Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croisades

Qualifiée généralement au Moyen Âge de voyage de Jérusalem et à partir du xiiie s. de passage en raison de son caractère régulier, la croisade, dont le nom même n’apparaît dans les textes occidentaux qu’à partir du xiiie s., est d’abord un pèlerinage militaire que Joinville dénomme pèlerinage de la croix et que les écrivains du xive s. appellent voyage d’outre-mer.



Origines

Décidées par le pape, qui accorde d’importants privilèges temporels et spirituels aux chrétiens qui affrontent les risques du voyage et du combat pour délivrer le tombeau du Christ des mains des infidèles, les croisades s’intègrent dans le cadre plus vaste des guerres saintes que l’Occident chrétien mène au Moyen Âge sur tous les fronts où il se trouve en contact direct avec le monde islamique : Espagne, Sicile et Proche-Orient.

Dans la péninsule Ibérique se développe, en effet, à l’instigation des rois chrétiens, une vaste opération de reconquête systématique des terres musulmanes entre le milieu du xie s. et le milieu du xiiie, opération qui trouve son point d’aboutissement final et lointain en 1492, lorsque Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille s’emparent de Grenade. Dès les origines, cette « Reconquista* » revêt tous les caractères d’une véritable croisade : inspiration et soutien de l’ordre de Cluny ; octroi, par le pape Alexandre II, de l’indulgence plénière à ses participants ; intervention de chevaliers venus du nord des Pyrénées et donnant à cette guerre un aspect à la fois français et international, qui se marque dès août 1064 lors de la conquête temporaire de Barbastro.

En Méditerranée centrale, les Normands Roger (1031-1101) et Robert (v. 1015-1085) Guiscard entreprennent également à partir de 1060 la reconquête de la Sicile avec la bénédiction du pape Alexandre II, qui leur envoie la bannière de Saint-Pierre ; malgré leur faiblesse numérique, ils parviennent à chasser de l’île les musulmans, dont les derniers fortins capitulent en 1091.

Finalement, la difficile conquête de la Sicile comme la rude entreprise de la Reconquista prouvent aux chevaliers d’Occident qu’ils sont capables d’aller porter le combat avec quelque chance de succès jusqu’en Terre sainte en profitant de la réouverture de la route maritime essentielle unissant par le détroit de Messine et même par le détroit de Sicile le bassin occidental et le bassin oriental de la Méditerranée.

En fait, bien qu’atténué au viie et au viiie s., le courant qui porte les fidèles à se rendre à Jérusalem ne s’est jamais totalement interrompu depuis l’époque romaine ; à la fin du xe s. et au début du xie s., il reprend même vigueur grâce à la cessation de la piraterie musulmane en Méditerranée et à la conclusion d’un accord entre les Fāṭimides d’Égypte et de Byzance, accord qui permet la restauration du Saint-Sépulcre détruit par al-Ḥākim en 1009 et qui assure aux chrétiens le libre accès aux Lieux saints.

Considéré d’abord comme un acte de foi et de piété, revêtu à partir du ixe s. d’un caractère pénitentiel de plus en plus affirmé, le pèlerinage en Terre sainte draine donc, dès la fin du xe s., des foules nombreuses de pénitents de toute condition sociale persuadés, tels le duc de Normandie Robert Ier le Diable et le comte d’Anjou Foulque Nerra, que les souffrances de la route rachèteront leurs péchés les plus graves et que la vue de la Jérusalem terrestre leur offrira une image certes imparfaite, mais tangible de la Jérusalem céleste, où ils espèrent trouver l’éternel repos. Les pèlerins multiplient les fondations de monastères. L’un d’eux est même créé par les Amalfitains, qui établissent également deux hôpitaux destinés à accueillir les pèlerins, le premier à Antioche, le second dans la Ville sainte, où se trouvent ainsi jetées les bases de l’ordre des Hospitaliers*.

Œuvres de marchands, de telles fondations attestent que les Occidentaux, avant même le temps des croisades, ont noué avec la Terre sainte des liens religieux et économiques fort étroits.

Venise, Bari et Amalfi contrôlent en effet un fructueux commerce triangulaire avec Byzance et avec les pays musulmans, commerce auquel se joignent, à l’extrême fin du xie s., Pise et Gênes, qui, dans ce dessein, construisent de puissantes flottes : celles-ci assureront par la suite le transport des renforts et des armes.

L’existence de ces liens traditionnels entre chrétienté et islām n’aurait pourtant pas suffi à créer, puis à entretenir pendant deux siècles de si puissantes expéditions si la croissance démographique et, par contrecoup, le manque de terres exploitables en Europe n’avaient jeté sur les routes de nombreux chevaliers en quête de fortune. Après avoir tenté d’en christianiser les mœurs par la paix et par la trêve de Dieu, l’Église cherche alors à détourner leurs ardeurs belliqueuses vers les infidèles, assurant par là même la paix dans les campagnes d’Occident, la libération des Lieux saints et le salut d’une noblesse sur laquelle planait jusque-là, en raison de son genre de vie, la menace de la damnation éternelle.

Psychologiquement, démographiquement, économiquement, l’Occident est donc prêt à répondre à l’appel de la croisade lorsque, à la fin du xie s., les Turcs Seldjoukides déferlent en Asie Mineure et en Syrie.

Vainqueurs de l’empereur Romain IV Diogène à Mantzikert le 19 août 1071, ces derniers occupent en effet Nicée en 1078 et menacent Constantinople. Confiants dans les vertus militaires des chevaliers occidentaux, qu’ils ont pu apprécier soit comme adversaires en Italie du Sud jusqu’en 1071 (prise de Bari par les Normands), soit comme mercenaires, les empereurs byzantins demandent à la papauté d’inciter ces derniers à se mettre à leur service. Cette demande est accueillie d’autant plus favorablement par le pape Grégoire VII en 1074, puis par ses successeurs, que Jérusalem est occupée et pillée à deux reprises, en 1071 et en 1077, par les Turcs Seldjoukides, qui accueillent sans doute moins libéralement les pèlerins chrétiens que les Arabes ou les Égyptiens fāṭimides. Ces négociations sont reprises en 1089 entre le pape Urbain II et l’empereur Alexis Ier Comnène et poursuivies pendant le concile de Plaisance au début de 1095 ; dans l’esprit du Byzantin, elles ne devaient avoir pour objet que la défense de l’Empire, mais elles aboutissent finalement à faire naître dans l’esprit des papes l’idée d’une expédition militaire ayant pour objet la libération définitive des Lieux saints.