Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre le Grand (suite)

La conquête de la Syrie

Il avait déjà entrepris la conquête de la Syrie, qui se laissa occuper sans difficulté, à l’exception de deux villes, Tyr et Gaza. L’importance des ports de Tyr rendait nécessaire la possession de la ville. Isolée dans son îlot, elle se croyait imprenable. Elle avait d’abord négocié, adressé à Alexandre toutes les bonnes paroles qu’il voulait, mais il n’était pas question de le laisser débarquer. Alexandre entreprit donc (janvier 332) un investissement méthodique, avec les meilleurs moyens de la poliorcétique : chaussée établie du continent vers l’île, tours de bois. Rien ne résista à l’astuce des adversaires. À son tour, la flotte dut renoncer à forcer les ports. Puis, à la faveur d’une sortie des vaisseaux tyriens, une attaque réussit. La ville fut prise, les habitants massacrés ou vendus comme esclaves (août 332). Gaza, la capitale des Philistins, tint deux mois, puis subit le même sort que Tyr.


L’oasis d’Amon

Poursuivant sa route vers le sud, Alexandre pénétra en Égypte. L’invasion de ce pays était une promenade militaire. À Péluse, il trouva sa flotte, déjà ancrée, lui fit remonter le Nil et gagna lui-même Memphis par la voie de terre. Il y trouva un trésor qui le renfloua opportunément. Évitant de brutaliser les Égyptiens, sans pouvoir toutefois apparaître auprès d’eux comme un libérateur, il montra pour leurs dieux la vénération superstitieuse qu’il accordait libéralement à toutes les divinités et fit rebâtir deux sanctuaires. Il s’assit enfin sur le trône des pharaons. Puis il descendit le Nil et, près de Canope, décida de fonder une ville, Alexandrie. Ensuite, il effectua un pèlerinage à l’oasis de Siouah, dans le désert libyque, où se trouvait le temple d’Amon-Rê, que les Grecs se hâtèrent d’helléniser en Zeus-Amon, au chef orné de cornes de bélier. Les historiens ne sont toujours pas d’accord : Alexandre était-il venu demander à l’oracle de l’« instruire de sa destinée » ou de lui attribuer des qualités divines ? Pour certains, il était d’ores et déjà profondément imbu du sentiment de sa propre divinité ; pour d’autres, il se la fit révéler alors. Le résultat est à peu près le même : après ce voyage pénible à Siouah et la traversée du désert, où il pensa périr de soif, après la visite à ce temple étrange et les propos du grand prêtre qui le qualifia de fils d’Amon, Alexandre parle de Zeus ou d’Amon comme de son père et estime qu’il lui faut être digne d’une telle ascendance. Toutes les traditions de la théocratie pharaonique devaient concourir à lui suggérer un sentiment d’autodivinisation.


Babylone et Persépolis

Alexandre ne quitta pas l’Égypte sans en avoir organisé le gouvernement et l’administration, selon sa méthode habituelle consistant à distribuer satrapies et commandements militaires tant à ses fidèles qu’à des gens du pays, qui utiliseraient l’administration et le système fiscal tels qu’ils étaient. Il fit jeter des ponts sur les bras du Nil pour faciliter l’évolution de ses troupes. Enfin, il repartit en campagne avec l’intention de pénétrer en Asie jusqu’aux capitales perses. Darios, de son côté, réunissait autour de Babylone une armée plus vaste et plus disparate que jamais. Alexandre évita la traversée du désert et gagna rapidement le Tigre, par Nisibis. Il franchit le fleuve sans encombre, alors que Darios l’attendait un peu plus loin, dans la plaine de Gaugamèles (septembre 331). Battu dans la vallée d’Issos, il avait décidé de rencontrer cette fois l’armée d’Alexandre en terrain plat. L’infériorité numérique des Gréco-Macédoniens avait obligé leur chef à les concentrer en première ligne et à prendre des précautions inhabituelles. La fougue de leur attaque tint lieu de tout le reste. L’armée gréco-macédonienne risqua fort d’être battue, puis elle se ressaisit et finalement Alexandre resta maître du terrain. Cette bataille, communément appelée bataille d’Arbèles, s’est en réalité déroulée à près de 100 kilomètres de là. Les vainqueurs poursuivirent les vaincus avec acharnement, en firent un carnage mémorable et trouvèrent encore à Arbèles un butin considérable. Quant à Darios, il s’était enfui dans la direction d’Ecbatane ; la route de Babylone était ouverte et l’armée perse ne devait plus se manifester.

Babylone avait jugé préférable de se rendre sans combat. La population, qui avait beaucoup de griefs contre Darios, accueillit presque en libérateur un Alexandre qui s’accoutumait à se considérer comme le maître de l’Empire perse. Il avait eu des contacts suffisants avec les sujets de Darios pour apprendre que leur barbarie n’était pas aussi totale que le prétendaient les Grecs. Ceux-ci constatèrent avec dépit qu’il leur fallait partager avec des Perses les hautes fonctions du gouvernement : le satrape perse de Babylonie, Mazaios, demeura à son poste.

Suse fut occupée presque aussitôt. On y découvrit les statues d’Harmodios et d’Aristogiton, enlevées par Xerxès, et qu’Alexandre fit renvoyer aux Athéniens. Des caves du palais, on tira un trésor qui permit non seulement d’envisager avec sérénité les campagnes futures, mais encore de faire de substantielles distributions aux soldats. De grands jeux et des sacrifices fêtèrent ces événements heureux, et la famille de Darios, toujours captive, vit arriver la fin de ses pérégrinations : Alexandre l’installa dans un palais et la traita avec égards.

Il se lança à la poursuite de Darios et atteignit Parsa après la traversée pénible de défilés montagneux connus sous le nom de Pyles persiques et peuplés de tribus sauvages et agressives. Néanmoins, Parsa tomba si vite que les Perses n’eurent pas le temps d’évacuer le trésor royal. Alexandre accorda toute licence à ses soldats de piller la ville, de saccager, de massacrer. Les palais royaux devaient être épargnés, mais ils ne tardèrent pas à subir le même sort que la ville. Sans doute, Alexandre a-t-il été pris d’un désir de vengeance quand il a vu, à sa rencontre, aux portes de Parsa, la horde des Grecs déportés dans la ville, tous âgés, éclopés. Parsa détruite fut surnommée Persépolis, ce qui signifie « la ville en ruine ».