Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Convention nationale (suite)

Les artisans de la victoire, ce sont aussi les représentants en mission. Conventionnels désignés par l’Assemblée, ils sont envoyés à travers la France ou auprès des armées par groupe de deux ; le principe de la collégialité est ainsi respecté. Aucun ne ménage sa peine pour faire triompher la « grande Nation ». S’adressant en vrais Montagnards au peuple et aux soldats, ils contribuent à l’éducation des masses. Inspectant ici les administrateurs de district, ils renvoient les agents prévaricateurs et cassent les adjudications scandaleuses ; tonnant là contre les mauvais prêtres, ils renouvellent les tribunaux et taxent les riches. Ils sont partout la Convention présente. Faisant le coup de feu aux côtés des généraux qu’ils surveillent, ils sont le peuple à la tête des armées. Ils sont la Terreur voulue par ce peuple.

Cette Terreur, certains la veulent aussi déchristianisatrice. Malgré Carnot ou Robespierre, on pousse les prêtres à l’apostasie et au mariage, on ferme les églises, que l’on pille et que l’on ravage. On institue avec le calendrier révolutionnaire le culte de la déesse Raison.

Parmi ces déchristianisateurs, il y a les soldats de l’armée révolutionnaire, autre instrument de la Terreur, à la fois préventif et répressif. Décrétée le 5 septembre, après députation d’un groupe de Jacobins et de sectionnaires, « cette force armée soldée par le trésor public, composée de 6 000 hommes et 1 200 canonniers », est destinée « à comprimer les contre-révolutionnaires, à exécuter partout où besoin sera les lois révolutionnaires et les mesures de salut public, et à protéger les subsistances ». L’historien anglais Richard Cobb a montré comment, à côté de son rôle politique, elle permit l’approvisionnement des villes et des armées. En relation avec les Jacobins et les sans-culottes ruraux, tenant les principaux nœuds de communication, elle fit sortir des granges le blé nécessaire.

C’est dans le domaine militaire que l’action de la Convention apparaît le plus décisive. Le décret du 23 août 1793 exprime bien la volonté manifestée alors de tout subordonner à la défense nationale et de faire de l’armée la démocratie en armes. « Dès ce moment, y est-il dit, jusqu’à celui où les ennemis auront été chassés du territoire de la République, tous les Français sont en réquisition permanente pour le service des armées. Les jeunes gens iront au combat ; les hommes mariés forgeront des armes et transporteront les subsistances ; les femmes feront des tentes, des habits et serviront dans les hôpitaux ; les enfants mettront de vieux linges en charpie ; les vieillards se feront porter sur les places publiques pour exciter le courage des guerriers, prêcher la haine des rois et l’unité de la République. » Depuis lors, on a fait de l’armée en l’an II une description où elle apparaît triplement nouvelle par son recrutement, son esprit et la tactique appliquée. Armée nationale, le principe prôné par Dubois-Crancé « tout citoyen est soldat » étant appliqué, elle est la projection de la société française tout entière. Elle en tient le principe d’égalité, qui joue aussi pour le recrutement des officiers ; désormais, le mérite (le courage et l’ancienneté) doit compter autant que le talent pour l’avancement. Il y est fait large place à l’élection par la troupe.

Armée à l’esprit révolutionnaire, elle est faite de citoyens qui savent pourquoi ils se battent. Ils défendent, avec leur famille et leurs biens, leur dignité d’hommes et font preuve ainsi d’un allant que les armées classiques n’ont pas.

Armée de masse et armée de patriotes, elle conduit à l’emploi d’une tactique nouvelle. L’amalgame unit les soldats d’Ancien Régime et les volontaires nationaux ; ceux-là apportent l’expérience, ceux-ci l’enthousiasme révolutionnaire. Pour utiliser une masse animée d’une telle ardeur, mais où l’éducation militaire est faible, on pratique l’attaque en colonnes, précédées de tirailleurs, et, la baïonnette levée, le chant patriotique aux lèvres, on bouscule l’adversaire.

Les recherches en cours confirment le tableau en le nuançant. S’il est vrai qu’il y a enthousiasme, il n’est pas partout le même et il n’a pas la qualité de celui de 1792. La rupture de la communauté rurale après l’abolition totale du régime féodal fait sentir à plus d’un que la patrie qu’on lui demande de défendre risque de n’être que celle des propriétaires. Les réticences les plus nombreuses proviennent du monde rural. Les prélèvements de main-d’œuvre ont déjà amoindri le rendement d’un sol qui ne produit que par accumulation de travail humain. L’énergie déployée par les sans-culottes, ou par les Jacobins, permet néanmoins de lever une masse considérable d’hommes : 500 000, 700 000 ou 1 million, l’historien doit avouer son ignorance, mais il sait que, très tôt, les exemptions prévues d’ailleurs par la loi interviennent et que, par le jeu des influences et la corruption, le riche en bénéficie plus que le pauvre. Il sait aussi qu’une fois encore les régions frontières livrèrent plus d’hommes que les autres parties du territoire national.

L’encadrement, malgré la « sans-culottisation » voulue par le ministre Jean-Baptiste Bouchotte (1754-1840), ne donne pas entièrement le pas au patriote sur le technicien. Plus d’un ci-devant reste à la tête de compagnies ou de bataillons à côté du bourgeois ou du paysan retenu pour ses qualités de sabreur et de patriote. Les hommes, d’ailleurs, dictent souvent leur volonté. Ils savent par toutes sortes de moyens conserver l’officier qui les fait bien combattre et les préserve des hécatombes. Le gouvernement révolutionnaire lui-même revient bientôt sur une loi qui risquait de donner à l’armée des cadres politiquement sûrs, mais incapables de lire ou d’interpréter un ordre. En 1794, il faudra savoir lire et écrire pour avoir l’épaulette. Les officiers se coalisent pour s’opposer de manière couverte ou ouverte à telle ou telle de ces lois. Un esprit, hérité des premiers temps de la Révolution, dangereusement subsiste. Les représentants y prennent garde, mais leur rappel massif en avril 1794 ne permettra pas d’en extirper complètement les racines.

L’éducation politique est un souci constant ; il est pourtant encore difficile aujourd’hui de juger de l’influence réelle des journaux, des cérémonies, des discours employés à cette fin. La mentalité des troupes est, certes, républicaine, mais ce républicanisme est bien souvent confus.

L’amalgame a le mérite d’établir à l’image de la République le principe d’unité. Mais il n’est pratiqué massivement qu’à la fin de 1794. Il n’y a le plus souvent à l’époque du gouvernement révolutionnaire qu’une juxtaposition, parfois fictive, d’un bataillon de la ligne à deux bataillons de volontaires.