Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Convention nationale (suite)

Dernière nuance enfin à apporter : la tactique révolutionnaire préconisée au sein des nouvelles unités (les divisions) n’est pas appliquée sans mal. La présence de nombreux officiers trop vieux ou trop attachés aux pratiques anciennes l’explique. Ainsi, comme dans tant d’autres domaines de l’histoire de la Révolution, continuité et rupture demandent à être mieux précisées. L’instrument de la victoire républicaine en sera mieux jugé.

Ce peuple en armes a volontiers été séparé par les historiens du reste de la nation, « en proie aux plus funestes convulsions ». Il pouvait être gênant d’unir le destin de soldats sublimés par leur sacrifice et que l’on héroïsait à celui d’individus trouvant parfois dans la Révolution un exutoire à leur sadisme. Encore faut-il souligner que ce ne fut le cas que de quelques-uns. Terreur et victoire sont, en fait, indissolublement liées. Comme en 1792, il n’y a pas un « front » et un « arrière » ; la France est partout un champ de bataille où contre-révolutionnaires et révolutionnaires s’affrontent sans merci. Dès l’époque, Robespierre explique : « On s’attendrit pour les hommes les plus criminels, pour ceux qui livrent la patrie au fer de l’ennemi : moi, je ne sais m’attendrir que pour la vertu malheureuse, je ne sais m’attendrir que pour l’innocence opprimée, je ne sais m’attendrir que sur le sort d’un peuple qu’on égorge avec tant de scélératesse. »

Sur les 100 000 ou les 500 000 suspects que la loi du 17 septembre, votée sous la pression populaire, jette en prison, de 20 000 à 40 000 sont exécutés. Le Tribunal révolutionnaire de Paris devient en 1794 le seul juge des crimes politiques. Après la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794), le nombre des victimes s’accroît. Cette loi d’exception supprime toutes les garanties habituelles de la justice : la procédure est sommaire, et les témoins sont absents s’il y a des preuves matérielles ou morales ; les accusés laissés sans défenseurs ne subissent qu’une peine, la mort.

Les historiens se divisent sur l’interprétation à donner à une telle loi. G. Lefebvre, sans écarter ce qui, dans la loi, résulte de la logique interne du système terroriste, insiste sur les circonstances : les tentatives d’assassinat sur Collot d’Herbois et Robespierre auraient déterminé ce dernier « à exterminer tous les ennemis » de la Révolution. J. Godechot présente une thèse voisine de celle de Mathiez. Il y aurait un lien entre la loi de ventôse an II sur les biens des suspects et la loi du 22 prairial : cette dernière hâte en effet le jugement des suspects et permet ainsi une plus rapide distribution de leur propriété aux pauvres. Mais elle est prise sans consultation du Comité de sûreté générale, qui, par dépit, en fausserait l’application. Il amalgame innocents et coupables, et envoie par l’intermédiaire du Tribunal révolutionnaire ces « tournées » à la guillotine.

Ainsi, terreur politique et économie dirigée seraient liées. Ces mesures économiques et sociales du gouvernement révolutionnaire posent, elles aussi, un problème. Par la loi du 26 juillet 1793, punissant de mort les accapareurs de marchandises de première nécessité, l’État intervient dans la vie économique. Pour ces mêmes marchandises, la loi du maximum général (29 sept.) fixe un prix qui ne peut être dépassé et qui ne permet qu’un léger bénéfice. La République devient ainsi le propriétaire momentané du produit du commerce, de l’industrie et de l’agriculture français. Mais, gage donné aux patrons, les salaires sont, eux aussi, l’objet d’un maximum, ce qui mécontente bon nombre de sans-culottes. C’est à ces lois que s’ajoutent celles qui, en ventôse an II (févr. - mars 1794), prévoient la distribution aux pauvres des biens des ennemis de la République et esquissent une sécurité sociale. Il y a là pour certains un véritable programme jacobin de révolution sociale. Les travaux les plus récents font penser qu’il s’agit plutôt d’« anticipations économiques et sociales » dues aux circonstances. La guerre et l’inflation raréfient les denrées et augmentent les prix ; il faut agir pour assurer à tous la subsistance.

D’autre part, les lois de ventôse, inapplicables, permettent surtout aux robespierristes de conserver l’appui des sans-culottes en un moment où ils attaquent leur porte-parole Hébert et les « enragés ».

C’est qu’en effet les Montagnards se déchirent. Les Indulgents affrontent les hébertistes. Les premiers veulent arrêter une Terreur, qu’ils disent déclenchée par des enragés, agents de l’étranger. Derrière Danton, il y a quelques patriotes sincères, mais aussi des agioteurs et des corrompus qui ont touché des pots-de-vin dans l’affaire de la liquidation de la Compagnie des Indes (Fabre d’Églantine et G. A. Chabot de l’Allier). Le journal que Camille Desmoulins crée en décembre 1793, le Vieux Cordelier, est leur porte-parole :
« La liberté, c’est le bonheur, c’est la raison, c’est l’égalité, c’est la justice, c’est la Déclaration des droits, c’est votre sublime Constitution ! Voulez-vous que je la reconnaisse, que je tombe à ses pieds ? Ouvrez les prisons à ces deux cent mille citoyens que vous appelez suspects [...], vous voulez exterminer tous vos ennemis par la guillotine ! Mais y eut-il jamais plus grande folie ? Pouvez-vous en faire périr un seul à l’échafaud, sans vous faire dix ennemis de sa famille ou de ses amis ? Autant il y aurait de danger et d’impolitique à ouvrir la maison de suspicion aux détenus, autant l’établissement d’un comité de clémence me paraît une idée grande et digne du peuple français [...] » (24 déc. 1793).
Hébert répond : « Quel est le républicain qui ne mange pas son sang en entendant un pareil discours ? Quoi ! c’est une folie que de purger la France de tous les scélérats ? Quoi ! c’est augmenter le nombre de nos ennemis que nous délivrer des conspirateurs ? Suivant maître Camille, il faudrait que les sans-culottes tombassent aux pieds des aristocrates pour leur demander grâce ? Où en serions-nous, foutre, sans la sainte guillotine ? Sans elle existerait-il un seul Jacobin ? Aurions-nous encore une Convention ? Toutes nos armées ne seraient-elles pas détruites ? Si le rasoir national cessait un seul instant d’être suspendu sur la nuque des contre-révolutionnaires, que deviendraient les patriotes ? » (Le Père Duchesne.)

Fabre d’Églantine arrêté le 12 janvier 1794, Hébert dénonce les endormeurs, contre lesquels le club des Cordeliers et les sans-culottes préparent une « sainte insurrection ».