Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

croisades (suite)

Après avoir fait adopter par le concile de Clermont, entre le 18 et le 26 novembre 1095, deux canons étendant la paix de Dieu à toute l’Église et accordant l’indulgence plénière à tous ceux qui acceptent de partir délivrer Jérusalem, Urbain II convie, le 27 novembre, les clercs et les chevaliers réunis sur la place du Champ-Herm « à prendre la route du Saint-Sépulcre et à arracher la Terre sainte à la nation impie ». Le sermon pontifical est l’acte décisif qui incite la foule à prendre la croix et à faire vœu de se rendre à Jérusalem sous la direction de l’évêque du Puy Adhémar de Monteil, dont le pape fait aussitôt son légat (28 nov. 1095).


Les croisades des xie et xiie siècles

En fait, seules les trois premières croisades, qui se déroulent aux xie et xiie s., sont vraiment des expéditions rassemblant toute la chrétienté occidentale pour conquérir, défendre ou délivrer la Terre sainte selon la volonté pontificale.

• Prêchée à l’initiative d’Urbain II, la première croisade (1095-1099) reçoit dès le 1er décembre 1095 le concours du comte de Toulouse, Raimond de Saint-Gilles (1042-1105), auquel se joignent de nombreux grands seigneurs d’Occident, à l’exclusion de leurs souverains, l’empereur Henri IV et le roi de France, Philippe Ier, étant excommuniés, alors que le roi d’Angleterre, Guillaume II le Roux, hésite à se prononcer entre le pape Urbain II et l’antipape Clément III.

Mais, avant que cette croisade des barons soit définitivement organisée, des foules nombreuses prennent le chemin de Jérusalem. Originaires notamment du nord de la France et de la Rhénanie, régions victimes d’épidémies et de famines depuis une dizaine d’années, attirées par ailleurs par les privilèges spirituels promis aux croisés, ces foules ont répondu à l’appel de prédicateurs populaires, dont le plus célèbre est Pierre l’Ermite (v. 1050-1115), ou de petits chevaliers, tels Gautier de Poissy et son neveu Gautier Sans Avoir († v. 1096). Rassemblés à Cologne le samedi saint 12 avril 1096, leurs bandes quittent tour à tour cette ville et, par les vallées du Rhin, du Neckar et du Danube, se dirigent vers Constantinople, qu’elles atteignent respectivement les 20 juillet et 1er août 1096 non sans avoir subi de lourdes pertes en cours de route en raison des réactions d’hostilité provoquées, notamment en territoires hongrois et bulgare, par les pillages et par les massacres auxquels se livrent certains éléments sans aveu. D’autres groupes auraient dû les rejoindre, qui ne parvinrent jamais au but, tel celui du comte allemand Emiko de Leiningen, exterminé par les Hongrois au siège de Wieselburg (auj. Mosonmagyarovar) après avoir massacré, notamment à Mayence, de nombreux Juifs.

Très révélateurs de cet antisémitisme à fondement religieux toujours prêt à surgir de l’inconscient populaire au Moyen Âge et dont sont également victimes les communautés juives de Spire, de Worms, de Cologne, de Trèves, de Prague, etc., ces massacres, ainsi que d’autres divers excès commis par ces croisés, expliquent la réticence de l’accueil que réserve à ces derniers l’empereur Alexis* Ier Comnène, qui s’empresse de les faire passer en Asie Mineure, où ils sont massacrés à leur tour par les Turcs à Xerigordon, puis au camp de Civitot en septembre et en octobre 1096.

Symptomatique de la brutalité des mœurs, mais aussi de la naïveté et de la vigueur de la foi des chrétiens, la croisade populaire, qui se renouvelle à plusieurs reprises lors du départ d’autres croisades au xiie et au xiiie s., a au moins le mérite d’entretenir « un climat d’enthousiasme religieux » qui contraste avec la prudence politique des barons.

Le soin extrême avec lequel ces derniers organisent les armées régulières de la première croisade en est une preuve. Étant donné l’importance numérique élevée des effectifs rassemblés et les difficultés posées par leur ravitaillement en cours de route, les croisés sont regroupés en quatre armées, dont la composition, le commandement, le point de rassemblement et l’itinéraire sont différents.

Les éléments précurseurs de l’armée des Français du Nord, commandés par Hugues de Vermandois (1057-1102), frère du roi de France, Philippe Ier, arrivent à Constantinople en novembre 1096 après être passés par Lyon, Gênes, Rome, Bari et Durazzo (auj. Durrësi) ; par le même itinéraire, ils sont rejoints en avril-mai 1097 dans la capitale byzantine par les Flamands et les Normands rassemblés à l’origine à Bruges et à Rouen sous les ordres respectifs de Robert II, comte de Flandre († 1111), de Robert II Courteheuse, duc de Normandie (v. 1054-1134), et d’Étienne, comte de Blois et de Chartres. Entre-temps est arrivée également sur les rives du Bosphore, en décembre 1096, l’armée lotharingienne que le duc de Basse-Lorraine, Godefroi de Bouillon (v. 1061-1100), et son frère Baudouin de Boulogne († 1118) ont rassemblée à Ratisbonne en août précédent et à laquelle ils ont fait emprunter l’itinéraire danubien, non sans difficulté en raison des déprédations commises antérieurement par la croisade populaire.

Rassemblée à Toulouse et commandée par le comte Raimond de Saint-Gilles, qui s’est croisé sans esprit de retour et qui a à ses côtés le légat Adhémar de Monteil, l’armée des Français du Midi et des Provençaux suit à partir d’octobre 1096 un itinéraire purement terrestre, qui, par le col de Montgenèvre (sans doute) et par l’Italie du Nord, rejoint Constantinople en longeant la côte orientale de l’Adriatique avant d’emprunter la via Egnatia, route que parcourent également les forces d’une quatrième armée : celles de Bohémond de Sicile (1050?-1111) et de Tancrède de Hauteville († 1112), fils aîné et neveu de Robert Guiscard, qui se sont embarqués à Brindisi en Italie du Sud et qui parviennent à Constantinople en avril 1097, en même temps que les seigneurs de Languedoc.

Alexis Ier Comnène a demandé à l’Occident de lui envoyer seulement quelques contingents de mercenaires, qu’il pourrait utiliser au mieux de ses intérêts ; il s’inquiète de voir arriver sur son territoire de si puissantes armées, dont il redoute les excès et les ambitions de leurs chefs. Aussi tente-t-il de faire admettre à chacun d’eux sa suzeraineté en leur faisant prêter un serment de fidélité qui les oblige à lui abandonner toutes les contrées qu’ils occuperaient, mais qui lui appartenaient avant l’invasion des Turcs et à reprendre en fief de lui-même les terres nouvelles qu’ils pourraient conquérir en Orient.