Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Convention nationale (suite)

Robespierre méprise les uns et les autres. « Le gouvernement révolutionnaire, dit-il en décembre, doit voguer entre deux écueils, la faiblesse et la témérité, le modérantisme et l’excès [...]. Les deux extrêmes aboutissent au même point que l’on soit en deçà ou au-delà du but, le but est également manqué. Rien ne ressemble plus à l’apôtre du fédéralisme que le prédicateur intempestif de la République une et indivisible. L’ami du roi et le procureur général du genre humain s’entendent assez bien. Le fanatique couvert de scapulaires et le fanatique qui prêche l’athéisme ont entre eux beaucoup de rapports [...], quelquefois les bonnets rouges sont plus voisins des talons rouges qu’on ne pourrait le penser. »

Mais, inquiet de l’ascendant pris sur le peuple par ces derniers, choqué des mascarades religieuses que ces déchristianisateurs poursuivent, Robespierre, après avoir fait prendre les décrets de ventôse, les attaque. Dans la nuit du 13 au 14 mars, Hébert et les « exagérés » C. P. Ronsin, F. N. Vincent, A. F. Momoro sont arrêtés, traduits au Tribunal révolutionnaire et guillotinés le 24 mars.

Quelques jours plus tard, c’est au tour des Indulgents, qui s’en prenaient au Comité de salut public. Amalgamé à des prévaricateurs, Danton, mis hors des débats de son propre procès, est condamné à mort et exécuté avec ses amis le 5 avril 1794.

Deux mois plus tard, Robespierre préside la fête de l’Être suprême. Il semble rester le seul porte-parole de la sans-culotterie, et certains à l’étranger s’interrogent sur le sens d’un culte qui paraît annoncer la fin de l’« abîme révolutionnaire ».

Ce culte d’une nouvelle religion témoigne en fait de tout autre chose. L’Incorruptible sait la vigueur des croyances religieuses du plus grand nombre. Déiste, il les partage et s’effraie d’une déchristianisation et d’un excès de rationalisme qui risque de détourner les masses de la Révolution. Au culte de la Liberté et de la Raison institué par la Commune, il oppose cette croyance où se mêlent déisme et culte de la patrie. Le décret du 18 floréal an II (7 mai 1794) proclame que le peuple français reconnaît l’existence de l’Être suprême et l’immortalité de l’âme. Quatre fêtes sont instituées pour commémorer le 14 juillet, le 10 août, le 21 janvier et le 31 mai. Par cette religion, la vertu sera maintenue. Elle est le correctif nécessaire en période de terreur. Elle doit souder les différentes catégories sociales en ce moment critique de la Révolution.

Robespierre, au moment où il est regardé par certains comme le maître de la Révolution, est en fait isolé et près de sa fin. Son isolement provient, paradoxalement, des succès que la politique suivie obtient. À l’extérieur, l’ennemi est vaincu. Les victoires d’Hondschoote (sept.), de Wattignies (oct.), du Geisberg, près de Wissembourg (déc.) arrêtent et obligent les coalisés à battre en retraite. En juin 1794, la victoire de Jourdan à Fleurus permet l’invasion de la Belgique. Tandis que Dugommier occupe la Catalogne et que Moncey touche à Saint-Sébastien, la Savoie est prise par Kellermann. À l’intérieur, les insurrections sont brisées. En octobre, Lyon, par la victoire républicaine, devient « ville affranchie », et la répression s’y abat. En décembre, grâce au jeune Bonaparte, Toulon échappe aux Anglais, et Marseille tombe sous l’autorité de Barras. Les victoires de Kléber et de Marceau transforment la guerre de Vendée en guérilla.

Mais ces victoires rendent plus insupportable la Terreur à des bourgeois effrayés par les lois de ventôse qui portent atteinte à la propriété. De leur côté, les sans-culottes s’écartent d’un comité qui prend à leur encontre des mesures de réaction : fermeture des sociétés populaires, dissolution des sociétés sectionnaires, maintien d’un maximum des salaires, alors que le maximum des denrées est assoupli. En même temps que la base sociale du régime s’amenuise, la lutte éclate dans le Comité de salut public même. Carnot attaque Saint-Just. J. N. Billaud-Varenne et Collot d’Herbois reprochent à Robespierre son attitude à l’égard des hébertistes. Robespierre, qui ne paraît pas d’un mois au Comité, se tourne enfin vers la Convention. Le 8 thermidor (26 juill.), maladroitement, il soude les oppositions diffuses par un discours où il menace les traîtres sans les nommer. Les Tallien, Fouché ou Barras, hommes corrompus, mettent à profit le temps qui leur est laissé pour manœuvrer une Plaine hésitante. Le 9 thermidor, Robespierre tombe. Le 10, avec 22 des siens, il sera guillotiné. Les « brigands » triomphent.


La Convention thermidorienne

Très vite, la réaction politique se développe au lendemain de Thermidor. Les membres des comités ne siègent que trois mois durant ; les comités sont placés sur le même pied d’égalité, et le Comité de salut public ne conserve que la guerre et la diplomatie. La loi du 22 prairial est ramenée, les comités révolutionnaires sont dissous, le Tribunal révolutionnaire est supprimé, les prisons sont ouvertes pour les suspects. Ainsi, la stabilité détruite, la décentralisation opérée, la force coactive ruinée, le gouvernement révolutionnaire est démantelé.

Dans cette Convention, où une « crête » de la Montagne subsiste face à quelques royalistes camouflés, les despotes de la Plaine semblent pouvoir imposer leur vue modérée. « Honnêtes gens », s’ils rejettent les principes d’un gouvernement révolutionnaire qui attaqua la sacro-sainte propriété, ils restent des patriotes de 89. Attachés à un régime démocratique où les propriétaires ont le pouvoir, ils s’opposent à la Contre-Révolution. Or, celle-ci se développe.

Les circonstances semblent favorables aux royalistes. Leurs plus farouches ennemis, divisés, s’affaiblissent les uns les autres et sont à la veille de la proscription. En effet, les néo-hébertistes se regroupent dans le club électoral, mais ils portent leurs coups plus sur les Jacobins que sur la réaction. Quant à eux, les Jacobins reprennent le combat, notamment en septembre 1794. Ils cherchent à rééduquer l’opinion et à lui enseigner la nécessité des mesures révolutionnaires (lois sur les suspects, sur la limitation de la liberté de la presse, contre les prêtres et les nobles). Ils s’efforcent d’attirer à eux une clientèle populaire que les néo-hébertistes leur disputent. Les uns et les autres ne parviennent à créer qu’une faible audience populaire.