme il peut jouer en faveur d’un certain développement.

Duelles parce que dominées, des sociétés sont sous-développées non seulement parce qu’elles plient sous le joug d’une domination impérialiste, mais parce que des conditions internes favorisent cette domination. On ne saurait donc spécifier un sous-développement national que par la dialectique de la causalité externe et de la causalité interne. Mais on ne peut répondre aux objectifs, plus urgents encore, de développement que par une analyse sociologique des éléments d’une praxis valable. Dans ce dessein, la tâche de la sociologie consiste à recenser les facteurs sociologiques favorables et défavorables au développement, à savoir de quelle façon ils influent sur l’orientation économique actuelle, à proposer des moyens de modifier des schèmes de pensée et de comportement archaïques.