Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

démence (suite)

Les causes

Devant toute suspicion de démence, il est indispensable de faire un bilan complet dans un service de neurologie. En effet, la démence est pratiquement identifiable à un processus organique cérébral évolutif. Outre les tests psychologiques, il faut envisager un électro-encéphalogramme, des radiographies du crâne, un examen de l’œil, une analyse du liquide céphalo-rachidien, divers examens biologiques sanguins et urinaires, voire une artériographie cérébrale et une encéphalographie gazeuse ou même une biopsie cérébrale dans certains cas très particuliers.

Les démences dégénératives séniles et préséniles d’étiologie inconnue en rapport avec une dégénérescence des cellules nobles du tissu nerveux sont en relation avec une atrophie progressive du cerveau. Parmi les démences préséniles qui surviennent avant l’âge de soixante-dix ans, citons la démence d’Alzheimer et celle de Pick, qui sont les plus connues. Les démences séniles (après soixante-dix ans) sont de loin les plus fréquentes des démences.

Les démences vasculaires sont dues à l’artériosclérose des vaisseaux cérébraux ou cervico-encéphaliques. Ici, la cause est connue. Les artères rétrécies et rigides ou thrombosées entraînent une insuffisance circulatoire cérébrale chronique avec des foyers de ramollissement ou des lacunes dans le parenchyme cérébral.

Les démences traumatiques découlent de traumatismes cranio-cérébraux graves avec des atrophies cérébrales plus ou moins évolutives.

Les démences toxiques sont surtout représentées par les atrophies cérébrales alcooliques, dont le nombre ne cesse de croître. L’oxyde de carbone et les stupéfiants sont également responsables de démences de ce type.

Parmi les démences infectieuses (méningo-encéphalites à germes banals ou à virus), certaines se révèlent curables : ainsi en est-il de la paralysie générale, ou méningo-encéphalite syphilitique. D’autres, au contraire, sont inexorables, telle la démence de Grentzfeld-Jacob, probablement d’origine virale et qui a une évolution mortelle en quelques mois seulement.

Les démences tumorales s’opposent aux démences atrophiques, car l’ablation de la tumeur — si elle est possible — permet généralement une régression substantielle des symptômes psychiatriques.

Citons enfin les états démentiels au cours d’affections métaboliques ou endocriniennes que l’on peut confondre parfois avec des démences dégénératives séniles ou préséniles, les démences secondaires à des hémorragies cérébro-méningées, les démences en rapport avec des maladies démyélinisantes (altérant la myéline de la structure blanche du cerveau).

Dans l’ensemble, parmi toutes ces causes, il faut retenir la fréquence des démences atrophiques séniles, vasculaires, alcooliques et traumatiques. Signalons aussi l’existence de la notion classique de « démence vésanique », qui marque la fin de certaines psychoses après de longues années d’évolution.

Le pronostic des démences est désastreux dans la plupart des cas. Si l’on excepte la paralysie générale accessible à un traitement antibiotique, les tumeurs cérébrales opérables, le cas des cures de désintoxication précoces chez l’alcoolique chronique, la correction des rares désordres métaboliques décelables, l’immense majorité des démences atrophiques évolue plus ou moins lentement vers l’aggravation. Dans tous les cas, il faut néanmoins donner au patient des conditions de vie et un environnement favorables. Des médicaments psychotropes permettent de juguler les troubles de l’humeur, les idées délirantes, les désordres du comportement. Dans les démences vasculaires, on peut utiliser les vaso-dilatateurs cérébraux, qui stabilisent ou font régresser quelque peu le processus destructif. Il faut réserver le placement en hôpital psychiatrique aux cas où la déchéance est totale et où les troubles de la conduite sociale, ainsi que les dangers que le malade présente pour lui-même et pour autrui sont incompatibles avec la vie en famille.

