Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

colonisation (suite)

Dans le domaine économique, la colonisation introduit partout une économie nouvelle, dont les traits majeurs sont la facilité des échanges, l’augmentation de la productivité, la recherche du profit. Parfois, l’économie précoloniale se maintient presque inchangée — sur de vastes territoires d’Afrique noire par exemple —, mais, le plus souvent, elle est transformée, notamment par l’introduction de la monnaie, et on voit des indigènes se livrer aux cultures d’exportation en sacrifiant les cultures vivrières. Surtout, l’Européen est créateur de villes dont l’économie apparaît comme calquée sur celle des campagnes traditionnelles. Toujours, la métropole essaie de s’assurer des avantages, empêchant, par exemple, l’industrialisation des colonies.

La transformation sociale est l’aboutissement de cette évolution. Avec les lois foncières, qui mobilisent la propriété, avec l’œuvre d’enseignement et l’évangélisation, qui introduisent les valeurs mentales d’une autre civilisation, avec l’appel de la ville et parfois le service militaire, qui enlèvent l’individu à son groupe, la société communautaire recule devant une société se constituant peu à peu. Cette société nouvelle est formée d’une bourgeoisie d’« évolués », devant laquelle s’effacent de plus en plus les chefs traditionnels, et d’une masse de salariés ou de sous-prolétaires, qui s’accumulent dans les villes. Ce sont là les deux éléments qui deviendront l’aile marchante des partis nationalistes.


La décolonisation

C’est une crise différente de celle de la fin du xviiie et du début du xixe. D’abord, elle est plus courte et plus brutale : en moins de vingt ans, elle désagrège les empires les plus importants. Surtout, elle prend la forme d’une révolte des indigènes et non des Européens des colonies, mettant en cause le fait colonial lui-même et jusqu’à la présence européenne.


Les origines profondes de la décolonisation

Il faut d’abord les rechercher dans la dialectique du phénomène de colonisation : « L’entreprise de civilisation, dans ses créations mêmes, forge le fer qui se retournera contre elle » (Albert Sarraut). La démographie galopante rend de plus en plus difficile le problème des subsistances, et « la philanthropie entend monter vers elle le grondement des besoins insatisfaits ». Le prolétariat des villes, à l’imitation de l’Europe, s’agite et s’organise en s’attaquant au patron, qui, ici, est le colonisateur. L’école a créé des élites indigènes qui revendiquent leur place légitime dans les postes les plus élevés. Les routes et les voies ferrées rapprochent des populations qui s’ignoraient et qui découvrent leur parenté (bientôt leur nationalité) avec l’aide de savants européens qui exhument d’anciennes civilisations dont les fastes du passé justifient la résistance à l’emprise européenne.

Progressivement va se manifester le réveil des peuples colonisés et vont apparaître les symptômes de l’« âge critique » de la colonisation que Leroy-Beaulieu annonçait pour le xxe s. Dans l’Inde, l’Angleterre doit faire des concessions et accorder en 1935 un statut qui semble préluder à la création d’un État fédéral ; le mouvement nationaliste est réprimé en Indochine française, mais la révolte de Yên Bay, en 1930, a montré qu’il pouvait être menaçant. Depuis l’Afrique du Nord jusqu’à l’Indonésie, la renaissance de l’islām se fait sentir, et les puissances coloniales doivent en tenir compte : tout en sauvegardant ses intérêts militaires, l’Angleterre abandonne son mandat sur l’Iraq (1930) et reconnaît l’indépendance de l’Égypte (1936) ; la France paraît s’engager sur la même voie vis-à-vis de la Syrie et du Liban.

Les idéologies anticolonialistes renforcent singulièrement les mouvements nationalistes. « Ce n’est pas impunément qu’on a lancé à travers le monde les formules du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et les idées d’émancipation et d’évolution dans le sens révolutionnaire » (Lyautey). La critique marxiste condamne la colonisation, et l’U. R. S. S. appuie les agitations nationalistes. Les Églises, dont les missionnaires ont longtemps été d’importants agents pour la colonisation, multiplient prêtres et pasteurs indigènes, s’apprêtant ainsi à ne plus s’identifier au colonisateur.

La Seconde Guerre mondiale va précipiter l’évolution. Elle encourage les nationalismes en affaiblissant les plus grandes puissances coloniales (Angleterre, France, Pays-Bas) et en donnant la première place aux deux superpuissances, l’U. R. S. S. et les États-Unis, qui, pour des raisons différentes, sont hostiles à la colonisation. L’idéologie anticolonialiste fait d’énormes progrès, et l’article 1 de la charte des Nations unies consacre le principe général du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. De plus, la volonté colonisatrice s’affaiblit, et on se prend à douter de l’utilité des colonies, surtout lorsqu’on évalue les charges que feront peser sur le budget métropolitain des institutions comme le Colonial Development and Welfare Act (1945) et le Fonds d’investissement pour le développement économique et social des territoires d’outremer (1946) : on acceptera alors plus facilement l’inévitable.


Les étapes de la décolonisation

À partir de 1945, on assiste à l’écroulement des empires les plus importants, qui paraissaient si solides quelques années auparavant. Nous rappellerons seulement les dates essentielles qui ont marqué les deux grandes phases de ce phénomène capital : l’émancipation de l’Asie et celle de l’Afrique.

En Asie, dès la fin de la guerre, la Chine récupère les concessions acquises par l’Europe au xixe s., ne laissant subsister que Hongkong et Macao ; elle reprend aussi Formose (T’ai-wan) et la Mandchourie. Les États-Unis mettent fin à leur domination sur les Philippines en 1946. La même année, sur la façade opposée du continent, la France reconnaît la pleine souveraineté de la Syrie et du Liban. L’Indonésie, qui a proclamé son indépendance en 1945, l’obtient officiellement par les accords de La Haye en 1949. L’Empire britannique se désagrège lorsque s’en détachent l’Inde et la Birmanie en 1947 et Ceylan en 1948. La France devra renoncer à l’Indochine en 1954. Il a fallu peu d’années à l’Asie pour se libérer.

Si l’on excepte les anciennes possessions italiennes, qui perdent leur statut de colonie dès la fin de la guerre, le mouvement est plus tardif en Afrique, mais tout aussi rapide.

• 1953 : création d’une fédération groupant les deux Rhodésies et le Nyassaland ; en 1963, elle éclatera en trois États indépendants.

• 1956 : indépendance de l’ancien Soudan anglo-égyptien (qui devient le Soudan), du Maroc et de la Tunisie.

• 1957 : la Gold Coast devient le Ghāna ; indépendance de la Malaisie.

• 1960 : indépendance du Nigeria et du Congo belge ; l’Afrique noire française et Madagascar donnent naissance à quinze républiques.

• 1961 : indépendance de la Sierra Leone et du Tanganyika.

• 1962 : indépendance de l’Algérie et de l’Ouganda.

• 1963 : indépendance du Kenya.

• 1964 : indépendance du Nyassaland, de la Rhodésie du Nord et de Malte.

• 1965 : indépendance de la Gambie.

• 1966 : indépendance du Botswana (ex-Bechuanaland) et du Lesotho (ex-Basutoland).

• 1968 : indépendance de la Guinée équatoriale et du Swaziland.

• 1974 : indépendance de la Guinée-Bissau.

• 1975 : indépendance du Mozambique et de l’Angola.