Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Albee (Edward) (suite)

La force de la pièce réside moins dans sa philosophie que dans sa structure de psychodrame et dans son dialogue, ses répliques inattendues, ses retournements, ses changements de rythme. Albee excelle ici à recréer, à partir du langage le plus trivial, un rituel de communication à la fois comique et surréel. Le premier titre était « exorcisme », et c’est une cérémonie de purgation où chacun accomplit un rituel. Mais, à la fin, George et sa femme renoncent à leur système de survie. Le fils imaginaire est tué. Plus rien n’exorcise la peur du « grand méchant loup ».

Les pièces suivantes sont décevantes. Après une adaptation de The Ballad of the Sad Cafe, d’après Carson McCullers (1963), Tiny Alice (1964) est une œuvre trop allégorique. Comme la Clara de Dürrenmatt, Alice est la femme la plus riche du monde. Elle promet cent millions de dollars à l’Église. Un frère lai vient négocier la donation dans le château où Alice vit recluse. Homme faible, victime d’une femme forte, il sera assassiné. Malgré les explications d’Albee, la pièce paraît gratuite et sophistiquée. En 1966, Albee adapte maladroitement un roman de Purdy sur l’innocence trahie, Malcolm. Enfin Delicate Balance (1966) réunit pour une surprise-partie de l’angoisse quelques aliénés des beaux quartiers.

Edward Albee a incontestablement introduit un accent nouveau sur la scène internationale. Ses dernières pièces (Box, 1970 ; Quotations from Chairman Mao Tse Tung, 1970 ; All Over, 1971) le montrent soucieux de dégager, sous une forme différente, entre le théâtre engagé et le théâtre de l’absurde, un théâtre de la cruauté et de l’inquiétude qui marquera la fin du xxe siècle.

J. C.

➙ États-Unis / Théâtre.

 J. Gassner, Directions in Modern Theatre and Drama (New York, 1965). / A. Lewis, American Plays and Playwrights of the Contemporary Theatre (Londres, 1965). / F. Lumley, New Trends in 20th Century Drama. A Survey since Ibsen and Shaw (Oxford, éd. de 1965). / R. S. Brustein, Seasons of Discontent (Londres, 1966). / H. Clurman, The Naked Image. Observation on the Modern Theatre (New York, 1966). / L. Kerjan, Edward Albee (Seghers, 1971).

Albéniz (Isaac)

Compositeur et pianiste espagnol (Camprodón, Catalogne, 1860 - Cambo-les-Bains 1909).


Albéniz est l’aîné de Granados, de M. de Falla et de Turina, les trois autres artisans de la renaissance musicale espagnole au début du xxe s. Ce Catalan de naissance sera surtout le chantre de l’Andalousie, source de ses plus belles pages. Enfant prodige, il s’échappe de la maison à neuf ans pour parcourir les deux hémisphères en donnant des récitals de piano. Entre deux tournées, il va parfaire sa formation à Leipzig, à Bruxelles et à Budapest auprès de son idole, Liszt. Il éparpille aux quatre vents les fruits d’un talent d’une fertilité inépuisable — il compose alors Chants d’Espagne, les Danses espagnoles, la Rhapsodie espagnole, où s’affirme sa personnalité —, livrant une pièce de piano en échange d’un billet de corrida ! Son mariage, très heureux, l’assagira et le fixera. Dès 1893, Paris, comme pour Falla un peu plus tard, devient sa seconde patrie. Il y fréquente les milieux austères de la Schola cantorum, où Vincent d’Indy lui offre même une chaire professorale, et y crée le meilleur d’une œuvre aussi abondante qu’inégale. Dans les quatre cahiers admirables d’Iberia, l’un des sommets de la littérature pianistique universelle, il atteint à la pleine maturité de son génie. Mais déjà sa santé est atteinte : il meurt le 18 mai 1909, à quarante-neuf ans.

Ses opéras, ses zarzuelas, ses quelques pièces d’orchestre sont tombés dans l’oubli. Le piano demeure sa gloire essentielle. Mais, de ses innombrables pièces de jeunesse, on ne retiendra que La Vega (1897), annonce des grandes pages d’Iberia. Albéniz a su faire fructifier l’héritage du piano de Liszt, en le pliant aux exigences d’un langage spécifiquement ibérique. De Scarlatti, il reprend les croisements de mains et les acciaccaturas, transposition des « arrachés » de guitare du flamenco. La Schola lui donna un sens architectural permettant de canaliser son exubérance, et Debussy contribua à enrichir et à raffiner sa palette harmonique et sonore. Tempérament bouillant et généreux, le cœur sur la main au clavier comme dans la vie, Albéniz est ce que l’on appelle « une nature », qui nous comble par sa prodigalité de grand seigneur « jetant la musique par portes et fenêtres » (Debussy). En un étincellement de feu d’artifice, il fait revivre, chanter et danser toute l’Espagne, le truculent Madrid de Lavapiés, mais surtout sa chère Andalousie, ensoleillée dans Rondeña ou Eritaña, langoureuse et nonchalante dans Almería ou Jerez, lancinante et mystérieuse dans El Albaicín, déchirante dans El Polo, ce pur sanglot. Tout le piano moderne, celui de Messiaen, de Boulez et de Stockhausen, est sorti d’Iberia. Des deux grandes pages interrompues par la mort, Déodat de Séverac a achevé Navarra, et Granados Azulejos.

Les quatre cahiers d’« Iberia » (1906-1909)

1er cahier : Evocación, El Puerto, El Corpus en Sevilla (Fête-Dieu à Séville).

2e cahier : Rondeña, Almería, Triana.

3e cahier : El Albaicín, El Polo, Lavapiés.

4e cahier : Málaga, Jerez, Eritaña.

H. H.

 H. Collet, Albéniz et Granados (Plon, 1925 ; rééd., 1948). / A. Sagardia, Isaac Albéniz (Plasencia, 1951). / G. Laplane, Albéniz, sa vie, son œuvre (Milieu du monde, 1956).

Albert le Grand (saint)

Philosophe, savant et théologien allemand (Lauingen, Souabe, v. 1200 - Cologne 1280), docteur de l’Église depuis 1931.


Albert fut l’un des trois ou quatre grands maîtres du xiiie s. Ce pour quoi lui fut donné, selon la coutume du temps, le titre de doctor universalis, titre justifié non seulement par le caractère encyclopédique de ses travaux, mais aussi par son désir d’embrasser toute la réalité. Albert est représentatif de la génération qui, en Occident, décida de l’essor des universités, formes institutionnelles d’une culture solidaire de l’évolution alors en cours, dans une urbanisation intense, dans des corporations encadrant une jeune industrie et une économie de marché, dans une émancipation politique faisant passer du régime féodal à l’autonomie des communes. Ainsi fut-il l’un des fondateurs de l’université de Cologne.