Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Colbert (Jean-Baptiste) (suite)

Pour lui, le commerce intérieur est neutre vis-à-vis de l’État, c’est-à-dire qu’il n’occasionne ni gain ni perte, car, on l’a vu, le but des théoriciens est toujours la puissance du Prince et non le profit des particuliers. Par contre, le commerce extérieur peut être avantageux ou nocif. Le devoir et l’intérêt de l’État seront de protéger le travail de ses sujets, car « chacun doit faire valoir sa propre terre, chaque pays doit nourrir et entretenir ses hommes », mais cette protection s’étendra uniquement aux produits « ouvrés » et non pas aux matières premières.

Mais, même au sujet des matières premières les plus importantes, Montchrestien est loin d’être libre-échangiste. Au contraire, il souhaite que la France se suffise quant aux principales, à l’exemple de l’Angleterre, qui garde ses laines afin d’écouler plus facilement ses étoffes. Il incite aussi l’État à trouver le plus de matières premières possible sur son propre sol, par exemple de se servir des plantes tinctoriales comme le pastel et la garance plutôt que de l’indigo ou de la cochenille exotiques.

Sa théorie propose aussi des mesures positives, tel l’appel à des maîtres ouvriers étrangers au courant des meilleures techniques industrielles. Montchrestien déplore déjà les pertes que les guerres de Religion font éprouver à la France à l’occasion du départ en Angleterre de nombreux spécialistes, préfiguration du phénomène qui suivra la révocation de l’édit de Nantes (1685), et félicite la reine d’Angleterre qui aura l’intelligence de les bien accueillir. Il requiert aussi de l’État un contrôle strict de la bonne qualité des produits exportés et de ceux qui sont réservés à l’usage interne, afin que les nationaux ne soient pas tentés de s’approvisionner à l’étranger. Il demande en conséquence à la fois le renforcement des autorités des métiers et l’intervention de l’Administration centrale. Ce souhait sera réalisé par Colbert.

De même, le principe de la guerre à l’oisiveté, dont le ministre de Louis XIV fera un de ses leitmotive favoris, est déjà chez Montchrestien. « Le plus grand trait que l’on puisse pratiquer en l’État, c’est de ne souffrir qu’il en demeure aucune partie oisive. » Montchrestien souligne aussi parmi les obstacles essentiels à la prospérité commerciale de la France l’appétit de la bourgeoisie pour les charges publiques, les « offices », au détriment des professions commerciales, considérées comme peu nobles et surtout comme toujours entachées, notamment du point de vue de l’Église catholique, de quelque préjugé défavorable.

Il est intéressant de constater encore les ressemblances entre les idées de Montchrestien et de Colbert en ce qui concerne la marine et les colonies. Montchrestien écrit pour illustrer l’importance de la première : « Nous en avons la Hollande pour preuve et pour exemple. Toutes les terres lui sont ouvertes par la mer. » Et il conclut par une amère comparaison entre l’état de sa marine et de celle de la France, très pauvre en effet en ce début du xviie s. Pour les colonies, voici déjà tout le programme de Colbert : « Il s’ensuivrait [...] de grandes et inépuisables sources de richesses, car les sujets d’un et d’autre côté auraient une ample vente et revente de toutes et telles manufactures qu’ils pourraient faire exporter. » Richelieu* se situe dans la même tradition, mais il s’efforce de traduire ces idées dans des actes.


L’œuvre de Colbert : la théorie et la réalité

Le fait que les idées économiques de Colbert soient les répliques de celles de Laffemas, de Montchrestien ou de Richelieu n’enlève rien à l’intérêt de son œuvre, qui a profondément marqué le siècle de Louis XIV. La conception statique qu’il a des mouvements monétaires aussi bien que des activités commerciales est dans la meilleure tradition mercantiliste ; elle est ce qui le différencie le plus des économistes modernes.

Pour développer l’industrie, Colbert s’efforce d’intéresser les nobles à cette activité en luttant, comme Richelieu, contre le préjugé de la dérogeance. Il crée des entreprises nouvelles, les « manufactures », soustraites aux règles des corporations et bénéficiant du soutien financier de l’État (privilèges, subventions, etc.) ; des inspecteurs généraux des manufactures veilleront à l’application des règlements concernant la fabrication et la qualité des produits.

Les meilleurs résultats sont obtenus dans les industries de luxe : tapisseries, riches étoffes, glaces, dentelles à Abbeville, à Sedan, à Lyon et à Paris (Gobelins et faubourg Saint-Antoine). Ces mesures réduisent les importations, d’autant que le ministre édicté toute une série de tarifs douaniers protecteurs.

Colbert encourage également les progrès de la marine marchande par le moyen de primes à la construction et par la fondation de compagnies royales d’outre-mer, comme les Compagnies des Indes orientales (1664), des Indes occidentales (1664), du Levant (1670), du Sénégal (1673).

Une flotte de guerre nombreuse (sous son ministère, elle passe de 18 vaisseaux en 1661 à 276 en 1683) est créée pour protéger celle de commerce, assurer les expéditions de conquête et garantir les relations commerciales avec les colonies.

Les critiques de cette œuvre et de cette doctrine furent nombreuses du vivant même de Colbert. On lui reprocha surtout de sacrifier l’agriculture aux prix de revient industriels, de réglementer exagérément toutes les activités industrielles et commerciales aux dépens de la libre initiative des intéressés, manufacturiers ou grands marchands. Grave aussi est l’attaque formulée dans un pamphlet anonyme de 1668 : « M. Colbert ne prend pas garde qu’en voulant mettre les Français en état de se pouvoir passer de tous les autres peuples, il les conduit à faire la même chose de leur côté, car il est certain qu’ils ont pris une autre route pour aller chercher ailleurs la plupart des choses dont ils se venaient fournir dans nos provinces. »