Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colonisation (suite)

Avec les Indes néerlandaises, qui couvrent 1 900 000 km2 et comptent près de 60 millions d’habitants, les Pays-Bas (qui possèdent aussi la Guyane hollandaise et quelques petites Antilles) sont la troisième puissance coloniale du monde. Le second rang appartient à l’Empire français (12,5 millions de kilomètres carrés et 65 millions d’habitants), dont les cinq sixièmes de la superficie sont en Afrique, mais les deux cinquièmes de la population en Indochine. Quant à l’Empire britannique, partout présent à la surface de la Terre, il vient largement en tête avec 35 millions de kilomètres carrés et plus de 400 millions d’habitants.

Les empires de formation récente sont très disparates. L’autorité de la Belgique s’étend sur le Congo et sur le mandat du Ruanda-Urundi (2 500 000 km2 et plus de 15 millions d’habitants). Malgré ses efforts, l’Italie n’a qu’un empire médiocre formé, d’une part, de l’Érythrée et de la Somalie, et, d’autre part, des îles du Dodécanèse et de la Libye, mais, en 1935, bravant la S. D. N., elle fera la conquête de l’Éthiopie. Le Japon, réveillé par l’impérialisme occidental et devenu à son tour impérialiste, dispose d’un empire insulaire (la moitié de Sakhaline, les Kouriles, Ryū kyū, Formose [T’ai-wan], une partie de la Micronésie) et continental (Corée, Mandchourie) ; ses ambitions se portent maintenant sur la Chine elle-même. Après avoir acheté l’Alaska à la Russie, les États-Unis ont participé à l’expansion impérialiste et acquis les îles Hawaii, Porto Rico, les Philippines, une partie de Samoa et l’île de Guam ; c’est peu pour leur énorme puissance, mais la plupart des États de l’Amérique latine sont pour eux des semi-colonies.

Ayant accompli une œuvre considérable, que montre en partie l’Exposition coloniale de Vincennes en 1931, les puissances impériales ont bonne conscience et, malgré quelques craquements sous forme d’agitations nationalistes (par exemple en Égypte, en Inde ou en Indochine française), elles ne doutent pas de la pérennité des édifices qu’elles ont élevés. Un excellent spécialiste français des questions d’outre-mer écrit, en 1937, qu’« il ne ressort nullement des faits acquis que la colonisation contemporaine, dans les possessions où domine le peuplement indigène, sente le sol se dérober sous ses pas » (Georges Hardy). Pendant la guerre, W. Churchill refuse d’envisager une éventuelle liquidation de l’Empire britannique, et, en 1944, la conférence de Brazzaville proclamera que « la constitution éventuelle, même lointaine, de self-governments dans les colonies est à écarter ». Ainsi, les contemporains n’avaient pas apprécié à sa juste importance la révolution coloniale, qui, en bouleversant toutes les structures, rendait inévitables des transformations fondamentales.


La révolution coloniale

En réalité, cette révolution est double, car, si l’Europe a bouleversé les sociétés colonisées, elle-même a subi le contrecoup de son action colonisatrice ; ici, il ne s’agira que du premier phénomène, d’ailleurs le plus important.

• Les facteurs de la transformation. Le facteur initial, c’est évidemment l’Européen en tant qu’homme, agent économique. Du début du xvie s. à la fin du xviiie, 4 à 5 millions d’individus sont allés s’établir en Amérique et ont suffi pour y ébranler et parfois y détruire les fondements de la vie indigène. Le mouvement d’émigration s’amplifie par la suite, et on estime que, de 1800 à 1930, environ 40 millions d’Européens ont quitté le vieux continent pour se déverser sur le monde entier, les Britanniques intervenant à eux seuls pour plus de 17 millions de personnes. C’est peu à l’échelle de la population du globe (1 600 millions d’habitants en 1900), mais il s’agit d’un levain puissant susceptible d’engendrer une fermentation révolutionnaire.

Outre son dynamisme, l’Européen dispose d’un levier efficace qui lui est propre : le capitalisme. L’argent sera le moteur de la transformation, même quand les Blancs seront peu nombreux. Une statistique anglaise fait apparaître qu’au 1er janvier 1916, sur un total de 3 836 104 000 livres de capitaux britanniques placés hors de Grande-Bretagne, 1 935 740 000, soit la moitié, l’étaient dans les colonies, dont 570 millions au Canada, 443 en Australasie, 390 dans l’Inde, 455 en Afrique. À cause de la méfiance de ses capitalistes, la part de la France est beaucoup plus modeste : 4 milliards de francs-or en 1914 sur les 41 placés hors de France. À son empire, longtemps déficitaire, le gouvernement allemand accorde d’importantes subventions : 114 millions de mark pour la seule année 1906 (le mark vaut alors 1,25 F et la livre sterling 25 F). À cela s’ajoutent les investissements d’origine locale, qui feront qu’en Algérie, par exemple, les spoliations subies par les Français seront estimées, en valeur, à la moitié des biens publics laissés par la France.

Mais, pour agir, l’Européen ne dispose pas seulement de la force matérielle, il a aussi la force spirituelle, le Dieu des chrétiens introduit par les missionnaires catholiques ou protestants. En supplantant les anciennes religions, le christianisme va imposer de nouveaux modes de pensée, tout en devenant une source de contestation au nom de la fraternité prêchée par ses prêtres, considérant comme égaux tous les fidèles, hommes blancs et hommes de couleur.

• Le bouleversement du monde indigène. La révolution la plus profonde, celle qui, en grande partie, conditionne les autres, se produit dans la démographie. Par suite des guerres de conquête, de l’exploitation économique et de l’introduction de maladies inconnues (influenza, rougeole, tuberculose), le contact avec les Européens est en général, dans un premier temps, absolument destructeur : des populations entières disparaissent en Amérique ou en Océanie, tandis que l’Afrique est ravagée par la traite des Noirs. Mais, partout où la population indigène s’est maintenue, une seconde phase suit, caractérisée par un renversement complet du sens de l’évolution. Avec la fin des guerres intestines, l’assainissement des régions contaminées, l’œuvre des médecins, la progression démographique, d’abord lente, va s’accélérant, les taux de croissance annuelle atteignant de 20 à 30 p. 1 000, ce qui pose avec acuité le problème de l’emploi et celui du niveau de vie.