Démence infantile

Il existe chez l’enfant des démences organiques de causes diverses (infectieuses, toxiques, traumatiques, épileptiques ou métaboliques par dystrophie de la substance blanche cérébrale). Ces démences frappent un cerveau en pleine maturation. Pour affirmer qu’il s’agit bien d’une démence, il faut que le développement psychomoteur initial ait été normal avant la maladie responsable de la détérioration intellectuelle. On assiste alors à la régression massive du développement de la personnalité avec la perte plus ou moins complète des acquisitions antérieures. En revanche, le terme de démence ne doit plus désigner les cas de psychose infantile ou d’autisme précoce, qui constituent de fausses démences et appartiennent à une catégorie très différente de troubles mentaux de l’enfant (v. psychoses infantiles). Il faut distinguer aussi la démence de l’enfant de l’arriération et de la débilité, qui, elles, sont congénitales.

Démence précoce

Cette expression s’appliquait autrefois à la schizophrénie à forme hébéphrénique, psychose fréquente chez les adolescents ou les jeunes adultes. En fait, il ne s’agit pas d’une véritable démence, mais d’une pseudo-démence, dans laquelle le trouble fondamental est de nature affective. Certains jeunes schizophrènes peuvent ressembler superficiellement à des déments, mais, sous une apparente stupidité, ils gardent en réalité une intelligence étonnamment intacte.

G. R.

➙ Folie / Schizophrénie.

 R. Mallet, la Démence (A. Colin, 1935). / J. Delay et S. Brion, les Démences tardives (Masson, 1962).

De Mille (Cecil Blount)

Metteur en scène de cinéma américain (Ashfield, Massachusetts, 1881 - Hollywood 1959).


