Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre le Grand (suite)

Pour utiliser cette armée dans les meilleures conditions, il était secondé par les vétérans de son père, des généraux expérimentés. Ce qui manquait, c’était l’argent — Philippe avait laissé des dettes. Mais cela n’allait pas arrêter Alexandre, qui avait un grand projet à exécuter. Avait-il l’intention de conquérir l’Asie ? D’aucuns veulent s’en persuader. Plus modestement, il avait à reprendre et à compléter l’œuvre accomplie par son père, et à venger Grecs et Macédoniens de l’expédition de Xerxès. Au demeurant, jusqu’où comptait-il aller ? Ce que l’on sait de son caractère permet de supposer qu’il rêvait d’aller loin. Mais il n’a sûrement pas songé à l’Inde le jour où il a franchi l’Hellespont. En face de lui, l’Empire perse apparaissait comme un territoire presque sans bornes, dominé par un grand roi aux ressources sans limites. Alexandre allait pourtant l’attaquer avec une trentaine de milliers d’hommes, alors que ses contemporains croyaient que l’Empire disposait de plus d’un million de soldats. L’exagération était manifeste et l’armée ennemie allait se révéler aussi hétéroclite que médiocrement conduite.


La conquête de l’Asie Mineure

Au début du printemps 334, Alexandre laissa le gouvernement de la Macédoine à son général Antipatros, qui devait se montrer à la hauteur de sa tâche et tenir la Grèce en respect. Il prit le chemin de l’Hellespont en longeant la côte de la mer Égée. Il chargea un autre de ses compagnons, Parménion, de diriger la traversée de l’Hellespont, qui s’opéra sans grandes difficultés. La Troade était aux mains des Macédoniens depuis la fin du règne de Philippe. Alexandre inaugura sa prise de possession du sol de l’Asie par des sacrifices symboliques. À Troie, il sacrifia à Athéna et, dans le temple, suspendit ses armes, prenant en échange celles des guerriers de la légende. Quelqu’un lui posa sur le front une couronne d’or.

Une armée perse s’était concentrée en Phrygie, formée de troupes locales et de mercenaires grecs, et elle avait pris position sur une petite rivière, le Granique. Alexandre plaça ses troupes en ordre de bataille et, sans attendre, lui fit passer la rivière devant l’ennemi posté sur une rive escarpée. Dans la mêlée, le roi fut blessé. La cavalerie perse prit la fuite et les mercenaires grecs furent massacrés en grand nombre. Les autres, prisonniers, furent réduits en esclavage en tant que traîtres à la cause des Grecs. Bien que s’étant battu contre autant de Grecs que de Phrygiens, Alexandre, exalté par la facilité de sa victoire, crut avoir vengé la cause de l’hellénisme. Il envoya à Athènes trois cents trophées, destinés au temple d’Athéna.

Il marcha ensuite vers Sardes, dont le gouverneur lui livra les clefs. Aux habitants, il laissa leurs anciennes lois, comme s’il les libérait. À Éphèse, la garnison avait pris la fuite. Alexandre y ramena ceux que la ville avait bannis, et le parti démocratique, avec l’assentiment du conquérant, prit le pouvoir après avoir décimé le parti oligarchique. Non point qu’Alexandre ait été le partisan de la démocratie dans les cités : mais ce changement pouvait lui faire espérer des alliés fidèles. Le commandant de la garnison de Milet, après avoir hésité, prit le parti de résister. Brève attaque : Milet se rendit et les habitants furent épargnés. À ce moment, les Ioniens de la flotte perse commencèrent à déserter, ce qui permit au Macédonien de licencier les navires grecs, qui lui avaient rendu de grands services, mais auxquels il ne tenait pas à voir jouer un trop grand rôle. Halicarnasse était une ville perchée, difficile à prendre d’assaut. Dans ses murs s’étaient réfugiés des transfuges de Grèce ou de Macédoine, farouches adversaires. Échouant devant deux des fortins malgré l’imposant étalage de machines de guerre dont il disposait, Alexandre confia la poursuite du siège à un jeune officier. Il poursuivit sa route par les régions sauvages de la Lycie et de la Pamphylie, laissant des garnisons ici et là. Puis il s’engagea dans le cœur de l’Anatolie. À Gordion, on conservait sur l’Acropole le char d’un roi de légende, Gordias, et le joug était attaché au timon par une lanière d’écorce de cormier, qui formait un nœud d’apparence inextricable. L’oracle local avait annoncé que celui qui détacherait ce nœud serait le maître du monde. Rien ne prouve qu’Alexandre ait tranché le nœud d’un coup d’épée. L’essentiel est qu’après son passage le joug se soit retrouvé détaché.

À cette date (333), il pouvait se considérer comme le maître de l’Asie Mineure, bien qu’il ne l’eût que très partiellement parcourue. Les Perses, eux, le jugeaient alors perdu dans une contrée peu accessible et Memnon, qui commandait leur flotte, songeait à porter la guerre en Grèce et en Macédoine : il prit Chio, entreprit la conquête de Lesbos, puis mourut au moment où la Grèce commençait à s’inquiéter. Ses successeurs n’osèrent rien entreprendre.

Alexandre prit ensuite le chemin de la Cilicie. À Tarse, il se baigna, couvert de sueur, dans les eaux froides du Cydnos et risqua fort de n’en pas réchapper. Il avait quitte les pays où l’on parlait grec et, derrière le défilé des « portes de Cilicie », le grand roi Darios l’attendait (novembre 333) dans la plaine de Sochoi, puis s’avançait jusqu’à Issos, coupant pratiquement les arrières de son adversaire. Ce faisant, il avait commis l’erreur de quitter une plaine favorable au déploiement de ses armées pour entasser ses troupes dans une vallée étroite. La disproportion des effectifs était considérable, même si l’on considère comme très exagéré le chiffre de 600 000 hommes chez les Perses contre les 30 000 soldats d’Alexandre. La bataille fut dure, mais Darios prit la fuite dès qu’il vit son armée amorcer un mouvement de recul. Cette fuite ébranla le courage de ceux qui restaient au combat et consacra le triomphe des Gréco-Macédoniens, qui firent un grand carnage et s’emparèrent du harem et du trésor de Darios. Tournant décisif dans l’histoire de cette expédition : le grand roi était battu au cœur même de ses domaines ! Peu importait désormais que le roi de Sparte s’abouchât avec des satrapes, que les Athéniens fissent mine de négocier avec la Perse, que la conquête de l’Asie Mineure fût demeurée fragmentaire. Darios envoya une députation qui demandait la libération de ses proches moyennant rançon, implorait l’amitié de son adversaire mais exposait tous ses griefs. Alexandre répondit par les siens et le prit de haut : « Je suis le maître de l’Asie... la faveur des dieux m’a rendu maître de votre empire » (selon Arrien). À quelque temps de là, Darios fit une nouvelle offre, proposant une rançon astronomique de 10 000 talents et la moitié de son empire, jusqu’à l’Euphrate. Ses généraux conseillèrent à Alexandre d’accepter et de s’en tenir là. Il s’en garda bien.