Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Convention nationale (suite)

Les royalistes ont des journaux, impriment des pamphlets et lancent dans Paris leurs hommes de main contre les « terroristes ». La « jeunesse dorée », mêlée de soldats, mais aussi de réfractaires ou de déserteurs, court les rues, attaque les lieux de réunion des Jacobins ou des hébertistes, assomme le sans-culotte. Ces muscadins poussent l’Assemblée à proscrire leurs ennemis. En novembre, club jacobin et club électoral sont fermés. L’épuration des cadres terroristes, très tôt commencée dans les administrations, se prolonge dans les sections, où les militants sans-culottes sont éliminés et certains privés de tout droit politique.

L’antiterrorisme se manifeste par des procès comme celui de Jean-Baptiste Carrier, guillotiné en décembre 1794. Il prend la forme d’une « terreur blanche », qui a lieu plus particulièrement dans le Midi ; là, des bandes s’organisent, telle celle des compagnons de Jéhu. Les assassinats qui ensanglantent Lyon ou Nîmes au début de 1795 sont accomplis par des parents de victimes de l’an II. Mais il y a aussi une autre vengeance qui s’exprime par ces actes sanglants commis au cri de « à bas les niveleurs » : c’est celle des possédants qui ont eu peur en l’an II. Cependant, en soutenant ou en tolérant ces crimes comme en amnistiant les Vendéens qui restent en armes (févr.-avr. 1795), ils ne se rendent pas compte qu’ils font le jeu des royalistes. La crainte des mouvements populaires les aveugle.

Ces mouvements vont de nouveau se manifester dans un Paris où le luxe de quelques-uns (merveilleuses et incroyables) injurie à la misère du plus grand nombre. Le maximum supprimé (24 déc. 1794), l’assignat s’effondre sur un marché devenu libre. Les prix sont tels qu’ils rendent inaccessibles aux pauvres les denrées de première nécessité. À Rouen, par exemple, la livre de viande, qui valait un peu plus de 8 sous en 1790, en vaut près de dix fois plus en 1795, alors que le salaire du manouvrier n’a été multiplié que par quatre. Si on donne l’indice 100 aux prix calculés en 1790, on atteint celui de 5 340 en 1795. Sous-alimentées, au milieu d’un hiver des plus rigoureux, les masses populaires sont livrées au désespoir. « La classe indigente, dit un témoin, donne de l’inquiétude aux honnêtes gens, qui craignent sur les suites de cette cherté excessive. »

En germinal (avr. 1795), la colère populaire se donne libre cours. Les pauvres vont, le 1er avril, réclamer à l’Assemblée des mesures contre la disette et la Constitution de l’an I. La garde nationale les disperse, et les contre-révolutionnaires en profitent pour demander et obtenir la déportation à la Guyane, sans jugement, de Barère, de Billaud-Varenne, de Collot d’Herbois et de M. C. Vadier. Le 1er prairial (20 mai), la disette étant à son comble, l’agitation reprend. Les femmes entraînent les hommes ; ils envahissent à 3 heures la Convention, massacrent le député Jean Féraud ; les autres députés gagnent le temps nécessaire à la garde nationale des quartiers riches pour intervenir et disperser la foule. Le lendemain, une nouvelle manifestation part du faubourg Saint-Antoine, s’empare de la Maison commune, bloque la Convention et réclame de nouveau « du pain et la Constitution de l’an I », mais la foule se laisse berner par les Conventionnels. Le 3 prairial, la répression commence. Aidés des troupes rassemblées autour de Paris, les « citoyens sûrs » encerclent le faubourg Saint-Antoine, y pénètrent et, le lendemain, font capituler sans combat les sans-culottes. Trente-six de ceux-ci seront condamnés à mort, et douze déportés, dont sept aux fers.

L’échec de ce qui apparaît plus comme des manifestations que comme une insurrection s’explique non seulement par les contradictions qui, là encore, sont au sein de la sans-culotterie parisienne, mais surtout par l’absence de cadres, due aux décimations précédentes. La défaite de ces mouvements populaires permet à la bourgeoisie française de renouer avec 1789 et de fonder la république des notables qu’elle n’a cessé d’appeler de ses vœux.

Pour l’établir, les députés votent en août 1795 la nouvelle Constitution. Cette Constitution de l’an III comporte une déclaration des droits où la liberté est restreinte, où l’égalité devant la loi demeure seule. Par contre, des devoirs apparaissent. Bon fils, bon père, bon frère, bon époux, le citoyen idéal doit croire que l’ordre social repose sur le maintien de la propriété. La Constitution est empreinte du même idéal bourgeois, qui veut à la fois écarter monarchie et terrorisme. En réaction au gouvernement de la Montagne, le suffrage censitaire est adopté et les pauvres éliminés.

Réaction contre la dictature d’une assemblée, le bicamérisme est créé : un Conseil des Cinq-Cents a l’initiative des lois, qu’accepte ou non un Conseil des Anciens formé de 250 membres, âgés de quarante ans, mariés ou veufs. Le principe de la collégialité, déjà retenu, est renforcé pour empêcher la dictature d’un seul. Le pouvoir exécutif est donné à cinq directeurs choisis par les Anciens sur une liste présentée par les Cinq-Cents ; élu pour cinq ans, le Directoire est renouvelable par cinquième tous les ans.

Le principe de la séparation des pouvoirs est établi ; les directeurs, qui ne peuvent ni convoquer, ni ajourner, ni dissoudre, ni assister aux séances des Conseils, n’ont aucune initiative des lois ni veto. Les Conseils ne peuvent pas questionner, interpeller ou révoquer des directeurs. En cas de conflit, seul le coup de force peut trancher. Or, la Convention donne déjà un exemple de l’appel à l’armée. Par le décret qui, en août 1795, décide que deux tiers de ses membres doivent figurer dans les nouvelles Assemblées, elle ruine les espoirs des royalistes. Ces derniers ont déjà subi un coup d’arrêt : débarqués à Quiberon, leurs amis venus d’Angleterre ont été fusillés par Hoche (juill. 1795). Le 5 octobre, ils tentent donc une insurrection à Paris et bloquent la Convention. Barras organise la résistance avec l’aide de Bonaparte et de Murat, maître des canons du camp des Sablons. Mitraillés par Bonaparte sur les marches de Saint-Roch, les royalistes ne subissent pourtant, au lendemain du 13 vendémiaire, qu’une répression modérée. L’acte n’en sépare pas moins la Plaine des royalistes, désormais privés d’une partie de l’aide étrangère.