Cecil B. De Mille a passé sa jeunesse dans un milieu dont la vocation était essentiellement théâtrale. En effet, son père, Henry Churchill, mort à quarante ans en 1893, avait été un auteur dramatique connu. Sa mère ouvrira l’une des premières agences d’imprésario américaines. Sa femme, Constance Adams, était une jeune actrice quand il l’épousa en 1902. Son frère, enfin, William Churchill, avant de se laisser tenter, lui aussi, par la mise en scène de cinéma, avait écrit quelques pièces de théâtre. C’est d’ailleurs dans l’une d’entre elles, The Warrens of Virginia, que Cecil, engagé par le célèbre David Belasco, connaît en 1907 l’un de ses plus notables succès d’acteur. Cette carrière qui semblait prometteuse devait tourner court à la suite d’une rencontre providentielle avec un producteur de vaudevilles et d’opérettes, Jesse Lasky, qui désirait se lancer dans le cinéma. En 1913, Lasky fonde avec son beau-frère Samuel Goldfish (Goldwyn) et un homme de loi, Arthur Friend, une maison de production, la Jesse Lasky Feature Play. Non sans témérité, il demande à De Mille, fort inexpérimenté en la matière, de réaliser les premiers films de la compagnie. De Mille se laisse aider par Oscar Apfel pour sa première tentative : le Mari de l’Indienne (plus connu sous son titre original The Squaw Man, 1914), tourné dans un village californien qui venait à peine de naître, Hollywood. Coup d’essai, coup de maître. Le succès du film entraîne celui de son metteur en scène et de sa vedette, le cow-boy Dustin Farnum. En deux années, De Mille tourne avec une frénésie communicative dix-huit films, dont The Virginian (1914), l’Appel du Nord (The Call of the North, 1914), Maria-Rosa (1915), Carmen (1915) et Tentation (Temptation, 1915), ces trois derniers interprétés par l’une des stars de l’époque, la chanteuse d’opéra Géraldine Farrar. Mais c’est Forfaiture (The Cheat), entrepris dans les derniers mois de 1915, qui lui assure la renommée. Fanny Ward et Sessue Hayakawa, ses interprètes, défrayent les chroniques. Tandis que la Jesse Lasky fusionne en 1916 avec la Famous Players d’A. Zukor pour former la Famous Players Lasky Corporation, De Mille précise ses ambitions. Le goût du cérémonial et du grandiose, voire du grandiloquent, qui sera l’une des caractéristiques les plus constantes de sa carrière, se laisse déjà fortement deviner dans sa première reconstitution historique, Jeanne d’Arc (Joan the Woman, 1917), avec Geraldine Farrar dans le rôle principal. Infatigable, De Mille tourne film sur film : la Bête enchaînée (A Romance of the Redwoods, 1917), la Petite Américaine (The Little American, 1917) — deux succès pour Mary Pickford —, Après la pluie le beau temps (Dont Change your Husband, 1919), For Better, for Worse (1919), l’Admirable Crichton (Male and Female, 1919), l’Échange (Why Change your Wife ?, 1920), Something to Think about (1920) et The Affairs of Anatol (1921), six films où apparaît en vedette Gloria Swanson. De Mille apprivoise tous les genres, du western à la comédie mondaine en passant par l’évocation historique. Mais, après Adam’s Rib (1923), il se lance dans une production monumentale qui lui coûte plus de 1 400 000 dollars : les Dix Commandements (The Ten Commandments, 1923). Le succès prodigieux qui accueille ce film biblique lui ouvre de nouvelles perspectives. Le Roi des rois (The King of Kings, 1926), sur la vie du Christ, l’entraîne vers ce qu’il appellera sa « mission » : devenir par l’intermédiaire du film un propagateur de la foi. De Mille croit au conflit du bien et du mal. Ce prêcheur libéral se veut également un homme de spectacle. S’il joue la carte du colossal et du merveilleux, c’est en businessman avisé qui connaît les goûts de son public. Vilipendé par une partie de la critique, il est porté aux nues par des millions de spectateurs qui ne cherchent pas la subtilité psychologique ou le respect pointilleux de la vraisemblance. Les Damnés du cœur (ou la Fille sans Dieu) [The Godless Girl, 1928] est son dernier film muet, et Dynamite (1929) son premier film parlant. Le krach de 1929 lui fait perdre 1 million de dollars, mais point l’envie de tourner. Après une comédie musicale, Madame Satan (1930), et un remake de The Squaw Man (1931), De Mille se lance dans de nouvelles mises en scène impressionnantes : le Signe de la croix (The Sign of the Cross, 1932), Cléopâtre (Cleopatra, 1934), les Croisades (The Crusades, 1935), film qui rencontre un insuccès relatif. Il change de genre avec Une aventure de Buffalo Bill (The Plainsman, 1937), les Flibustiers (The Buccaneer, 1937), Pacific-Express (Union Pacific, 1939), les Tuniques écarlates (North West Mounted Police, 1940), les Naufrageurs des mers du Sud (Reap the Wild Wind, 1942), l’Odyssée du Dr Wassell (The Story of Dr. Wassell, 1944), les Conquérants d’un nouveau monde (Unconquered, 1947), avant de revenir au film biblique avec Samson et Dalila (Samson and Delilah, 1949), de remporter un oscar avec Sous le plus grand chapiteau du monde (The Greatest Show on Earth, 1953) et d’obtenir pour son ultime film les Dix Commandements (1956), remake de l’œuvre de 1923, un triomphe commercial considérable (en 1970, le film détient toujours la troisième place des meilleures recettes depuis l’invention du cinéma). Cecil B. De Mille, qui fut pendant plus de trente ans le roi incontestable et incontesté de la superproduction, a néanmoins d’autres titres de gloire. Il avait sans doute le souffle épique, que contrarièrent quelque peu les impératifs d’Hollywood, qui insistaient davantage sur le clinquant et le prestigieux que sur le raffinement des sentiments et la subtilité des émotions. Son sens religieux masque parfois des intentions moralisatrices qui peuvent paraître naïves ou dépassées. Il serait faux de ne retenir chez ce grand maître de cérémonies qu’un côté pompeux, qui semble plus accentué encore dans ses œuvres les plus connues. Dans certains de ses westerns, dans ses films d’aventures, voire dans ses comédies des années 20, De Mille a montré un sens indéniable du cinéma et restera pour toute une génération de spectateurs l’un des symboles les plus talentueux du « miracle hollywoodien ».

J.-L. P.

 C. Ford, « Cecil B. De Mille », dans Anthologie du cinéma, no 21 (C. I. B., 1967). / Présence du cinéma, nos 24-25 (1967). / M. Mourlet, Cecil B. De Mille (Seghers, 1968).