Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Convention nationale (suite)

Antionetta de Lorenzis reproche à cette thèse de ne pas laisser une assez large place à une fraction de cette sans-culotterie, celle des chômeurs ou des artisans, employés occasionnels. Ce sont eux qui auraient donné sa force au mouvement populaire. Robespierre, moins tributaire de sa classe qu’on ne l’a dit, se serait appuyé sur eux plus que sur les boutiquiers. Ainsi, le décret réglementant la vie politique serait un moyen de préserver l’influence des pauvres, alliés de Robespierre dans le mouvement des sans-culottes. Quelles qu’elles soient, les interprétations s’accordent toutes à reconnaître à l’élan irrésistible venu de ces masses populaires le mérite de la victoire. Cet élan, la Montagne saura le canaliser et l’organiser.

Les nouvelles institutions qu’elle donne à la France sont inscrites dans la Constitution du 24 juin 1793. Aucune Constitution française ne sera plus démocratique que celle-ci. Les pouvoirs sont concentrés entre les mains d’une assemblée unique, mais élue au suffrage universel et respectueuse des procédés de démocratie directe ; les lois votées sont soumises au référendum populaire.

Les principes animant cette Constitution donnent lieu à une déclaration. La liste des libertés s’y trouve étendue. L’égalité de tous les hommes par la nature y est affirmée. Le droit à l’assistance des citoyens sans travail y prend place, mais le droit de propriété est maintenu. Œuvre de propagande révolutionnaire ou mesure politique, la Constitution est suspendue jusqu’à la cessation des hostilités. Le 10 octobre 1793, le gouvernement est déclaré « révolutionnaire jusqu’à la paix ».

Dans un discours à la Convention, le 25 décembre 1793, Robespierre présente la théorie du gouvernement révolutionnaire. Tout en décrivant les principes et l’organisation, il y démontre le « nécessaire despotisme de la liberté ».

La théorie du gouvernement révolutionnaire est aussi neuve que la révolution elle-même. Il ne faut pas la chercher dans les livres des écrivains politiques, qui n’ont point prévu cette révolution, ni dans les lois des tyrans, qui, contents d’abuser de leur puissance, s’occupent peu d’en rechercher la légitimité :
« La fonction du gouvernement est de diriger les forces morales et physiques de la Nation, vers le but de son institution.
Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République ; celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder.
La Révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis : la Constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible. »

Le schéma général est simple : une assemblée, la Convention, détient tout le pouvoir. Pour donner plus d’efficacité à l’action entreprise, elle délègue son autorité à un comité restreint : le Comité de salut public, qu’elle nomme, contrôle ou, au besoin, destitue. Ce Comité, formé de douze représentants, donne ses ordres aux membres du Conseil exécutif provisoire, aux ministres ou, lors de leur remplacement en avril 1794, aux commissions chargées de leur travail. Les autres agents ou organismes terroristes, comme le Tribunal révolutionnaire, les agents nationaux près des districts, les représentants en mission ou les généraux, passeront de la subordination théorique de la Convention à celle, de fait, du Comité. Pour la police terroriste, ce dernier peut prendre toute mesure de défense générale « qui lui apparaît nécessaire » ; il se heurtera au Comité de sûreté générale, qui, rassemblant des Conventionnels, a « dans ses attributions tout ce qui est relatif aux personnes et à la police générale et intérieure ».

Les historiens de ce Comité soulignent que les divergences d’opinion entre ses membres s’effacent le plus souvent devant la « loi suprême », le « salut du peuple ». Certes un Robert Lindet et un Lazare Carnot*, conservateurs, s’opposent par leur mentalité à l’autre extrême, J. N. Billaud-Varenne et J. M. Collot d’Herbois, proches des sans-culottes ; la « gauche » groupant Robespierre, Prieur de la Marne, André Jean Bon Saint-André voisine avec un « centre » formé de Bertrand Barère de Vieuzac et M. Jean Hérault de Séchelles. Mais tous ont en vue de « commander, de combattre et de vaincre ; le travail en commun, le danger, le goût et l’orgueil du pouvoir créèrent une solidarité qui fit du Comité un organisme autonome » (G. Lefebvre). Si certains se spécialisent, comme Carnot (la Guerre), Prieur de la Côte-d’Or (l’Armement), Lindet (les Subsistances), ils prennent tous en commun les décisions, le pouvoir étant dans son essence « rigoureusement collégial ».

La tâche accomplie est énorme. De 7 heures du matin à 1 heure de l’après-midi, elle absorbe l’énergie de chacun. La séance de la Convention la suspend parfois, mais elle est bien vite reprise et peut se poursuivre jusqu’à 8 ou 10 heures du soir, parfois jusqu’à 2 heures du matin. De cinq cents à six cents affaires sont ainsi examinées chaque jour. Un tel rythme met les nerfs à vif, ruine les plus fortes santés, exacerbe les passions, grossit les jalousies, amplifie enfin les querelles.

Sur ce Comité sans précédent, Robespierre a très vite un ascendant qu’expliquent non seulement la personnalité morale de l’Incorruptible, mais aussi l’appui de la Commune de Paris et de sa force armée ainsi que le soutien des Jacobins. Le jacobinisme, défini par l’historien Antonio Gramsci comme l’expression de l’alliance entre petite bourgeoisie, sans-culotterie et paysannerie, permet à Robespierre d’assurer son autorité. Par lui, le régime, autoritaire au sommet, demeure « démocratique à la base » (Maurice Duverger), où une élite issue du peuple se manifeste.

Ce sont ces Jacobins que l’on retrouve dans les districts et les municipalités agissant pour que les troupes soient renforcées, approvisionnées et armées ; ce sont eux que l’on découvre dans les comités révolutionnaires surveillant les étrangers et les suspects, délivrant les certificats de civisme ou décernant les mandats d’arrêt, veillant à l’exécution des lois ou aidant parfois maladroitement les envoyés du pouvoir, mais donnant partout l’impulsion et exerçant toujours la force coactive nécessaire à la victoire.